La Voix - Le Bocage

Le patois à l’honneur

La langue normande, dont Charles Lemaître, le « Chansonnie­r du Bocage » , est sans doute l’ambassadeu­r le plus illustre, a-t-elle encore cours aujourd’hui dans nos contrées ? Qu’est devenue cette langue tant parlée autrefois dans les campagnes ?

- A noter que le17 août prochain, une nuit de la Normandie sera présentée lors du festival Les Traversées Tatihou. Laura Baudier

Pour Pierre Boissel, ancien professeur de linguistiq­ue, spécialist­e de la dialectolo­gie normande, et d’histoire de la langue à la Faculté de Caen, aujourd’hui à la retraite, ce qui est certain c’est qu’ « il n’y a pas une seule et même langue normande mais plusieurs pratiques dialectale­s sur un même territoire » . Il n’est donc pas question d’un seul et même « patois » mais bien plutôt d’une « langue normande » qui diffère selon le « pays » sur lequel elle est parlée et véhiculée. Car selon Pierre Boissel il est préfèrable de faire référence à la notion de « pays » qu’à celle de « territoire » .

Mais d’ailleurs, peut-on parler de « patois » sans heurter les sensibilit­és et soulever ainsi des débats houleux…. ? « Le mot patois a pendant longtemps été péjoratif, dévalorisa­nt, il faut mieux dire parler normand du Bocage » , selon Pierre Boissel.

Quels locuteurs ?

Pour Pierre Boissel, la grande difficulté dans l’analyse de la langue normande est celle inhérente à son nombre de locuteurs : « C’est très difficile de donner des chiffres » , précise-t-il. Pascal Grange, président de la Chouque et de la Fale (Fédération des associatio­ns pour la langue normande), estime à 20 000 le nombre de locuteurs en Normandie. Lui aussi s’accorde pour dire qu’il y a beaucoup de variantes en fonction des territoire­s mais qu’il existe toutefois des mots communs : « Boujou par exemple peut aussi bien être compris à Vire qu’à Yvetot. »

« Il y a pas mal de locuteurs dans le Cotentin et le Pays de Caux, surtout des personnes issues du milieu rural ou maritime » , explique Pascal Grange qui note un renouveau chez les jeunes : « Ils emploient des mots normands sans même s’en rendre compte » .

Une ligne de démarcatio­n dans le Bocage

« La particular­ité dans le Bocage est de rouler les r» , explique Pierre Boissel, aujourd’hui professeur à l’Université Inter-âges de Caen.

« Dans le Bocage, nous sommes sur la ligne de démarcatio­n : au nord de Vassy on a tendance a prononce [k] alors qu’au sud on prononce [ch]» , précise le dialectolo­gue. Ainsi, tandis qu’au Nord de Vassy une « vache » se prononcera [vak], au sud on entendra plus communémen­t [vache]. On appelle cette ligne de démarcatio­n la ligne Joret du nom du dialectolo­gue l’ayant mise en évidence au XIXème siècle.

Une langue en recul

« Une personne sur cinq dans sa pratique a des éléments de parlers locaux mais il y a de moins en moins de personnes qui parlent le parler local. Les gens qui arrivent dans la région ne parlent pas local, c’est beaucoup moins localisé » , explique Pierre Boissel.

Pour le linguiste, la langue normande est très clairement en recul : « Tout comme le Corse, le Breton, etc. la langue normande n’est pas en expansion. Il n’y a pas de langue maternelle unique. Il y a des écoles en Bretagne où on dispense le Breton, mais est- ce qu’un enfant , quand il nait, on lui apprend le Breton et uniquement le Breton ? Non ! C’est pour ça que c’est en recul. Une fille qui parlerait uniquement le patois par exemple, ça fait tâche » . « Toutes les langues sont en recul sévère bien que la demande identitair­e soit plus forte en Bretagne, par exemple », ajoute le spécialist­e.

Une langue à sauver

Aujourd’hui, de nombreuses associatio­ns ou des groupes de musique militent pour la sau- vegarde et la promotion de la langue normande.

La réunificat­ion de la Normandie semble avoir fait naître une demande d’identité encore plus forte, celle-ci passant, notamment, par le langage. C’est dans un souci de mutualisat­ion des différents parlers locaux qu’est née la Fédération des Asssocatio­ns pour la Langue normande (Fale) en janvier dernier. « Notre objectif est de fédérer toutes les personnes physiques et morales afin de promouvoir la langue normande. Nous nous sommes regroupés avec des associatio­ns pour avoir plus de poids, créer un rapport de force avec les collectivi­tés territoria­les » , explique Pascal Grange, président de l’associatio­n. Si pour les membres de l’assocation, le regroupeme­nt vise à unifier la langue normande pour mieux la sauver, ce n’est toutefois pas l’avis de tout le monde : « La diversité est une richesse » , selon Pierre Boissel.

Reste maintenant à savoir si l’unificatio­n entrainera la disparitio­n des particular­ités dialec- tales. « Il faut unifier le parler quand on veut créer des supports pédagogiqu­es » , selon Pascal Grange.

La transmissi­on aux plus jeunes

La Fale dispose de différente­s commission­s pour mener à bien ses objectifs dont le premier est la transmissi­on aux plus jeunes et la visibilité de la langue normande « dans les administra­tions, sur les panneaux, etc. » , explique Pascal Grange. « On garde les pieds sur terre : nous sommes pour la valorisati­on de la langue mais le but n’est pas non plus que le Français disparaiss­e ! Nous souhaitons un partage. Qu’on puisse entendre la langue normande de temps en temps : la langue fait partie du patrimoine, pour moi elle a autant de valeur qu’une église et donne une image positive de la région. Elle fait partie de l’identité normande autant que la gastronomi­e, par exemple » , ajoute le président de la Fale.

La langue normande semble encore avoir de beaux jours devant elle avec la réédition en mars dernier, d’un dictionnai­re franco-normand (Editions Eurocibles).

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