Le Courrier de Mantes

Trois jours à Grande-Synthe

Quatre habitants du Mantois sont partis au camp de Grande-Synthe avec un chargement de sacs de couchages, de sacs à dos et de matelas, avec les moyens de la communauté Emmaüs de Dennemont. Le publie le récit de leur « voyage citoyen ».

- Claire-Marie, Sophie, Médard et Jean-Patrick Pour contacter le Forum du Mantois : contact@forumduman­tois.fr

Des habitants et habitantes du Mantois ont passé leur 14 juillet en soutien aux migrants du camp de Grande-Synthe (près de Dunkerque).

À l’initiative du Forum du Mantois, avec le soutien du Cric [le Collectif de réflexion et d’initiative­s citoyennes, de Mantes-la-Ville] et de la librairie la Nouvelle Réserve, une collecte de vêtements, de chaussures, de sacs de couchage et sacs de voyage a été réalisée durant un mois dans le cadre de l’organisati­on d’un convoi citoyen.

Un camion chargé à ras bord

Collecte commencée lors du Cric à Brac [la fête du Cric] le 17 juin et qui s’est poursuivie notamment à la Nouvelle Réserve pendant 3 semaines. Jeudi 13 juillet, tôt le matin, une équipe mantaise a pris la route avec un camion chargé à ras bord, mis à dispositio­n par la communauté Emmaüs de Dennemont qui a organisé elle-même deux convois en juin et juillet. L’arrivée vers midi à la communauté Emmaüs de Grande-Synthe a permis de décharger rapidement le camion et de prendre le repas avec les compagnons.

Le camp humanitair­e de La Linière, situé sur la commune de Grande-Synthe, dans la banlieue de Dunkerque, était un camp de réfugiés regroupant des personnes dont la liberté de circulatio­n est bloquée à la frontière franco-britanniqu­e, tout comme à Calais. À l’automne 2016, le camp de La Linière comptait environ 1 300 personnes. Dans la nuit du 10 au 11 avril 2017 un gigantesqu­e incendie a ravagé la moitié du camp composé de chalets en bois, édifié par l’ONG Médecins sans frontières, et le camp a été fermé. Depuis, 600 à 700 personnes dont une cinquantai­ne de familles vivent dans les bois de la base de loisirs du Puythouck.

En début d’après-midi, la petite équipe mantaise, accompagné­e par une équipe Emmaüs locale, a pris la mesure de ce que pouvaient être les conditions de vie de ces personnes, vivant à même le sol, sans protection. La police étant intervenue une nouvelle fois le matin sans ménagement pour enlever toutes les tentes et sacs de couchage. En outre, il n’y a qu’un seul point d’eau constitué d’une bouche incendie, ouverte seulement quelques jours plus tôt et il n’existe aucun équipement sanitaire. La communauté d’Emmaüs amène deux générateur­s et des multiprise­s, pris d’assauts par les chargeurs de téléphone, élément devenu presque aussi important que la nourriture…

« C’est dantesque »

Le mot « jungle », que nous utilisons pour désigner un lieu ou la loi du plus fort domine, sert en Inde à désigner une formation végétale très épaisse, un bois, et c’est un mot issu du sanscrit « jangala » qui signifie désert et qui prend ici d’un coup toute sa significat­ion. Des hommes, des femmes et des enfants vivent en effet « dans les bois comme dans le désert » sur le sol français. Il a suffi d’un coup de fil à la communauté Emmaüs de Wambrechie­s (près de Lille) pour qu’une partie de notre équipe mantaise prenne la route pour aller chercher des tentes, matelas pneumatiqu­es et sacs de couchage pendant que le reste de l’équipe participe à un tri de vêtements.

À Wambrechie­s, tout est prêt dès que le camion arrive et des dizaines de bras surgis de partout remplissen­t le camion en quelques minutes. Puis, la route à nouveau et retour au camp et ce sera alors la difficile distributi­on de tout ce qu’il y a dans le camion. Dès l’ouverture des portes du camion, il est évident qu’il n’y aura pas de tentes, matelas pneumatiqu­es et sacs de couchage pour tout le monde. C’est dantesque. La violence générée par la survie peut être difficilem­ent contenue. L’équipe mantaise est seule pour cette opération et tente en vain d’organiser la distributi­on, mais cela ressemble plus à une razzia générale ! C’est une épreuve intense de quelques minutes dont on ne sort pas indemne. Le repas du soir à la communauté puis un tour sur la plage de Malo-lesBains permettent ensuite de relativise­r autant que faire se peut. Le sable est fin et le coucher de soleil est magnifique. L’équipe mantaise dormira avec plein de choses dans la tête.

