Le Courrier de l'Eure

La mairie du Neubourg condamnée à payer

Frédéric Roger a intenté un procès à la ville du Neubourg qui s’était approprié son terrain sans régularise­r la situation. La justice lui a donné raison et condamne la commune à lui verser plus de 6 000 € pour 3 m² !

- Anthony Bonnet

« Ça, vous ne l’écrivez pas ! Donnez-moi votre stylo ! » Cigarette à la main, assis derrière la table de son salon, Frédéric Roger se laisse aller à la confidence, avant de se rappeler brutalemen­t qu’un journalist­e est en face de lui. Cet habitant du Neubourg, âgé de 54 ans, a le verbe haut, la rancune tenace (c’est lui qui le dit) et une excellente connaissan­ce des petites et grandes histoires de la commune. Il en raconte certaines et préfère en garder beaucoup secrètes… « Pour être puissant, il faut être bien informé » , assène-t-il en fixant droit dans les yeux. Frédéric Roger est issu d’une des plus vieilles familles du Neubourg. Son père est né rue Octave Bonnel, là où sa grandmère, une épicière réputée, est morte assassinée en pleine nuit en août 1970 par un cambrioleu­r à la recherche d’un butin. Un crime sordide qui avait marqué les esprits, la vieille dame ayant été tuée à coups de poings.

Frédéric Roger avait huit ans à l’époque. Il devient propriétai­re dès sa douzième année, quand son père lui lègue des terrains avant d’avoir 60 ans.

Dialogue de sourds

Combien de terres possèdet-il exactement ? On ne le saura pas. « Vous posez trop de questions » , répond-il. Ce qui est sûr, c’est qu’il en possède beaucoup. L’une des parcelles se trouve chemin de Saint-Celerin. Elle donne lieu depuis plusieurs années à un sacré imbroglio avec la ville du Neubourg pour 3 m² de terrain en nature d’herbage. « Un litige digne de Clochemerl­e » , estime l’habitant. C’est même la justice qui a tranché le conflit, à la fin du mois de mai 2017, en condamnant la commune à verser plus de 6 000 € au riverain.

Tout débute en 2008 quand la municipali­té décide d’aménager le chemin Saint-Célerin. Elle contacte Frédéric Roger pour la cession d’une petite partie de la parcelle en question. Et, alors qu’aucune transactio­n amiable n’est conclue, elle réalise des travaux de voirie en 2012 en élargissan­t un trottoir, en déplaçant la clôture, pour faciliter l’accès au cimetière… Quelque peu contrarié par cette façon de faire, le propriétai­re se rapproche de l’équipe municipale, après l’élection de Marie-Noëlle Chevalier en 2013, pour tenter de trouver une solution. « Je suis un homme de principe » , tient- il à préciser. Il évoque même le sujet lors d’une réunion de quartier. Mais la ville l’informe que la régularisa­tion ne pourra pas avoir lieu dans les délais demandés « au motif de frais notariés » .

Frédéric Roger rencontre alors Francis Durand, l’adjoint au maire en charge de l’urbanisme. « Je lui ai fait découvrir la procédure administra­tive de cession, qui ne coûte rien et qui est parfaiteme­nt adaptée » , explique-t-il. Sauf que le conseil municipal, réuni le 24 juin 2013, préfère reprendre le bout de terrain quand le reste de ce terrain sera loti, selon le procès-verbal officiel. Puis, en septembre 2013, la mairie se dit d’accord pour une cession à l’euro symbolique, alors que Frédéric Roger leur proposait une cession à titre gratuit trois mois auparavant… Bref, la situation tourne au dialogue de sourds.

Esquives

Excédé, Frédéric Roger sollicite son avocat dès le début du mois de juillet 2013 après une ultime tentative de procédure amiable infructueu­se. Le 4 juin 2014, il fait assigner la commune du Neubourg au tribunal de grande instance d’Evreux « aux fins de voir constater une voie de fait sur une partie de sa propriété et subsidiair­ement, une emprise irrégulièr­e » . La ville du Neubourg tente de soulever une exception d’incompéten­ce du tribunal de grande instance, au profit du juge administra­tif, mais celle-ci est rejetée en novembre 2015. Trois mois plus tard, en janvier 2016, la commune conteste la voie de fait et l’existence d’une emprise irrégulièr­e. Elle se base sur un mail envoyé par Frédéric Roger le 24 juin 2013. Le message électroniq­ue était accompagné d’un acte de cession administra­tive pré-rempli. Sauf que cet acte n’était pas signé ! Et à aucun moment il n’y a eu d’accord ferme et définitif sur les conditions de la cession. « Il y a eu moult tentatives d’esquive de la municipali­té » , signale l’habitant.

Emprise irrégulièr­e

L’instructio­n est clôturée le 16 janvier 2017. Et le jugement est rendu le 30 mai dernier. Si le tribunal rejette les demandes de Frédéric Roger au titre de la voie de fait, par contre, l’emprise irrégulièr­e est bien reconnue. « En l’absence de titre lui permettant de déposséder Monsieur Roger de sa propriété, fut-ce d’une petite partie de celleci, et de régularisa­tion postérieur­e, il y a bien emprise irrégulièr­e » , peut-on lire dans la copie du jugement. Le prix au mètre carré étant de 120 €, la commune du Neubourg a été condamnée à payer 360 € au demandeur. Mais ce n’est pas tout. La facture est salée. La ville doit aussi verser 3 000 € de dommages et intérêts et 3 000 € également au titre des frais engagés par le plaignant, qui a tout de même été débouté quant à sa demande d’indemnisat­ion pour résistance abusive.

Au final, alors qu’il proposait de céder gratuiteme­nt son terrain au début des négociatio­ns, Frédéric Roger va toucher plus de 6 000 € ! Comment la ville du Neubourg a-t-elle pu se mettre dans cette situation ? Pourquoi ne pas avoir accepté la propositio­n de cession gratuite ? Est-ce une simple erreur ou de la mauvaise volonté vis-àvis du propriétai­re du terrain ? « Il y a surtout de la jalousie envers les vieilles familles du Neubourg, pense un témoin, qui préfère garder l’anonymat. Mais ces vieilles familles, elles sont solidaires entre elles ! »

Le riverain envisage de saisir le juge de l’exécution si jamais la commune ne paye pas. Mais la municipali­té a choisi de ne pas faire appel et devrait régler la facture en temps et en heure. « C’est cinglant, lâche Frédéric Roger en lisant les conclusion­s du jugement. Moi, jamais je ne recevrai ça. Je fais les choses en ordre, du moins j’essaye. »

Les défendeurs (la commune) ayant constitué avocat à Beauvais, dans l’Oise, je leur dis bravo pour les affaires économique­s du territoire ! Frédéric Roger ironise à propos du choix de la ville du Neubourg de solliciter un avocat inscrit au barreau de Beauvais pour représente­r la commune au tribunal de grande instance d’Evreux dans le litige qui les oppose. Lui a choisi un avocat du barreau de l’Eure…

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 ??  ?? Frédéric Roger a délimité la petite partie de son terrain, chemin de Saint-Célerin, au coeur du litige avec la ville du Neubourg. La justice, symbolisée par l’énorme balance accrochée devant la grille, a tranché en sa faveur.
Frédéric Roger a délimité la petite partie de son terrain, chemin de Saint-Célerin, au coeur du litige avec la ville du Neubourg. La justice, symbolisée par l’énorme balance accrochée devant la grille, a tranché en sa faveur.

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