Le Courrier des Yvelines (Poissy)
Le bâton percé aux « diablotins »
À la fin des campagnes de fouilles de l’abri Mège, à Teyjat, en Dordogne, Pierre Bourrinet découvrit, le 12 août 1908, un bâton percé au décor gravé extraordinaire, attribué au Magdalénien supérieur. À découvrir à Saint-germain-en-laye.
Ce bâton percé a été façonné dans l’andouiller d’un bois de cervidé, probablement d’un bois de cerf élaphe. Le bâton a été doublement perforé, le premier trou étant ovale et le second beaucoup plus allongé. La surface du bois a été préparée, par raclage puis par polissage, avant d’être gravée. Douze figures animales et imaginaires ont été réparties sur les deux faces de l’outil.
Une biche et trois serpents
Sur la première face, à gauche, entre l’extrémité large du bâton et la première perforation, on peut voir une grande tête de biche. Les détails des oreilles, mises en perspective, de l’oeil, du naseau, de la bouche et du pelage sont superbement maîtrisés. Derrière les oreilles de la biche, se trouvent trois serpents, collés les uns aux autres, dont les corps sont recouverts de taches figurées par de petites cupules.
Entre les deux perforations, et en partie autour de la seconde, un grand cheval a été gravé, avec, une fois encore, de superbes détails. La tête est figurée avec le toupet, l’oreille, l’oeil, le naseau, la bouche et la ganache. Les pattes sont pourvues du sabot, de l’ergot et même des longs poils au-dessus de ce dernier. Elles empiètent sur l’autre face du bâton et s’enroulent littéralement autour de lui. Le cheval semble en mouvement : les deux pattes antérieures sont groupées et fléchies, la patte postérieure gauche est tendue vers l’arrière et la patte postérieure droite semble posée sur le sol.
Sur l’autre face, trois oiseaux sont disposés autour des perforations du bâton. L’un d’entre eux est figuré entier, avec la tête, le très long cou, le corps, les pattes et même le détail de l’aile ; le deuxième, en revanche, ne possède ni aile ni pattes, tandis que le troisième est réduit au cou et à la tête. Il s’agit certainement de palmipèdes et, vu la longueur du cou, probablement de cygnes.
Enfin, sur le bâton percé de Teyjat sont également gravées trois petites créatures étranges…
Des êtres surnaturels
Les deux premières sont situées à droite de la perforation allongée, sur l’une et l’autre face du bâton, la troisième et dernière, sous la tête du grand cheval. Il est difficile de dire s’il s’agit d’hommes déguisés et masqués, de personnages hybrides, mi-humains mi-animaux, ou d’êtres surnaturels et spirituels. Au-dessus de deux pattes seulement – ou deux jambes ? – l’on aperçoit un corps trapu et poilu, puis une tête cornue, peut-être celle d’un chamois, avec cependant de longues oreilles pointues.
Ce sont probablement ces oreilles qui ont amené les inventeurs du bâton percé à qualifier ces figures de « diablotins » ! Quelques années plus tard, Salomon Reinach avait rapproché ces petits personnages des « ratapas », sorte de germes d’enfants fécondateurs, issus des croyances totémiques des Aruntas, peuple aborigène d’australie centrale.
Le bâton percé de Teyjat, entré dans les collections du Musée d’archéologie nationale en 1909, avait fait l’objet de restaurations anciennes, destinées à le consolider et à le protéger, notamment lors des moulages. Il avait été ainsi imprégné de différents produits qui lui ont donné au fil du temps une couleur brune et une surface huileuse. De plus, l’objet avait été recollé à deux reprises et l’on pouvait voir, au niveau de la cassure, les traces d’une colle brune, utilisée en grande quantité, et celles d’une colle blanche.
Afin de rendre ce chefd’oeuvre plus présentable et d’en assurer une meilleure conservation, il a été décidé de le restaurer ou devrait-on dire de le « dé-restaurer ». Ces opérations délicates ont été confiées aux restauratrices de sculpture Agnès Cascio, Marie-emmanuelle Meyohas et Juliette Levy.
Après un nettoyage et plusieurs désimprégnations à l’aide de compresses, le résultat s’est révélé efficace sur une face du bâton percé et franchement spectaculaire sur l’autre (celle où se trouve le grand cheval), dont la couleur et la surface ont radicalement changé d’aspect.