Le Courrier de Mantes

Yolande Moreau « Nulle part en France », mais bien à l’Astroport

« Donner un visage à cette peur-là, aux réfugiés. » Dans un documentai­re diffusé sur Arte, la comédienne a arpenté la jungle de Calais, caméra au poing. De passage à l’Astroport, vendredi 10 juin, Yolande Moreau a livré un message plein d’humanité.

- E.O.

« J’ai eu peur, je n’avais jamais fait de documentai­re, et c’est pas ma place… Puis je me suis dit : on te donne la parole, carte blanche. Mais comment raconter, sans misérabili­sme ? »

La projection de Nulle part en France vient de se terminer dans un silence à couper au couteau, sur l’image d’une gamine, engluée dans la boue, à mi-bottes dans la désolation du camp de Calais.

Mais après quelques instants, les regards et les applaudiss­ements se tournent vers Yolande Moreau, qui fait face à un Astroport plein à craquer. Il faut avouer que les organisate­urs ont dû en refuser, du monde, pour cette projection en présence de l’ex-Deschiens, aussi comédienne césarisée de Séraphine et réalisatri­ce de Quand la mer monte.

« Qu’est ce que ça vous fait de revoir votre film ? »

demande, curieuse, Élisabeth Lerminier, maîtresse des lieux, à son invitée.

« J’aime bien, ça me rappelle les rencontres que j’ai faites, la colère partagée par plein de gens. »

Parmi ces colères que l’on tait, ces jets de pierre à venir, celle d’Aoré, un jeune réfugié que la comédienne a interrogé longuement.

« Aoré, il pourrait être mon fils, Comme je suis ici près de chez moi, j’ai pensé à un relais qu’on pourrait faire : le prendre chez moi deux semaines, puis d’autres prendraien­t la suite, chacun son tour. »

Et plusieurs Passagers de l’Astroport se sont dits prêts à accueillir le jeune géologue irakien du film, qui en était déjà à ses dix-sept tentatives

Un appel à la solidarité

À ses côtés, Mike Deschamps, militante de l’Asti (Solidarité avec les travailleu­rs immigrés) et de la Ligue des Droits de l’Homme, fait le point de ce qui se passe dans la région mantaise, notamment à Limay et remet les pendules

« En 2015, à côté des 2 millions de réfugiés de l’Allemagne, la France n’a eu que 80 000 demandes d’asile, 25 000 ont été reconnus comme tels, dont 10 000 Syriens. »

Yolande Moreau n’est pas du genre à faire les choses à moitié : elle a distribué des fascicules d’Amnesty Internatio­nal, Dix idées fausses sur les

« Mettez-les dans les salles d’attente des docteurs, dentistes »

migrants.

propose la réalisatri­ce, avant de vanter les bénévoles de Calais et l’action formidable du maire de GrandeSynt­he, Damien Carême. Sans oublier la population locale et les difficulté­s qu’il y a de vivre à côté de la « jungle », elle reconnaît avoir eu froid dans le dos devant certaines réactions, haineuses au plus haut point. Elle est comme ça : humaine et sans concession.

Porte-voix des oubliés, à travers la plume de l’écrivain Laurent Gaudé, qui a écrit le commentair­e de Nulle part en France.

dit-elle. Car au-delà des images, ce sont les mots et la voix de Yolande Moreau qui font la force de l’oeuvre, à commencer par la fin :

« Ci-gît l’Europe »

« Il a le mot juste »

« La France est peureuse… mais ne nous y trompons pas : ce qu’on enterre avec nos bulldozers, ce ne sont pas les tentes des migrants, c’est la passion européenne… Cigît l’Europe, et son concert d’égoïsmes. »

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