La Voix - Le Bocage

Yves Degrenne : une figure virtuose de la vrille !

Yves Degrenne est né en 1925 à Tinchebray, la même année que son célèbre cousin Guy Degrenne, le spécialist­e de l’art de la table. À la retraite depuis 1991, il continue de bricoler sa matière de prédilecti­on : le métal. Lequel a forgé son destin…

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L’entreprise familiale était située au lieu-dit Moulin de Rochefort. Spécialisé­e dans la fabricatio­n de vrilles à bois, un outil formé d’une tige contournée pour percer le bois, elle bénéficiai­t de la plus forte réputation parmi les 35 fabricants implantés sur le territoire dans les années 1920.

« Beaucoup de petits artisans possédaien­t de petites fermes. Pas d’ouvrier : c’est le patron qui réalisait les vrilles. L’été, il donnait le coup de main à sa femme pour faire les foins » , explique Yves Degrenne. Chaque ferme avait également son billot de cloutier, « pour fabriquer des clous à tête ronde ou carré, forgés à l’unité » , ajoute Yves Degrenne.

Certificat d’études primaires

Des clous pour les vaches, les boeufs ou les chevaux. Mais aussi des clous à sabots, car à l’époque, les enfants allaient à l’école en sabots, généraleme­nt cloutés, pour en retarder l’usure.

« Au début des années 1930, avec mon cousin Guy, on parcourait 2 km à pied, chaussés de sabots, pour se rendre à l’école maternelle de Tinchebray » , confirme Yves Degrenne.

Ils poursuivro­nt leurs études à l’école Sainte-Marie de Flers. Mais, en 1937, coup de théâtre ! Yves décroche un précieux sésame : son certificat d’études primaires, alors que Guy échoue à l’examen ! « Pourtant, il apprenait bien, Guy ! » s’étonne

encore Yves Degrenne. Il se rattrapera plus tard, poursuivan­t même des études supérieure­s. S’en suivra la carrière exceptionn­elle qu’on lui connaît…

Des vrilles et des mèches

Mais, pour Yves, comme pour beaucoup d’autres, dès 14 ans, il a fallu travailler. « Tu intègres l’entreprise familiale ou tu vas bosser ailleurs » , lui a dit son père. Son destin était tout tracé : il sera vrillier, ayant déjà une certaine expérience en la matière. « J’avais 12 ans, et le jeudi, au lieu d’aller jouer avec les copains, le père disait à mon frère : tu vas travailler et après Yves va te remplacer ! »

Il se souvient, qu’à l’époque, son père avait fait rentrer dans l’entreprise une presse faite sur mesure. « Tout cela clandestin­ement, à cause de la concurrenc­e. » La presse permettait de fabriquer industriel­lement la boucle de la vrille. L’entreprise fabriquait également des mèches. « Il y avait beaucoup moins de concurrent­s, parce qu’ il fallait davantage d’outillage. »

Pompier de Paris

C’est durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie qu’est créé le Service du travail obligatoir­e (STO). Contre son gré, la main-d’oeuvre française devait être utilisée pour soutenir l’effort de guerre allemand. Pour y échapper, Yves Degrenne a utilisé une filière déjà éprouvée par son frère aîné, ainsi que par Raymond, le frère aîné de Guy Degrenne. En février 1944 : il devient pompier de Paris ! L’occasion pour Yves de revoir Guy, qui poursuit ses études dans la capitale et qui est tombé éperdument amoureux de Renée, une belle blonde, parisienne jusqu’aux bouts des ongles. « Elle avait 17 ans, je la considérai­s comme ma soeur » , confie Yves. En 1947, il réintègre l’entreprise familiale.

Gueule d’amour

Au milieu des années 1950, Yves et son frère reprennent les rênes de l’entreprise. Elle comptera jusqu’à 26 salariés. En 1954, Yves se marie avec Madeleine, une Tinchebray­enne. « On s’est rencontré un jour de comice agricole. Je conduisais un char, habillé en cheminot, avec la gueule noire et les dents blanches. Je lui donne un coup d’oeil. Elle me répond. Sa mère lui a dit que j’étais le gars Degrenne de Rochefort. C’est de là que tout est parti ! » relate Yves, avec une petite lueur dans ses yeux bleus.

L’entreprise travaillai­t pour de grands groupes, comme la SNCF et la RATP. Mais aussi à l’internatio­nal, pour les Américains, entre autres.

« Nous étions les seuls en Europe à fabriquer des mèches pour réaliser des trous de très grandes dimensions » , observe Guy. Mais bientôt, la concurrenc­e japonaise envahit le marché, avec des produits de moindre qualité, mais en cassant les prix. Les dernières années sont économique­ment plus difficiles. Si bien que Yves et son frère prennent leur retraite en 1991, sans avoir trouvé de repreneur.

Depuis Yves Degrenne bricole. Son atelier est une véritable caverne d’Ali Baba pour les passionnés ! Pêle-mêle, on y trouve des machines et outillages pour le bois et les métaux, et des milliers de mèches. Mais aussi, un poste de soudure à l’arc. « Dis donc, Yves, tu ne pourrais pas me souder ça ? » , demande régulièrem­ent le voisinage. Yves, qui aime rendre service, s’exécute avec le sourire.

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Yves Degrenne dans son atelier : une véritable caverne d’Ali Baba pour les passionnés !
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Yves Degrenne et son frère aîné, pompiers de Paris.

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