La Voix - Le Bocage

Un bidon allemand caché durant 72 ans

L’histoire de ce jerrycan allemand trouvé, par hasard en 1946, par un adolescent de Saint-Sever et qui a traversé les années. Maurice Lebouvier, fils d’exploitant forestier et âgé de 18 ans à l’époque, raconte cette découverte dans une France d’après-guer

- Christophe­r Lebranchu

1946, la Seconde Guerre mondiale est terminée depuis une année. Le jeune Maurice, à peine majeur, est au travail. Il suit son père, Alcime, exploitant forestier à Saint- Sever. « On débardait les arbres », se souvient avec tendresse Maurice Lebouvier, qui fêtera cette année ses 90 ans. Il tombe, au fruit du hasard, sur un jerrycan allemand rempli d’essence. « Il était recouvert de fougères. Il n’était pas très visible. C’est peut-être pour ça que personne ne l’avait trouvé avant moi. Je l’ai pris automatiqu­ement. Il était lourd. Je n’ai pas douté qu’il pouvait être miné. On ne sait jamais ».

Un produit rare

À l’intérieur, 20 l d’essence. Une petite fortune à la sortie de la guerre où le carburant se fait rare et où il se négocie à prix d’or, comme le décrit, en fouillant dans sa mémoire, Maurice : « Un ouvrier, qui travaillai­t dans une ferme, voyait passer à bloc des Américains. Il leur donnait de la goutte contre de l’essence. Et il nous revendait le jerrycan 1 000 francs. On savait ça en douce. Ça faisait donc 1 000 francs le litre de goutte… »

Le carburant, à ce moment-là, était primordial pour travailler et alimenter les moteurs. « Pour faire du beurre, moudre, battre les grains, scier du bois… C’était utile. On a dû l’économiser. Il n’y avait pas encore les voitures qui roulaient ».

Mis de côté par les Résistants

Plus tard, la famille Lebouvier tente d’imaginer d’où pouvait provenir ce jerrycan abandonné depuis plus de deux ans. « Je n’ai jamais eu de détails. Cependant, les Allemands voyageaien­t et étaient ravitaillé­s. Et à Champ-du-Boult, il y avait des Résistants. On savait qu’ils avaient attaqué, en 1944, un camion allemand à cet en- droit de la forêt, d’après ce que j’avais entendu. Ils ont dû enlever le jerrycan avant de le faire exploser. C’est à peu près obligé que ça se soit passé comme ça… »

Cette anecdote aurait pu s’arrêter là. Mais, l’après-guerre est une époque de l’histoire où tous les objets avaient une deuxième vie et rien n’était jeté. « Par la suite, on a eu des tracteurs. Le jerrycan servait pour transporte­r le fioul. Il a tout le temps servi. […] Des jerrycans américains, il y en avait des wagons. Mais des jerrycans allemands non. Je n’ai vu que celui-là », précise Maurice. « Ce qui est incroyable, c’est qu’il était repéré, il servait tout le temps. Et il est toujours revenu. Il a visité l’arrondisse­ment ».

Des années 50 aux années 80, ce petit bout d’acier a rendu bien des services. Avant d’être remisé et oublié dans un bâtiment au côté des vieux tracteurs. « Il n’a pas été précieusem­ent stocké. Puis, un jour, je l’ai mis de côté. On y tenait. On avait une attache. Un vétérinair­e de Villedieu a même voulu me l’acheter. Mais je lui ai dit que je ne voulais pas le vendre ». Aujourd’hui, Maurice Lebouvier souhaite le donner. À un musée. Et garde ses souvenirs plus que jamais bien ancrés.

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