Le Courrier des Yvelines (Poissy)

Tourisme sexuel : le pédophile écope de 16 ans de réclusion

- F. D.

Renvoyé devant la cour d’assises de Versailles, Thierry D., ancien directeur de maison de retraite au Pecq a été condamné à 16 ans de réclusion criminelle. Plus de 66 enfants ont été victimes.

Une affaire d’une ampleur exceptionn­elle, peut-être même inédite au regard du nombre de victimes recensées. Voici ce qui ressort des trois jours d’audience à la cour d’assises des Yvelines, qui ont abouti à la condamnati­on de Thierry D. Cet homme de 53 ans, ancien directeur de la maison de retraite Notre-dame du Pecq, était accusé d’avoir abusé d’au moins soixante-six enfants entre 2001 et 2011 au Sri Lanka, en Tunisie ou encore en Égypte. Les plus jeunes avaient tout juste six ans. Certains étaient frères. Tous vivaient dans une réelle misère financière.

Pédophilie. Ce mot n’est arrivé que tardivemen­t dans la bouche de Thierry D., devant les six jurés de la cour. Pendant deux jours, le prédateur sexuel a préféré employer les termes de jeunes garçons, d’enfants.

« Je n’ai pas la réponse »

Le visage terne et gonflé, vêtu d’une chemise bleu clair et d’un pull camionneur marron, le quinquagén­aire est globalemen­t resté tourné sur lui-même. Il a certes exprimé sa volonté de « collaborer avec la justice ». Il a exprimé « des regrets ». Il a demandé « pardon à ces jeunes » qu’il ne reverra « jamais ». Mais au final, Thierry D. a plutôt laissé l’impression qu’il procédait à une synthèse de sa thérapie inachevée. «Je ne suis pas sorti de tout cela. Je n’ai pas ma place dans la société. J’ai l’impression qu’il y a quelqu’un d’autre à côté de moi. Je me demande pourquoi j’ai fait tout cela. Je n’ai pas la réponse ». Ou du moins peut-être ne l’a-t-il pas encore vraiment acceptée.

L’ancien directeur de retraite l’a cependant expliqué à maintes reprises. « Je reconnais ma lâcheté de ne pas avoir assumé mon homosexual­ité. Je ne connaissai­s même pas les gestes. Et je n’ai jamais eu le courage d’aller vers les grands ». Cette explicatio­n estelle suffisante ? Il semble qu’elle n’ait pas trouvé un écho retentissa­nt auprès de la cour. Encore moins lorsque le président de la cour, Philippe Boussand, a fait projeter dans la salle plusieurs photograph­ies.

Le magistrat avait prévenu qu’il s’agissait des moins terribles, qu’elles pouvaient choquer. Et pourtant… Le public a pâli, détourné le regard. Thierry D. a regardé. Il a vu ces visages d’enfants souffrant ou pleurant, certaines parties du corps meurtries par les coups, les actes sexuels, les scénarios imaginés. « Je n’arrive pas à comprendre comment je suis allé si loin. J’étais en quête de quelque chose que je n’ai pas trouvé. Ces photos, ces vidéos que j’ai gardées, c’était du collection­nisme. Je voulais garder une trace de ces moments fugaces, de ces moments que je ne retrouvera­i jamais. » « Êtes-vous un manipulate­ur ? », s’inquiète la cour. « Qui suis-je… Ce monstre dont on parle ? Peutêtre… », souffle l’accusé.

La suite prend une tournure plus inquiétant­e. « J’ai commencé par des grands enfants. Et puis ils étaient de plus en plus jeunes. ce n’est pas moi qui allais à eux, mais eux qui allaient à moi. Cela me fascinait, cela correspond­ait à mon fantasme. » « Enfin Monsieur ! C’était des petits !, rappelle Philippe Boussand. Vous avez utilisé votre chevalière pour la mettre autour de leur sexe. On image aisément le petit diamètre de votre bague. Cela laisse imaginer la jeunesse des 66 victimes. » « Tout cela est vrai, admet Thierry D. C’est un chiffre affolant, mais je n’ai pas tenu de comptabili­té. »

Un tableau des performanc­es sexuelles

Une comptabili­té non. Mais un tableau oui. Dans son ordinateur, les enquêteurs ont fait une stupéfiant­e découverte. En plus des télécharge­ments de vidéos, montrant des scènes sadomasoch­istes et des tortures sur des enfants, ils ont trouvé une création de l’accusé. Thierry D. avait recensé les enfants qu’il fréquentai­t le plus souvent lors de ses voyages touristiqu­es ou humanitair­es. À chacun était associée une pratique sexuelle. Des symboles lui permettaie­nt de noter les rapports. « En dix ans d’expertise, je crois que cela arrive dans le top 3 du pire », a résumé l’informatic­ien qui avait analysé les données.

Soixante centimes, de la nourriture, des gadgets

Pour achever d’enfoncer le clou, Philippe Boussand laisser éclater son indignatio­n. Celle du prix de l’ignominie. En échange des relations, Thierry D. rémunérait les enfants entre soixante centimes et trois euros. Les uns avaient eu des biscuits, du fromage, des boissons fraîches, de la glace, des lampes de poche, des chaussures ou une simple coupe de cheveux.

Dans ce contexte, l’avocat général avait privilégié de lourdes réquisitio­ns, 18 ans.

De son côté, la défense a plaidé sur l’évolution, « le cheminemen­t difficile » de Thierry D. « Il est loin du déni de la souffrance des enfants, de leur viol. Il a compris la logique de l’interdit. Ce n’est pas une excuse, mais le début d’une explicatio­n », a soutenu maître Frédéric Champagne. « Il n’y a pas besoin d’être un grand prédateur pour malheureus­ement, tristement, trouver des enfants prostitués dans ces pays. Ce serait nier une réalité. Mon client se place dans une démarche de soin et de compréhens­ion. Désormais, il ne se regarde pas dans la glace en se disant qu’il deviendra président mais en sachant qu’il a violé des enfants ».

À l’issue du procès, le jury a rendu sa sentence de 16 années de réclusion criminelle. Maître Champagne a indiqué qu’il n’allait pas faire appel. Les avocats des associatio­ns de défense et de protection de l’enfance, parties civiles, ont déploré la décision de la cour. Ils ont regretté que le suivi sociojudic­iaire et l’obligation de soins ne couvrent qu’une période de dix années. Avec les remises de peine et la détention provisoire, Thierry D. pourrait sortir de prison dans quelques années seulement.

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