Les confessions de Bruno Questel
Sa première élection en 1995, sa stratégie pour provoquer un nouveau scrutin en 2002 et devenir maire, en passant par les élections annulées de 2008, Bruno Questel a ouvert son album à souvenirs quelques jours avant de renoncer à son mandat.
Mardi 11 juillet, au conseil municipal de Grand Bourgtheroulde, les points les plus intéressants ne se trouvaient pas à l’ordre du jour, balayé en à peine 20 minutes. À l’occasion de sa dernière séance en tant que maire, fonction dont il a démissionné le 18 juillet en raison du cumul des mandats, Bruno Questel est revenu sur ses vingt années d’engagement dans la commune. Un long récit politique et personnel d’une quarantaine de minutes où le nouveau député a fait parler sa mémoire en évoquant quelques anecdotes peu connues du grand public ou peut- être oubliées. Une intervention conclue sous des applaudissements et avec beaucoup d’émotion. En voici quelques extraits.
1995, première élection
« La première fois que j’ai siégé dans cette assemblée, c’était en 1995. Je travaillais à l’Assemblée nationale et j’ai refusé trois parachutages dans des villes de 20 000 à 50 000 habitants. J’ai indiqué que si je me présentais à des élections, ce serait à Bourgtheroulde. Je vous laisse imaginer la tête de mes interlocuteurs quand je leur ai annoncé cela. Je suis né à Bourg-Achard, j’ai toujours considéré comme une énorme chance d’être élu dans la commune où était né mon père, mon grand- père, mon arrière-grand-père. Je suis sans doute passé à côté d’une carrière politique, à l’époque, pour avoir souhaité être élu municipal dans cette commune pour laquelle j’avais cet attachement, elle représentait mon berceau. J’ai décidé de me présenter sur la liste de Paul-André Got, qui était maire depuis 1969. Erick Poisson était là.
J’habitais Paris et je revenais pour les conseils municipaux, pour les commissions. C’était une soupape, je quittais un monde parisien qui n’a jamais été franchement le mien. J’avais la chance de pouvoir revenir chez mes parents et d’apporter ma petite pierre à l’édifice communal.
À l’époque, on rayait des noms sur les listes lors des élections municipales. Le résultat était uninominal. J’avais beaucoup de travail, je n’étais pas souvent là, je n’ai pas fait campagne et je suis sorti 7e sur 23, c’était peut-être le début de mes embêtements. J’ai été convoqué chez mon prédécesseur qui m’a demandé ce que je voulais faire. Je lui ai dit que j’aimerais bien être membre de la commission des finances et de la communauté de communes. Cela me semblait être des ambitions mesurées.
Le premier conseil municipal a lieu un dimanche matin et je ne suis ni à la commission des finances, ni à la communauté de communes ! C’est peut-être là où tout a démarré, où j’ai pris conscience que je mettais les pieds dans un environnement que je ne connaissais pas. J’ai interpellé celui qui a été réélu maire de Bourgtheroulde. Je lui ai dit qu’il ne respectait pas sa parole. Cahin-caha, je me suis inscrit dans la logique collective. J’ai mesuré à l’échelle cantonale une forme de cooptation et de notabilité dans les positions des uns et des autres. Je pensais aussi qu’il y avait une autre manière d’exercer un mandat municipal. Il y a peu de personnes qui me disent à ce moment-là de continuer. Parmi ces personnes, il y a Gérard Swertvaeger. Et si je suis aujourd’hui député, c’est grâce à un nombre de personnes que j’estimerais à moins de cinq, dont Gérard.
1998, premier échec
Mon premier échec cantonal, c’est 1998. Je me suis présenté seul contre tous. Les 18 maires du canton étaient contre moi. Je n’en veux surtout pas à ceux qui sont encore en fonction. Je découvre que nous sommes dans le bloc à bloc, nous ne sommes plus dans le non-partisan. Cet échec m’a marqué. Il y a eu une erreur ce soir-là. Et c’est moi qui ai dû dire à la personne chargée de collecter les résultats qu’il y avait une erreur : je n’avais pas gagné de 40 voix, mais perdu de 40 voix.
