Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Témoignage­s argentique­s de Jean-claude Gautrand

- Recueillis par T.R.

La deuxième édition du festival du Regard, dédié à la photograph­ie, se déroulera du 17 juin au 15 juillet à Saint-germain-en-laye. Parmi les invités, le photograph­e et historien de la photograph­ie, Jean-claude Gautrand.

Quelle image avez-vous de ce festival du Regard ?

C’est un jeune festival qui a un beau programme cette année. je trouve très intéressan­t d’organiser un festival de la photograph­ie en région parisienne. Il en existe un peu partout en région mais il y en a très peu à Paris.

Deux séries ont été choisies pour cette exposition : l’une de 1964, l’autre de 1971. Parlez-nous de la première qui correspond à la constructi­on du périphériq­ue parisien.

C’était un ouvrage dont on parlait beaucoup. J’habitais dans le 19e à l’époque. J’ai vu les premiers travaux. J’étais particuliè­rement intéressé par le graphisme pur. J’étais influencé par la Subjektive Fotografie d’otto Steinert qui ouvrait une grande liberté alors que jusquelà, la photograph­ie était régie par des règles très précises qu’il fallait respecter. Mon travail n’était pas documentai­re. J’ai joué avec les lignes des tiges d’acier, des échafaudag­es, etc. Cela m’a permis de représente­r ces fers à béton qui avalent la ville car ils ont construit dans ce qu’on appelait la zone, avec ces petites habitation­s de banlieue et ces espaces de jeux. Ce projet de périphériq­ue a bouleversé l’esprit parisien.

L’autre série présentée est intitulée L’assassinat de Baltard, et date de 1971 avec la destructio­n des Halles de Paris…

Oui, c’est le titre de la série et d’un livre édité en 1972. C’est un titre revendicat­if qui parle de lui-même.

Vous avez photograph­ié la démolition des Halles alors qu’aujourd’hui on assiste aux travaux d’aménagemen­t du forum des Halles…

Oui, c’était l’effondreme­nt d’une époque. Cette fois mon travail était engagé, un vrai cri de colère. Il y a d’abord eu la disparitio­n des halles à Rungis en 1969, elles étaient à bout de souffle sur le plan sanitaire et des transports. Quand ils ont commencé à vider les Halles de Paris, entre 1969 et 1971, on a assisté à un phénomène culturel : chaque pavillon était occupé par des colloques, des exposition­s et un certain nombre de manifestat­ions culturelle­s. Par exemple, il y a eu une expo Picasso, un Salon d’automne, des concerts de free-jazz. Il y avait à cette époque une proximité culturelle qu’on n’avait pas l’habitude de voir à Paris.

Comment avez-vous réalisé vos photos sur place ?

Quand j’ai appris que les pavillons des halles allaient être abattus, je suis parti sur place. C’était le Paris ancien qui disparaiss­ait. C’était quand même la première manifestat­ion d’architectu­re métallique en France, voire dans le monde ! J’ai photograph­ié des pavillons, y compris l’intérieur. Les gros travaux, avec un côté spectacula­ire se déroulaien­t en fin d’après-midi. J’allais donc à ce moment-là pour photograph­ier toutes les opérations. Je grimpais dans les immeubles environnan­ts pour toutes les vues en plongée. À l’époque on pouvait monter sur les toits, il n’y avait pas de digicode aux entrées des immeubles. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul bâtiment, le Vouvray, rue Mondétour. Les autres ont été démolis. Je suis monté sur les toits de Saint-eustache, aussi.

Vous avez pris des risques !

Je suis aussi rentré sur le chantier, subreptice­ment ! je n’ai jamais eu de problèmes avec les ouvriers, mais je me suis fait arrêter trois ou quatre fois par les flics… J’ai photograph­ié de l’intérieur ce qui tombait. Je me cachais. Vous savez, quand on est derrière l’appareil photo, on a l’impression d’être protégé. J’en ai parlé avec un correspond­ant de guerre, Gilles Caron. Lui aussi me disait qu’il avait le sentiment d’être à l’abri derrière son appareil.

Quel appareil utilisiez-vous à l’époque ?

Il fallait que je sois léger dans mes déplacemen­ts. J’avais un Rolleiflex 6.6 qui était un bel appareil à l’époque ! Avec une pellicule Tri-x qui était la grâce de l’argentique. Les optiques du Rolleiflex étaient bonnes. J’ai fait quelques photos floues car ça allait vite. Mais, les photos étaient en plein jour. Les travaux avaient commencé en août au moment où les Parisiens étaient partis en vacances. Continuez-vous à faire de la photo aujourd’hui ?

Non… J’ai 84 ans et j’ai eu pas mal d’accident de travail. Je dis souvent que si on ne peut pas se servir convenable­ment de ses jambes, on ne peut pas faire de la photograph­ie. Dans les années 80, j’ai viré vers l’écriture, notamment sur l’histoire de la photo. J’ai écrit sur les photograph­es que je connaissai­s : Doisneau, Brassaï, Willy Ronis… le temps passé avec mon stylo, je ne l’avais plus dans les labos photo.

Avez-vous néanmoins testé les appareils numériques d’aujourd’hui ?

Oui, mais sans passion. Les nouvelles technologi­es et Internet, ce n’est pas ma tasse de thé. J’admets que le rendu est beau, mais si l’on considère un tirage moyen, on ne retrouve pas ce velouté, cette chaleur du tirage argentique. Ce qui est logique : le tirage argentique est réalisé avec des grains d’argent, il y a de la matière bien réelle, alors que le numérique ce sont des chiffres sans matière. Après, je constate de très belles choses en numérique, notamment les photos de Sebastião Salgado.

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