Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Règlement de compte à la mosquée

- David Goudey

Le 24 avril 2015, un homme avait été gravement blessé à l’arme blanche à la sortie du lieu de culte musulman. Le seul suspect dans cette affaire, ami d’enfance de la victime, a été condamné il y a une semaine à 4 ans de prison. Il nie toujours les faits.

Il est aux alentours de 14 heures, ce 24 avril 2015. Comme tous les jours, les fidèles quittent la mosquée Oqba Ibn Nafi’ après avoir observé la Dhohr, la prière du midi. Entre 200 et 300 personnes sont sur les lieux. Au milieu de la foule, un homme titube, quelques pas, puis s’écroule, les vêtements couverts de sang. Il vient d’être frappé à la poitrine à l’arme blanche, sans doute par des ciseaux, qui ne seront jamais retrouvés. À l’arrivée des secours, la victime est dans un état critique.

C’est à l’hôpital que le diagnostic est établi. Plaies périgastri­ques et péricardiq­ues, pneumothor­ax, important épanchemen­t sanguin autour du coeur : les dégâts sont majeurs. Le blessé, qui cache aujourd’hui une cicatrice de 30 cm, s’en sortira après plusieurs semaines de soins et 38 jours d’incapacité totale de travail.

Tout accuse un homme, dès le début de l’enquête. Il s’agit d’un ami d’enfance de la victime. Que s’est-il passé entre lui et Bakary à la sortie du lieu de culte, où stationnen­t un véhicule de police et cinq fonctionna­ires. Au départ, il y a une altercatio­n puis un échange de coups, bref, entre ces deux individus bien connus des services de police. Les forces de l’ordre, positionné­es à une centaine de mètres, n’intervienn­ent pas, l’échauffour­ée s’étant terminée aussi rapidement qu’elle avait commencé. Un attroupeme­nt se forme, puis l’alerte est donnée. Le premier homme à témoigner est le frère de la victime. Il était là, juste derrière le duo. Il dit avoir vu une lame pleine de sang dans la main d’un certain Karim, alias moustique. Ce dernier a déjà quitté les lieux pour rejoindre le domicile de son père, à un jet de pierre de là, place des 4-Vents.

Il est d’ailleurs passé devant les policiers, qui n’ont rien remarqué de suspect si ce n’est son énervement. Ils se souviendro­nt qu’il portait un tee-shirt clair de marque Armani siglé EA7, un détail qui s’avérera clé dans l’enquête pour le confondre, et que sa djellaba était roulée sous un bras.

Lorsque la police débarque chez son père, Karim n’est déjà plus là. Il a rallié Meulan. Porteur d’un bracelet électroniq­ue, son contrôle judiciaire lui impose alors de résider dans cette commune, au domicile maternelle. Il y est interpellé vers 15 h 40 puis placé en détention après sa garde à vue. Une instructio­n de près de deux ans commence.

L’épilogue de cette affaire s’est joué le mardi 4 avril devant le tribunal correction­nel de Versailles. Comme depuis deux ans, Karim (31 ans) a nié formelleme­nt être l’auteur du coup qui a failli emporter Bakary. « On s’est mis quelques patates, oui, mais après, ce n’est pas moi. » « Pour vous, c’est donc quelqu’un d’autre », a relancé la présidente. « Sûrement »,a répondu Karim. « Comment expliquez-vous qu’aucun autre témoignage ne confirme votre théorie ? » Silence.

Dans son réquisitoi­re, la procureure a souligné que « la temporalit­é et la brièveté des faits ne pouvaient pas accréditer cette thèse du troisième homme ». Bakary, lui, a raconté à la barre qu’il n’avait, sur le moment, « rien vu, rien senti ». « C’est allé très vite. Je l’ai attrapé par la manche à la sortie, on avait des choses à régler. Je lui ai donné quelques coups de poing, il a répondu, puis on a été séparé. Il m’a dit Inch’allah, t’es mort. J’ai fait ensuite quelques pas et je me suis écroulé. »

Cette agression a-t-elle été préparée ou est-elle le fruit du hasard ? L’enquête n’a pas permis d’avérer la préméditat­ion ni d’établir un mobile précis. Bakary a raconté qu’il avait aperçu Karim en sortant de la mosquée. La veille, ce dernier aurait braqué avec une arme son ancien ami. « Depuis trois ans, il harcelait et menaçait anonymemen­t ma mère et mes soeurs par téléphone, SMS et sur les réseaux sociaux. Je le soupçonnai­s d’être derrière un compte Facebook baptisé

Vérité sur Chanteloup. Il ne voulait pas que je le dénonce. C’est pour ça qu’il m’a chopé à la sortie de la mosquée. »

Bakary, lui, raconte une tout autre version. « Je voulais m’expliquer sérieuseme­nt avec lui parce que j’avais maintenant la certitude que c’était lui qui draguait ma copine sur les réseaux sociaux. » « Je suis marié depuis plus de dix ans, j’ai un enfant, c’est n’importe quoi », s’est encore défendu Karim à l’audience.

L’enquête n’a pas permis de faire la lumière sur ces assertions, pas plus qu’elle n’est parvenue à mettre la main sur des preuves matérielle­s accablante­s. L’avocat du prévenu n’a pas manqué de s’engouffrer dans cette brèche pour solliciter auprès des juges « l’examen du doute ». L’arme n’a ainsi jamais été retrouvée. Aucune trace de sang non plus n’a été décelée sur Karim ou les vêtements qu’il portait ce jour-là. Karim a été interpellé portant un tee-shirt siglé EA7 bleu, et non clair. Les témoignage­s des policiers sur place laissent donc à penser que l’accusé s’est changé, ce que réfute Karim.

Un coup de ciseaux ? Le suspect arrêté à Meulan « Inch’allah, t’es mort ! » Aucune preuves matérielle­s

« Mais vous l’avez ce teeshirt clair dans les scellés,a fait remarquer son avocat. Il n’y a pas, là aussi, une trace de sang. Pareil pour la djellaba, où L’ADN de la victime est présente, ce qui prouve qu’elle n’a pas été nettoyée. » « Oui, une alternativ­e existe, celle de la présence d’un autre ennemi dans la foule, a encore plaidé la défense. L’omerta qui règne dans le quartier est préjudicia­ble à l’accusé comme à la victime. J’ai la certitude du doute, je ne peux demander que la relaxe. »

Après plus de deux heures de débat, les juges se sont retirés pour délibérer. À leur retour, le verdict est tombé : 4 ans ferme, soit 12 mois de moins que la peine requise par la procureure. Dans la balance, les menaces de mort proférées par Karim en prison à l’adresse de Bakary (N.D.L.R. : incarcéré pendant deux mois pour une affaire de stupéfiant­s) ont sans doute aussi pesé très lourd.

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Bakary a failli perdre la vie sur cette place, à la sortie de la mosquée Ogba Ibn Nafi’, au mois d’avril 2015.

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