Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)
« La France ne doit pas suivre la position antirusse »
L’ignorance de l’histoire, c’est selon Hélène Carrère d’encausse ce qui fausse le jugement que la France porte sur la Russie de Poutine. L’éminente spécialiste de la Russie, secrétaire perpétuelle de l’académie française, Hélène Carrère d’encausse a balayé avec intelligence toutes les idées reçues que les Français ont sur la Russie et Poutine. « Pour comprendre la Russie, l’histoire est capitale. C’est un pays où la vie politique n’a pas existé pendant 75 ans, trois générations qui ont vécu sous le totalitarisme. La nouvelle élite politique n’a qu’une vingtaine d’années. Les institutions sont là mais l’apprentissage de la vie politique est balbutiant. » Après la chute du mur de Berlin, la Russie a été laissée toute seule. « On leur a dit de faire la démocratie et de se débrouiller. Eltsine (président de la fédération de Russie de 1991 à 1999) m’a dit qu’on ne lui a jamais appris à faire l’économie de marché et la démocratie. » L’autre fait que les Russes gardent en mémoire est « le bombardement sur la Serbie en 1999 en ignorant la Russie. Le pays a été considéré comme un pays négligeable sur lequel on peut s’asseoir. » Après ces faits historiques, les Russes estiment « qu’ils n’ont pas été jugés de façon équitable. Ils considèrent que Poutine a redonné sa puissance et sa fierté à la Russie. Il est l’homme qui a remis sur selle le pays. C’est pourquoi, 80% des Russes applaudissent ce qu’il fait. Y compris en Ukraine. L’intervention russe vient du fait que la Crimée est l’alsace-lorraine de la Russie ».
Hélène Carrère d’encausse estime qu’il y a aussi une méconnaissance du personnage Poutine : « C’est un homme moyen, pas un génie, mais bien formé qui est un patriote. La signification du mot patriote est aussi une des causes du malentendu. Pour les Russes c’est la passion pour son pays; la patrie c’est le bien premier, la fierté d’une vieille civilisation. Et Poutine est l’incarnation de cela ». La grande dame de l’académie française qui a déjà rencontré tous les dirigeants russes dont Poutine, a demandé aux Français de ne plus « rester enfermé dans notre idée de splendeur » et de ne pas persister dans une position antirusse.
La raison de l’erreur de la France selon l’académicienne vient de la croyance au couple franco-allemand. « C’est une vaste plaisanterie. L’allemagne est à la tête de la nouvelle Europe qui avec la Pologne et les nations (de l’ex empire soviétique) pousse la Russie en dehors de l’europe. Ils règlent ainsi leurs comptes sur le dos de la Russie. La France accepte cette position antirusse et risque de se retrouver toute seule », explique Hélène Carrère d’encausse. De son côté, la Russie se tourne de plus en plus vers l’asie. « Or, pour la France, la Russie est cette porte vers l’asie vers laquelle se déplace le monde. » Favorable à la Russie,
Un malentendu
Hélène Carrère d’encausse se refuse à avoir « un jugement tranché. C’est vrai que Poutine s’affaiblit en s’affranchissant des principes de civilisation qu’il défend. Il est dans une logique de puissance, ce qui est un peu regrettable. Mais elle lui a permis de démontrer qu’on ne pouvait pas faire sans lui »