Le Courrier de Mantes

L’émouvant retour d’Henri chez les Charpentie­r

- M. T. (avec Da. G.)

La maison des époux Charpentie­r se trouve aujourd’hui au 24 rue de la division Leclerc. Elle est toujours la propriété de la famille. Le 9 juin, 75 ans après ses premiers pas dans cette habitation du vieux Gargenvill­e, Henri Konsens (80 ans) est revenu sur les lieux. La machine à remonter le temps s’est alors emballée, entre souvenirs vivaces et émotion contenue.

L’ancien élève du prestigieu­x Lycée Louis-le-Grand à Paris remarque immédiatem­ent le changement de revêtement du sol de la vaste entrée, autrefois carrelé d’un damier noir et blanc. C’est en effet dans cette pièce, en 1942, qu’il s’est fait retirer les amygdales.

« Je revois encore Germaine éponger le sang sur le sol. »

Pas à pas, Henri revit son quotidien aux côtés des Charpentie­r. Chaque endroit le replonge loin en arrière. Son entrée dans la chambre qu’il partageait avec sa cousine, un voile de larmes derrière ses lunettes, est poignante. Il redécouvre aussi cette cour extérieure, dont il garde un souvenir intact.

« Ils élevaient des lapins, mais aussi un cochon. Je m’en souviens très bien car j’étais là le jour où le boucher charcutier est venu en cachette pour le tuer puis le transforme­r en boudins, saucisses… J’ai tout vu. Mais il ne fallait surtout pas que ça se sache. C’était la guerre, c’était interdit d’avoir un cochon chez soi. »

En 1942, à Gargenvill­e, il fallait en effet être discret. Depuis le premier étage de la maison, on aperçoit encore aujourd’hui les fenêtres d’une grande bâtisse, où l’occupant allemand avait élu domicile, à proximité de la première école fréquentée par Henri.

« Je me souviens qu’ils venaient donner du pain noir aux Charpentie­r. Ce n’était pas des mauvais bougres, pas des nazis, juste des simples soldats. »

La chasse aux Juifs, en revanche, était bien réelle. Et le maire de la commune,

« collaborat­ionniste notoire »,

« On offrait, ici comme ailleurs, des primes, 10 000 francs de l’époque, aux dénonciate­urs de Juifs, de communiste­s et d’étrangers. D’après un document que

avec zèle. y participai­t

j’ai retrouvé, 30 Juifs ont été recensés par la milice dans la commune. Seuls trois s’en sont sortis vivants… »

De sa vision d’enfant sur la guerre, l’occupation et ses atrocités, Henri souligne qu’il avait

« une conscience absolue de ce qu’il se passait ». « Un enfant est beaucoup plus perméable au danger qu’un adulte, j’en sais quelque chose pour l’avoir vécu comme médecin. »

Cette lucidité face au péril qui le menaçait lui a sans doute permis de retenir, plus qu’un autre parmi ses camarades de classe, les prières catholique­s apprises chez le Père Lepilleur.

« Un enfant qui a peur devient très malléable, il sait à qui il doit faire confiance pour se protéger. »

Lorsqu’Henri explique sa démarche pour faire reconnaîtr­e les Charpentie­r comme Justes, il parle d’un

« devoir de mémoire devenu impératif ».

Il n’avait pourtant jamais parlé de son histoire avant aujourd’hui. Il en réserve l’exclusivit­é à ses proches pour ce 19 juin. Pour lui, cet épisode de sa vie relève d’abord Mais ce dont il est parfaiteme­nt

« de l’intime ».

conscient, c’est que, sans la protection des Charpentie­r,

« [il] serait mort aujourd’hui ».

Henri n’a commencé à constituer son dossier qu’en 2011. Sa vie profession­nelle, riche et intense jusqu’à 69 ans, ne lui en avait pas laissé le temps. Dans son travail de documentat­ion, il a reçu l’aide du Mémorial de la Shoah à Paris et du Mémorial des enfants du Vél’ d’Hiv’ d’Orléans.

« Un devoir de mémoire » « La boucle est bouclée »

Avec l’aboutissem­ent de ses quatre ans de travail et la cérémonie d’hommage,

Le texte qu’il a prévu de lire pour la cérémonie, retravaill­é une dizaine de fois, est fin prêt. Celui qui ne

est bouclée ». « la boucle « regarde jamais en arrière »

est désormais en paix.

À Jérusalem, où il a été bien des fois, Henri a déjà fait graver le nom de son père au mémorial de Yad Vashem. Une voix y fait résonner le nom des victimes de l’Holocauste en permanence. Car comme il le dit,

« nommer, c’est donner la vie ».

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