Le Courrier des Yvelines (Poissy)

Philippe Jaroussky, la voix en or de Sartrouvil­le

- Propos recueillis par T.R.

Sa voix aiguë de contre-ténor est devenue célèbre dans le monde entier, Philippe Jaroussky, 40 ans en février prochain, reste très attaché à Sartrouvil­le où il a grandi et vécu jusqu’à l’âge de 24 ans. Entretien.

Le 13 février 1978, vous êtes né à la clinique de Maisons-laffitte, mais vous n’y avez pas vécu je crois ?

Non, j’ai passé toute mon enfance et adolescenc­e à Sartrouvil­le. Ma mère habite toujours à Sartrouvil­le, rue de Metz, une petite rue privée qui donne sur la rue de la République, à quelques minutes de la gare. Quelle était la profession de vos parents ?

Mon père était cadre commercial et ma mère était physicienn­e de formation mais elle a arrêté de travailler quand elle m’a eu. J’ai un frère aîné qui a dix ans de plus que moi. J’ai eu une enfance de classe moyenne, ni pauvre, ni riche. J’ai pu suivre toutes mes études en allant à pied au primaire, au collège Colette puis au lycée Évariste-galois. Et, ce qui est très important pour moi, je vivais à dix minutes à pied du conservato­ire de musique de Sartrouvil­le ! C’est au collège que vous avez découvert le monde de la musique, je crois ?

En effet. Je ne viens pas d’une famille de musiciens. En sixième, au collège Colette, j’ai bénéficié de cette petite heure de musique par semaine avec Gérard Bertram qui, je crois, est parti à la retraite, cette année. C’était un professeur très moderne, qui nous faisait écrire nos propres chansons. On courait pour aller au cours de musique qui était un lieu d’expression formidable pour nous les jeunes. Il nous faisait écouter beaucoup de pièces classiques. Je n’ai pas du tout chanté quand j’étais enfant et il a insisté auprès de mes parents pour que je m’inscrive au conservato­ire. J’avais 10 ans à l’époque. En y repensant, la première fois que j’ai chanté en public par l’intermédia­ire de ce professeur, c’était au théâtre Gérard-philipe. Au conservato­ire de Sartrouvil­le, vous apprenez le violon, d’abord.

Oui, c’était un conservato­ire assez exceptionn­el car, d’habitude, la première année, on commence par une année de solfège, sans instrument, ce qui est rébarbatif parfois pour les enfants. Or, à l’époque - je pense que c’est toujours le cas - le conservato­ire de Sartrouvil­le avait acheté tout un parc d’instrument­s et, la première année, nous avions le droit d’essayer quatre instrument­s différents. Je suis tombé amoureux du violon. Très vite, les professeur­s de solfège du conservato­ire m’ont incité à commencer l’étude du piano en parallèle. Vous aviez quel âge à cette époque-là ?

J’avais entre 10 et 17 ans. J’ai passé dix-sept ans au conservato­ire, car après, pendant dix ans, j’ai continué les cours avec le professeur de piano qui est toujours à Sartrouvil­le, Pascal Mantin. À 17 ans, j’ai pris la décision d’essayer de faire de la musique. J’ai eu mon bac et je me suis lancé dans les conservato­ires régionaux : celui de Versailles où j’ai eu mon prix de violon et, en parallèle, au conservato­ire de Boulogne pour avoir mon prix de solfège et apprendre la compositio­n. On m’avait dit à l’époque : « tu viens de Sartrouvil­le, ce n’est pas le même niveau ici, tu risques de redoubler ». Ça n’a pas été le cas du tout. J’ai passé mon prix en une année, ce qui prouve la qualité de la formation que j’avais reçue au conservato­ire de Sartrouvil­le ! Par la suite vous avez délaissé les instrument­s pour le chant…

La voix m’a rattrapé. Par ma voix, le professeur de collège avait détecté que je pouvais être doué pour la musique. Le fait d’avoir étudié les instrument­s m’a donné une formation solide quand j’ai commencé le chant à 18 ans. C’est une rencontre avec Fabrice Di Falco à Paris qui vous a donné l’envie de chanter avec une voix de contre-ténor, je crois ?

Exactement, à l’issue du concert, je me suis dit c’est ce que je veux faire. Après, j’ai rencontré sa professeur­e de chant qui est devenue ma professeur­e. J’étudie toujours avec elle après vingt ans ! Quelles sont les qualités physiques pour un homme de chanter aigu ?

On est contre-ténor ou on ne l’est pas. Les qualités requises pour un chanteur d’opéra sont les mêmes pour tous - même si ça change un petit peu en fonction du répertoire, je chante essentiell­ement le répertoire baroque. C’est le travail sur la respiratio­n, sur le placement de la voix… Nous chantons sans micro et nous devons optimiser la résonance de la voix dans le corps. Grâce au soutien du corps, moins on chante avec la gorge et plus la voix est libre. C’est un gros travail qui demande des années. Vous avez créé votre propre académie à la Seine musicale de Boulognebi­llancourt, dont la toute première rentrée a eu lieu en septembre dernier…

Nous accueillon­s vingt-sept jeunes talents. Si jamais le projet fonctionne bien, dans les prochaines années, nous allons essayer de la délocalise­r et de créer plusieurs antennes en France, et pourquoi pas revenir à l’endroit où j’ai pu commencer. Une antenne à Sartrouvil­le ne serait-elle pas trop proche de Billancour­t ?

Pas forcément, car pour les enfants, la proximité compte énormément. L’idée de cette académie est de fournir un enseigneme­nt totalement gratuit aux enfants, pour couper court à toutes problémati­ques sociales et de leur proposer quelque chose d’intensif : deux fois une heure de cours par semaine. Qu’ils progressen­t rapidement et qu’ils soient attirés par la musique grâce à la vitesse de leurs progrès. Votre actualité c’est aussi la sortie de votre album The Haendel album.

Haendel est l’un des compositeu­rs qui a le plus écrit pour les castrats et indirectem­ent pour les voix de contre-ténor. C’est l’un des plus grands génies pour nous. J’ai attendu pas mal de temps pour faire un disque consacré à sa musique, car j’ai voulu que ma voix mûrisse et s’enrichisse. Après, il ne faut pas trop attendre non plus. Nous avons une durée moins limitée que les danseurs, mais quand même ! (Rire) Songez-vous à arrêter de chanter ?

J’aurai 40 ans l’année prochaine. Je pense atteindre une certaine maturité musicale. C’est un milieu où il y a beaucoup de pression, il faut être en forme. La moindre méforme s’entend très vite. Je me demande, si dans dix ans, j’aurai envie de chanter autant. C’est pourquoi je varie mes activités. J’ai un ensemble (Artaserve) que je dirige. C’est avec cet ensemble que j’ai enregistré ce dernier disque. J’ai créé cette école avec la joie d’enseigner, de transmettr­e à des jeunes profession­nels. C’est quelque chose que j’ai envie de développer dans les prochaines années et, en parallèle, faire de la direction. J’ai été musicien avant d’être chanteur, j’espère être musicien après ! Si vous n’aviez pas été chanteur ou musicien ?

Je me suis posé la question. Je pense que j’aurais été assez intéressé par la psychologi­e.

« J’ai créé cette école avec la joie d’enseigner »

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 ?? ©Simon Fowler ?? Philippe Jaroussky, qui vient de sortir un nouveau disque autour d’haendel, a vécu 24 ans à Sartrouvil­le.
©Simon Fowler Philippe Jaroussky, qui vient de sortir un nouveau disque autour d’haendel, a vécu 24 ans à Sartrouvil­le.

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