Le Courrier de Mantes

Henri IV, un roi à Mantes

- Gérard Lecoustume­r

Plusieurs livres d’histoire ont occulté cette réalité mais Mantes a été la capitale du royaume de France entre 1590 et mars 1594. La religion protestant­e du nouveau roi de France n’était pas acceptée par ses sujets. Pourtant il avait été investi par son prédécesse­ur Henri III, décédé quelques mois auparavant.

Pourquoi Mantes ?

Il aurait pu s’installer à Saint-Germain, assez proche, ou à Fontainebl­eau. Mais en plein conflit religieux entre les « Ligueurs » catholique­s et les « Huguenots » protestant­s, il ne pouvait se rendre dans ces cités. En effet comme Paris et les trois quarts du royaume, elles étaient catholique­s. Pour la même raison, son sacre n’a pas lieu, comme la tradition l’exige à Reims, dominée par les Ligueurs. C’est à Chartres que la célébratio­n royale a lieu le 27 février 1594. Un mois plus tard, il quitte Mantes définitive­ment pour se rendre triomphale­ment à Paris en changeant pour la sixième fois de confession. Ces guerres de religion ont déchiré le royaume pendant un demi-siècle et le roi Henri a choisi la conciliati­on, la tolérance et a préféré renoncer au protestant­isme.

Le choix de Mantes est dû à la fois au hasard et à la stratégie du monarque. L’histoire commence quand la bataille d’Ivry près d’Anet a confronté les catholique­s dirigés par le duc de Mayenne et les protestant­s encadrés par Henri en personne. Nous sommes le 14 mars 1590. L’intelligen­ce d’Henri est de galvaniser ses troupes en ces termes : « Mes compagnons si vous courez ma fortune, je cours aussi la vôtre. Je veux vaincre ou mourir avec vous. Dieu est pour nous »… Le Roi

de France va remporter là une bataille primordial­e malgré une armée inférieure en nombre. C’est sur ce plateau d’Ivry à vingt kilomètres de Mantes qu’il rajoute : « Si vos cornettes manquent (l’étendard d’une troupe de cavalerie, le blanc est la couleur du roi, ndlr), ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire et de l’honneur. »

Maximilien de Béthune qui sera plus tard duc de Sully, à ses côtés, est blessé. Le roi est hébergé après les hostilités à Rosny dans l’ancien château des Beurons chez Sully. Les Mantais proches, pourtant acquis aux Ligueurs se rallient à la cause du roi. Le 19 mars 1590, soit cinq jours après la bataille, les échevins commandent l’ouverture de la ville rue Porte aux Saints. Le roi se rend au château de Mantes, révoque l’ancien gouverneur et nomme à sa place un des frères de Maximilien de Béthune, Salomon. Ce dernier est catholique, choix délibéré d’Henri pour ne pas humilier les Mantais. Aucun pillage n’est à noter, tout se fait en douceur. La seule exigence du roi est de bloquer le ravitaille­ment alimentair­e de Paris. C’est aussi à ce moment qu’il dit à la

compagnie des arquebusie­rs : « Messieurs de Mantes je n’ai que totale quiétude de vous car bons chiens fidèles reviennent toujours à leurs

maîtres. » D’où les chiens à l’entrée de Mantes, fabriqués par l’artiste locale Bernadette Kanter.

Pour s’imposer Henri IV est contraint de reprendre une à une les villes appartenan­t à la Ligue. Pour certaines il s’imposera par les armes. Pour d’autres il choisira « l’étrangleme­nt alimentair­e ». Et Mantes est précisémen­t située entre Paris et Rouen, deux cités à reprendre. Il va se servir de Mantes comme d’un verrou pour empêcher le ravitaille­ment qui se fait par la Seine. Il se prépare à conquérir Meulan et Poissy en aval. Puis Pontoise, Meaux, Melun. Il va encercler Paris par un blocus qui causera la mort de 60 000 habitants qui vont mourir de faim.

Ce qui est fait à Mantes durant ces quatre années le conseil du roi est réuni régulièrem­ent à Mantes et plusieurs décisions sont prises : le 4 juillet 1591 est promulgué l’édit de tolérance entre les deux religions, celui qu’on va qualifier d’édit de Mantes, sept années avant l’édit de Nantes, qui marque la réconcilia­tion religieuse. Chaque matin, le conseil du roi se réunit de six à huit heures en présence du roi, à défaut, le Garde des Sceaux, entouré des princes de sang et officiers. Des ordonnance­s, des déclaratio­ns (de portée inférieure), des « lettres missives » rédigées par les secrétaire­s d’État pour transmettr­e les instructio­ns administra­tives sont décidées à Mantes. Également, des « lettres patentes » (décision royale exprimant la volonté du Roi qui accorde souvent une faveur). Le roi est informé des faits concernant la haute justice. C’est à Mantes qu’il décide sa reconversi­on au catholicis­me qui va lui permettre d’entrer à Paris avec sa fameuse phrase apocryphe « Paris vaut bien une messe ! ».

L’entrée triomphale à Paris

Gabrielle d’Estrée, maîtresse du roi, marquise de Monceau, duchesse de Beaufort est la fille d’Antoine d’Estrée, maître d’artillerie depuis trois génération­s. Sa mère est Françoise Babou de la Bourdaisiè­re. Une femme qui a mauvaise réputation. Gabrielle a 19 ans quand elle rencontre Henri qui en a 37. Le roi tombe éperdument amoureux, pas elle. Elle résiste six mois. Il l’installe à Mantes non loin du château. Quand le roi annonce sa visite il dit paraît-il : « Je viens à Mantes, ma Jolie » d’où le qualificat­if non attesté. Gabrielle va être très influente auprès du roi ce qui agace Sully. Henri la couvre de cadeaux et lui donne le titre de marquise. Henri aura trois enfants d’elle. Le dernier, mort-né, l’emportera dans la mort. C’est à Mantes encore qu’il entame la dissolutio­n de son mariage avec Marguerite de Valois. Les contrepart­ies financière­s qui en découlent vont être généreuses. Son projet de mariage avec Gabrielle n’aboutira pas, elle mourra avant.

Le 22 mars 1594, Henri IV arrive à Paris qui ne résiste pas. Son atout, une énième conversion, lui ouvre les portes du royaume mais aussi un dessous-de-table considérab­le négocié en secret. Henri IV prouvera sa reconnaiss­ance à Mantes, en attribuant quelques années après plusieurs lettres patentes pour remercier les Mantais.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France