Le Courrier des Yvelines (Poissy)
Des Gaulois à Alexandrie : la preuve par les stèles
La restauration de trois plaques peintes provenant d’alexandrie a permis de leur redonner un éclat et une lisibilité perdue depuis le début du XXE siècle. L’occasion de présenter exceptionnellement ces oeuvres méconnues et fragiles.
Daninos Pacha, un archéologue égyptien, a vendu quatre stèles au musée d’archéologie nationale, le 15 octobre 1887. De passage à Paris, il avait écrit au directeur du Musée d’archéologie nationale (MAN), qu’il possédait des objets susceptibles de l’intéresser car ils « représent[aient] paraît-il des soldats gaulois, morts à Alexandrie, dans la légion ptolémaïque ». En effet, trois stèles comportent encore une inscription peinte en rouge, parfois très effacée, donnant la provenance ethnique du défunt représenté: « GALATHS ». Des Galates.
La tombe des Mercenaires
Les Galates, Celtes originaires de la Gaule cisalpine, avaient pris la route des Balkans puis avaient migré en Asie mineure en 279 avant notre ère, à l’invitation du roi de Bithynie en manque de mercenaires. Bien qu’installés ensuite dans l’actuelle région d’ankara, des milliers d’entre eux offrir encore leurs services aux souverains hellénistiques. Mais c’est vraisemblablement sous Ptolémée IV Philopator que les Galates furent, de manière constante, engagés dans l’armée lagide en tant que mercenaires et installés en tant que colons militaires en Égypte.
Daninos Pacha, qui s’était procuré les stèles auprès de Petro Pugioli, prétendait qu’elles provenaient d’une nécropole située au sud-est d’alexandrie, à Hadra, l’antique Eleusis. Grâce aux inscriptions, il a été possible à Adolphe Reinach, alors jeune épigraphiste, de rapprocher les stèles du MAN de celles découvertes dans la tombe dite des Mercenaires, mise au jour en 1885.
En effet, deux des stèles conservées au MAN (31234 et 31235) ont été publiées sous cette provenance par Tassos Néroutsos dans la Revue Archéologique en 1887. Et les plaques 31232 et 31233 en proviennent certainement aussi. L’érudit précise que l’hypogée contenait des centaines de niches fermées par une dalle en calcaire en forme de stèle à fronton.
Dans les niches, des vases en terre cuite conservaient les cendres des défunts. D’après les inscriptions retrouvées, tous étaient des militaires d’origine étrangère, Grecs de Grèce continentale, Crétois, Thraces et Galates, qui vivaient à l’est d’alexandrie dans la seconde moitié du IIIE siècle avant notre ère.
Même si les plaques du MAN sont très effacées, il est possible d’y distinguer des silhouettes. Sur les plaques 31234 et 31235, un guerrier vêtu d’une tunique et d’une chlamyde semble tenir un long bouclier ovale, élément distinctif des guerriers galates.
La première plaque est celle correspondant à la sépulture d’ailéaratos, un Galate aux cheveux roux, l’autre porte le nom d’une femme, Phileista, qui a sans doute pris soin d’offrir une tombe à son mari ou à son père galate.
Sur la plaque 31232, qui ne porte pas d’inscription, le guerrier se détache nettement sur un fond clair et on distingue encore son épée dont il semble tenir le pommeau de sa main droite, tandis que son bras gauche est appuyé sur sa lance. La plaque 31233, inscrite au nom du Galate Pyrrhos, est par contre très abîmée et seul le grand bouclier se devine nettement.
Témoignages de la peinture antique
Ces étrangers ont des tombes qui ressemblent en tout point à celles des autres Alexandrins : inscription en grec et utilisation du répertoire iconographique funéraire habituel du guerrier. Même s’ils ne sont pas inhumés avec les autres habitants, ils semblent s’être intégrés à la culture grecque, loin de l’image de barbare véhiculée par l’art hellénistique.
À la fin des années 1990, dans le cadre d’une vaste étude sur la peinture grecque antique menée par Agnès Rouveret et Philippe Walter sur les collections du Louvre , les dalles peintes du MAN ont bénéficié d’une série d’analyses au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France permettant de mieux comprendre leur fabrication.
Ces peintures ont apparemment été produites en série, sans dessin préparatoire, directement sur un fond coloré. Et l’analyse des pigments a mis en évidence la richesse de la polychromie (hématite rouge, goethite jaune, carbonate de plomb blanc, vanadinite vermillon orangé) et la présence de matériaux précieux tels le cinabre, d’un rouge profond.
La mauvaise conservation des pigments a été causée par l’utilisation d’un enduit à base de plâtre pour la couche de fond, fragile en présence d’humidité.
Ces découvertes ont permis d’imaginer le clinquant de ces modestes représentations funéraires et rappellent le goût alexandrin pour les couleurs chatoyantes, sans doute trop populaire pour les Romains qui y voyaient un signe de décadence. La restauration qui vient de s’achever des stèles 31233, 31234 et 31235, désormais nettoyées et consolidées par Anne Liégey, comme précédemment la stèle 31232, permet à notre oeil moderne de percevoir encore quelques éclats de ces colores florides.