2001, le coup de poker
De 1998 à 2001, j’ai essayé de rester un élu municipal loyal vis-à-vis de la municipalité. Il s’est passé un épisode rarement évoqué publiquement. Erick Poisson a été présenté par mon prédécesseur à la mairie comme étant son successeur. Et Erick Poisson a demandé à me rencontrer, il voulait savoir si j’étais prêt à venir avec lui. Je lui ai dit que j’aimerais bien être adjoint aux finances. Et titulaire à la comcom. Il m’a alors indiqué qu’il trouvait ma demande légitime. Malheureusement, les équipes qui entouraient mon prédécesseur ont refusé.
C’est alors qu’une mouche m’a piqué. J’ai fait ma liste. J’étais seul. Et j’ai reçu un coup de fil qui a sans doute été déterminant. C’est celui de Marc Morisset, qui était au conseil municipal depuis 1995. Il m’a dit qu’il partirait avec moi. Cette campagne de 2001 a été menée avec un collectif de personnages divers et variés. Le troisième a nous rejoindre a été Gilles Ripert, qui a été d’une loyauté exemplaire. Le quatrième, c’est Didier Parin. Didier a été d’un dévouement et d’un désintéressement dans l’engagement que j’ai peu vu ensuite.
Nous sommes en tête au premier tour. Nous avons huit élus, mais nous sommes dans la naïveté la plus totale. Je me dis que les électeurs ne vont pas se déjuger entre les deux tours. Mais au 2e tour, on se prend une taule, et on se retrouve 8 contre 15. Et je crois que nous devenons les huit opposants les plus emmerdeurs que l’on puisse trouver dans le département. Nous décidons de tout éplucher. Et à notre grande surprise, mon prédécesseur démissionne moins d’un an après pour des raisons personnelles. Plusieurs candidats renoncent et on se retrouve avec une majorité qui n’a pas de candidat à présenter.
Je suis devenu maire de Bourgtheroulde sur un coup de poker. Il fallait qu’un tiers du conseil démissionne pour qu’il y ait des élections partielles. Je leur dis : on démissionne tous, les 23, et on redonne la parole aux habitants. L’équipe en place me dit non. Alors je leur dis, puisque vous ne voulez pas démissionner à 23, vous en choisissez 8 dans votre équipe qui démissionnent et on redonne la parole à la population. Mon prédécesseur emmène tout le monde dans la salle d’à côté et ils nous donnent huit noms à ma grande stupéfaction. Je demande confirmation des huit noms précités. Et je rappelle à mon prédécesseur que 7 et 8 font 15. Et que l’équipe municipale sortante est tombée à 7. Je suis devenu maire de Bourgtheroulde parce que 7 et 8 font 15 ! La population a revoté, le jour du premier tour des élections législatives de 2002, nous avons remporté les suffrages largement et nous avons accédé aux responsabilités.
Je me suis présenté à la présidence de la communauté de communes et j’ai été battu d’une voix.
2008, l’élection annulée
La campagne de 2008 n’a pas été agréable, je ne comptais plus les lettres anonymes. Et puis, il y a eu un aléa juridique. Les élections 2008 ont été annulées, un mauvais copier-coller a fait que la mention « Votez la liste complète » est restée sur les bulletins de vote, ce qui n’était pas autorisé. Nous avons gagné largement les élections municipales, mais les 23 élections individuelles sont annulées. Lorsque cela m’a été annoncé j’étais en voiture sur une quatre voies, j’avais un rendez-vous professionnel. Et j’ai cassé une jante. Je ne m’y attendais pas du tout.
Le soir, je décide qu’on va faire appel et puis j’ai réfléchi à une démission. J’ai appelé mes deux conseillères, ma mère et mon épouse, qui étaient d’accord. J’ai réuni à nouveau mes 22 collègues et je leur ai dit que, finalement, on démissionnait. Et au moment d’aller à la préfecture pour déposer les démissions, je me plante en voiture sous un poids lourd. J’étais sur la civière et j’ai demandé aux pompiers de ne pas m’emmener tant que je n’aurais pas la 23e démission. L’opposition a été un peu prise de court. Les élections ont été organisées le 6 juillet, date de la fête patronale. Le résultat a été sans appel. Nous avons gagné et nous sommes repartis pour un tour. »
Propos recueillis par Anthony Bonnet