Le Courrier des Yvelines (Poissy)
Bernad Pivot : « Les mots sont comme des petites bêtes »
Ce samedi 15 octobre, le célèbre journaliste et homme de lettres, se produira sur la scène du Quai 2, au Pecq, avec son nouveau spectacle Au secours ! Les mots m’ont mangé.
Avez-vous des liens avec les Yvelines ?
Pas du tout. Quand je m’échappe de Paris c’est pour aller plus loin que les Yvelines. On connaît plus Versailles que les Yvelines. Quand vous êtes enfant et que vous apprenez l’histoire de France, vous ne pouvez pas ne pas tomber sur le nom de Versailles, alors que celui des Yvelines… En plus cela doit être le dernier département dans la liste alphabétique. Nous sommes devant un cas typique où le département est phagocyté par une ville. On retrouve ça avec l’ile-de-france. En province, les gens ne savent pas ce qu’est l’ile-de-france, eux, ils pensent Paris.
Décrivez-vous cet écrivain que vous incarnez ?
Je raconte toute sa vie, depuis sa naissance lorsqu’il regrette de ne pas pouvoir parler jusqu’à son dernier instant et sa comparution devant Dieu et où il est confondu avec Patrick Modiano. Entre ces deux moments, je raconte sa vie d’écrivain, il reçoit le prix Goncourt, passe à Apostrophes, il écrit des romans… Il a une vie très mouvementée et surtout très difficile avec les mots. Car les écrivains vivent avec les mots. Ils sont sans arrêt en train de les rassembler sous leur plume ou au bout des doigts à l’ordinateur. Ils pensent en être maître et en même temps, ils s’aperçoivent qu’ils sont le jouet des mots. Les mots sont comme des petites bêtes avec qui ils vivent sans arrêt.
Toute ressemblance avec d’autres écrivains connus est-elle fortuite ?
C’est surtout un écrivain qui me ressemble au début. Je lui prête une enfance qui est un peu la mienne. Le premier livre que j’ai lu, c’est Le petit Larousse et dans le spectacle il raconte son enfance avec son copain Petit Larousse. Pendant la guerre, je n’avais pas de livres, mis à part Le Petit Larousse et les Fables de La Fontaine.
Pour le reste, j’ai surtout répondu à l’invitation de Jean-michel Ribes du théâtre du Rondpoint, qui m’avait demandé d’écrire un petit spectacle sur les mots et les écrivains qui vivent toute leur vie avec les mots. En écrivant, je me suis posé la question comment un écrivain peut-il vivre comme tout le monde ? La réponse est simple : il ne peut pas ! Il ne peut pas employer les mots comme tout le monde. Il ne peut pas dire tout simplement ce plat est excellent, il lui faut employer un autre mot pour montrer qu’il est écrivain. Ses déclarations d’amour sont également celles d’un écrivain et pas du tout celles d’un type ordinaire. Cela donne lieu à des gags assez savoureux.
Vous aimez la nourriture. En quoi votre goût pour les mots est-il comparable à votre goût pour la nourriture ?
Justement, j’en parle dans le spectacle ! Nommer des mots de nourriture, c’est déjà savourer. Par exemple, si je dis navarin d’agneau, immédiatement, j’ai les papilles qui commencent à frémir. Un mot que j’avais utilisé dans mes dictées et qui plaisait beaucoup : le sot-l’y-laisse, ce petit morceau de poulet au-dessus du cul du poulet ! Quand j’en parle c’est amusant car, immédiatement, on voit l’endroit où se situe ce mot savoureux. Les mots des sauces sont aussi très savoureux : la ravigotte, la gribiche, la poulette…
Avez-vous un don pour l’imitation, car je crois que vous imitez Patrick Modiano dans le spectacle ?
C’est le seul que j’imite. Je le fais à la fin quand l’écrivain comparaît devant le Bon dieu et qu’il est pris pour Modiano. J’ai tellement reçu Patrick Modiano que cela m’est relativement aisé de l’imiter. Mais, autrement je ne suis pas un imitateur.
Jouez au théâtre et animer un plateau de télévision, est-ce différent ?
C’est le contraire. Et c’est justement parce que c’est le contraire de ce que j’ai fait dans ma carrière que cela m’amusait beaucoup de venir jouer sur scène. À la télévision, je parlais devant un à trois millions de téléspectateurs que je ne voyais pas. je ne savais pas s’ils riaient, s’ils étaient exaspérés, Au théâtre, je suis face à quelques centaines et je les vois. Ils applaudissent, ils réagissent et surtout ils rient. C’est ça qui a été la plus grande révéléation : le plaisir d’entendre le rire des gens. Il m’est arrivé de faire rire en famille mais faire rire toute une salle, cela procure un plaisir jouissif !
Quel est le mot qui revient le plus dans le spectacle ?
Je ne sais pas… Ah si ! Larousse. Et le mot que vous préférez dans la langue française ?
«Aujourd’hui» car c’est le mot des journalistes. C’est le présent, alors qu’hier c’est l’histoire et demain la futurologie. Je trouve ce mot très beau, il sent le café et le pain grillé du matin. Et puis en plus, au milieu du mot, il y a une apostrophe !
En tant que fan de foot, que vous inspire le déménagement du PSG de Saint-germain-en-laye à Poissy ?
Vu de Paris, ça ne change rien et ce n’est ça qui va m’émouvoir.
Les romans de la rentrée qui vous ont marqué ?
Il y en a pas mal. Je peux citer La Succession de Jean-paul Dubois, L’insouciance de Karine Tuil ou Une Chanson douce, de Leila Slimani. Ils sont très différents mais ils sont une écriture, une histoire… C’est intéressant !