Régis Debray et Didier Leschi déclinent leur abécédaire de la laïcité
Ils viennent de publier La laïcité au quotidien, un abécédaire évoquant la caricature, la cantine scolaire, le foulard, les imams, le blasphème, la jupe longue… Ils étaient les invités de la bibliothèque de Mantes-la-Jolie dans le cadre de Rencontre & Déd
On ne présente plus Régis Debray. Philosophe, écrivain, chercheur, chargé de mission auprès de François Mitterrand de 1981 à 1985, directeur des Cahiers de médiologie, il est aussi l’auteur d’un rapport sur l’enseignement du fait religieux dans l’école publique. Quant à Didier Leschi, c’est un haut-fonctionnaire qui a été préfet délégué pour l’égalité des chances en Seine Saint-Denis. Il est actuellement chef du bureau central des cultes au Ministère de l’Intérieur et en charge des réfugiés à l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Il vient de publier Misère de l’islam en France (éditions du Cerf). Entretien sous forme de questions-réponses avec le public.
Comment définiriez-vous la laïcité ?
Didier Leschi
: La laïcité, c’est d’abord un cadre juridique même s’il n’y a pas de définition juridique de la laïcité. Le mot, d’ailleurs, ne figure pas dans la loi de 1905 qui n’est donc pas le début de la laïcité. Ce cadre juridique s’est construit tout au long du XIXe siècle pour rompre avec la société d’Ancien Régime qui était dominée par la « vérité de l’Église ». La laïcité n’est pas un régime de tolérance, mais un régime de droit visant à exclure progressivement l’Église de ses prétentions dans toute une série de domaines. En particulier au niveau de l’école où les affrontements ont été violents.
Ce livre se
Régis Debray :
veut une sorte de vade-mecum qui puisse mettre d’accord tout le monde. Nous avons essayé de retrouver les points discriminants de situations concrètes pour définir ce qu’est une attitude de laïcité.
La caricature est un sujet qui semble particulièrement important dans votre livre ?
R.D. :
La caricature, c’est à la fois très embêtant et passionnant ! Elle est un peu un thermomètre : là où le caricaturiste n’est pas admis, là où il est exposé à des représailles, on est ni en laïcité, ni dans un régime de séparation entre l’intime et le public. Mais si la caricature est « embêtante » c’est parce qu’elle est liée à la question du sacré. Or, en principe le sacré ne se caricature pas. Le sacré, c’est ce qui légitime le sacrifice et interdit le sacrilège. Et on sait qu’il est des religions où l’image est sacrilège. D’autre part, une caricature est beaucoup plus exposée qu’un article ou un livre car il faut être lettré pour lire un livre alors que l’image parle à tout le monde et son immédiateté en fait quelque chose d’exposé et d’explosif.
Quelle est votre position sur Charlie Hebdo ?
R.D. :
Elle est un peu particulière. Avec Charlie Hebdo, on peut ne pas être d’accord parce que je crois qu’il faut de la civilité dans le monde, c’est-à-dire qu’il ne faut pas imposer ses propres critères aux autres parce qu’on croit que notre culture est La culture. Il faut avoir une sorte de politesse, de respect. Une image du prophète qui pour nous est anodine, ne l’est pas ailleurs. Une amie tunisienne très laïque m’avait expliqué que « le Prophète, c’est l’image du Père et nous, on est dans un monde où quand on injurie, je mets mon poing dans la gueule de celui qui injurie mon père ! Ici, il y a un respect de la figure du Père que vous ne pouvez pas comprendre en Occident ». Ce n’est pas un problème lié à la divinité mais à la sacralité de la figure paternelle. Il faut tenir compte de ces différences d’approche.