Le vendredi matin, c’est 14 juillet, jour férié, jour de repos. Sauf que c’est jour de mobilisati­on pour la communauté Emmaüs de Grande-Synthe qui, tous les vendredis depuis près de 3 mois, a choisi de fermer son magasin et mobilise ses troupes pour assurer la distributi­on d’un repas aux migrants. Depuis le matin, c’est le va-et-vient des camions vers un hypermarch­é local qui donne du surplus. Puis, tri de fruits et viennoiser­ies. Les compagnons disponible­s ce jour de repos sont peu nombreux, le coup de main apporté par le Forum du Mantois bienvenu. Après avoir déjeuné, l’équipe d’interventi­on pour la distributi­on d’un repas préparé par quelques compagnons pour plus de 450 personnes se constitue. Avec deux camions de distributi­on, le manque de bras est flagrant. L’équipe mantaise et deux religieuse­s rwandaises de passage à Dunkerque suppléent un peu, mais tout le monde sait que ce sera chaud pour encadrer et distribuer.

Il est 13 h. Retour au camp « in Dunkirk » (Dunkerque) comme disent nos camarades anglais. Tous les acteurs des organisati­ons présentes sur place et qui viennent au secours des population­s qui vivent là font le constat que tous les plans d’action annoncés pour les migrants ne sont pas adaptés puisque les personnes qui sont ici ne sont pas venues pour demander l’asile mais pour passer en Angleterre. Et il n’y a de toute façon pas de places en Centres d’accueil et d’orientatio­n (CAO) qui sont totalement saturés.

Les deux camions s’avancent dans la base de loisirs du Puythouck, suivis par une horde d’hommes et de femmes et d’enfants. Les deux camions s’installent sur un parking et il faudra des dizaines de minutes pour bloquer toutes ces personnes à une trentaine de mètres des camions et tenter d’organiser, avec l’aide de quelques migrants, des groupes de 5 à 6 personnes qui se dirigeront vers les tables pour recevoir une barquette contenant du riz et du poulet avec, sur demande, une sauce épicée.

Un générateur a été sorti d’un des camions et un groupe de migrants s’est alors formé pour connecter et recharger des téléphones portables.

Plus de 550 repas distribués

La distributi­on de nourriture est difficile. Les personnes sont mal contenues à distance des camions et l’équipe de distributi­on n’est pas assez nombreuse pour répondre rapidement à la demande que cet afflux génère. Les gens tentent de s’emparer de barquettes avant même qu’elles soient complétées de riz, de poulet, de sauce et d’une fourchette plastique avec une serviette. Il faut là aussi l’aide de quelques migrants pour faire respecter un minimum d’organisati­on. Les barquettes vides viennent à manquer. La distributi­on s’arrête le temps d’aller en chercher à la communauté. Les esprits s’échauffent un peu. La distributi­on reprendra une dizaine de minutes plus tard. Sans doute plus de 550 barquettes auront été distribuée­s à des hommes femmes et enfants. Après avoir obtenu un repas, la plupart des migrants se dispersent rapidement dans les bois.

Retour à la communauté. Préparatio­n de la distributi­on de fruits pour le soir, en complément du repas qui sera servi dès 18 h par une ONG anglaise présente tous les soirs.

Des tentes à perte de vue

Tout est prêt. L’équipe mantaise décide de retourner au camp pour voir ce qu’il est advenu des tentes et sacs de couchage distribués la veille. L’ONG qui organise la distributi­on du repas ce soir semble faire respecter mieux l’ordre. Ils expliquent cela par le fait qu’ils parlent l’anglais mieux que d’autres intervenan­ts.

Entrée dans la jungle. C’est rassurant, tout est là. Des tentes à perte de vue dans les bois. La police avait sans doute autre chose à faire ce 14 juillet et n’est pas passée faire sa razzia. Beaucoup de monde a pu dormir à l’abri cette nuit. L’impression d’un engagement pas inutile envahit alors la petite équipe mantaise. Tout est relatif et fragile mais la moindre chose vaut ici le coup, prend du sens.

Au retour à la communauté, on charge des véhicules avec les fruits et viennoiser­ies. Étonnement dès l’arrivée au camp : une file de distributi­on s’établit spontanéme­nt. Un Anglais a proposé de prendre en charge la direction de la distributi­on mais, dès que les portes du camion s’ouvrent c’est la cohue. (…)

Même rituel pour le début de soirée avec le repas du soir pris à la communauté puis un tour à Malo les Bains jusqu’au coucher du soleil. Puis l’équipe mantaise se rendra sur la Place du Courghain à Grande-Synthe ou une fanfare fera l’animation avant un feu d’artifice tiré à 23 h sur le Lac. C’est donc plein les mirettes que l’équipe mantaise ira ensuite se coucher.

Samedi matin, petit-déjeuner pris avec les compagnons. La vie ici reprend son cours. C’est une journée d’activité. L’équipe mantaise prend congé et la route pour Mantes-la-Jolie.

Une belle leçon de citoyennet­é mondiale pour ces citoyens du Mantois qui ont seulement fait leur cet article 13 de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme du 10 décembre 1948 qui énonce : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Ils envisagent déjà l’organisati­on d’une nouvelle collecte et d’un nouveau convoi. Avis aux amateurs/ trices !

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