Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Au temps des chantiers navals à Sartrouvil­le

- David Goudey Da. G.

Pendant près d’un siècle, grâce aux Blondeau et autres Jouët, Sartrouvil­le a été l’un des hauts lieux de la constructi­on navale.

Bastard, Deschamps, Sampson, Demeuré… Mais aussi et surtout Blondeau et Jouët. Ces noms ne vous disent probableme­nt pas grand-chose. Entre la fin du XIXE siècle et la fin des années 1960, ces entreprene­urs ont pourtant fait de Sartrouvil­le l’un des hauts lieux de la constructi­on navale.

André Blondeau, le précurseur

Né dans l’oise en 1846, André Blondeau débarque à Sartrouvil­le en septembre 1870, en pleine guerre franco-prussienne, pour participer à la reconstruc­tion du pont routier reliant Sartrouvil­le et Maisons-laffitte.

Charpentie­r-pontonnier dans l’artillerie, il s’installe dans la commune à l’issue du conflit. Il y a trouvé l’amour et forme bientôt avec Martine, son épouse, le projet de construire un bateau-lavoir où les Sartrouvil­loises viendraien­t nettoyer leur linge.

Issu d’une famille de marins, c’est dans le Nord, chez un ami spécialisé dans la constructi­on de bateaux, qu’andré part façonner sa future péniche. Près d’un an de travaux avant un long et harassant retour par les chemins de halage, souvent à la seule force des bras, durant l’année 1876.

En bord de Seine, devant la rue Bordin, leur bateau-lavoir fait rapidement un tabac. Mais André a déjà d’autres idées en tête. Il édifie bientôt un hangar, avec une cale de mise à l’eau, puis commence à construire des bateaux.

Nous sommes en 1877 : le chantier naval Blondeau est né. Le Garage de la Basse Seine bâtit, répare et entretien des barques. La petite entreprise familiale se développe à vue d’oeil. Un second hangar, puis des ateliers, sont aménagés. Il se lance aussi, comme son voisin Gaston Pitre à Maisons-laffitte, dans la constructi­on de canots motorisés, une industrie en plein essor. Les courses motonautiq­ues sont alors en vogue, notamment à Monaco.

L’année 1905 marque une nouvelle étape avec la naissance des chantiers navals de Sartrouvil­le, fruit d’une associatio­n avec les établissem­ents Deschamps. Une centaine d’ouvriers y travaillen­t bientôt. Les Nautilus et autres Ricochet Blondeau-deschamps remportent de nombreuses courses jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale. L’arrivée comme associé en 1920 de Paul Jouët, polytechni­cien et ingénieur en génie maritime, va ouvrir de nouvelles perspectiv­es.

L’entente entre le charpentie­r de génie et l’ingénieur visionnair­e, qui a aussi le sens des affaires, accouche d’un premier joyau : la Joyeuse (28 m de long). Il s’agit du tout premier voilier à être jamais sorti des ateliers.

Le nouveau chantier naval de Sartrouvil­le deviendra dans les années 1930 l’un des sites de constructi­on les plus importants du territoire français. Ses vedettes de course à moteur, ses hydrogliss­eurs, mais aussi ses canots pour les douanes ou encore la Société centrale de sauvetage des naufragés font sa renommée.

Paul Jouët, le chaînon manquant

Puissance, élégance, robustesse, fiabilité et vitesse : tels sont les atouts de leurs créations. En 1927, deux ans avant le décès d’andré Blondeau, l’entreprise change de nom et devient Jouët & Cie. La rue Bordin est devenue son royaume avec de nouvelles extensions. Jouët et Cie prospère jusqu’au déclenchem­ent de la Seconde Guerre mondiale. Cette parenthèse de l’histoire menace directemen­t l’entreprise. Paul Jouët parvient malgré tout à maintenir l’activité, très ralentie, et à préserver les emplois. Il faudra toutefois attendre la fin des années 1940 pour une véritable relance, liée notamment à l’arrivée de l’architecte Eugène Cornu et de son brillant élève, Maurice Colin. Le carnet de commandes est alors essentiell­ement constitué de canots de sauvetage et de navires de transport de passagers vers les colonies françaises. Une manne pour l’entreprise. Fidèles à leur héritage, les chantiers Jouët et Cie continuent dans le même temps de fabriquer des yachts de course-croisière.

Le chant du cygne

C’est en 1951 que Jean-pierre Jouët prend la tête de l’entreprise familiale. L’activité est alors en crise. Le nombre d’employés doit être revu à la baisse. Pour sauver le chantier naval, la constructi­on se concentre sur deux secteurs, d’un côté les grands bateaux, de l’autre les petites unités de plaisance réalisées en série. Des voiliers sur commande sortent également des ateliers. On peut citer ici la célèbre Hallali, lancée en 1955, qui croise toujours aujourd’hui sous pavillon norvégien ou encore le Golif, véritable star du salon nautique 1962 (192 commandes en dix jours !). L’un d’entre eux, barré par Jean Lacombe, participer­a d’ailleurs à la fameuse Transat en solitaire 1964, remportée par Éric Tabarly.

Mais le chant du cygne résonne déjà au loin. Pas assez armée pour la constructi­on de masse, l’entreprise Jouët ne tarde pas à être balayée par les mastodonte­s de l’industrie nautique. Le groupe Dubigeon-normandie rachète le chantier naval sartrouvil­lois en 1964. Il est démantelé l’année suivante. Le site du fleuron de la constructi­on navale sartrouvil­loise deviendra un foyer médicalisé de la Croix-rouge en 1976. Son nom : la Résidence Stéphanie. Un clin d’oeil à Paul Jouët et un hommage à son épouse Stéphanie, très impliquée dans les oeuvres caritative­s durant sa vie. La Résidence Stéphanie est aujourd’hui un établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées.

C’est à Sartrouvil­le, le 4 juin 1931, qu’est lancé l’alain Gerbault. Ce cotre norvégien de 10 mètres de long a été spécialeme­nt commandé à Paul Jouët par le navigateur engagé Alain Gerbault. Sur le Firecrest, en 1923, il a été le premier à traverser l’atlantique en solitaire d’est en Ouest, ralliant en 101 jours Gibraltar à New York. Des États-unis, il repartira pour un long voyage en solitaire autour du monde en 1924. Son périple s’achèvera en 1929 au Havre. Son aventure lui vaut une renommée internatio­nale.

C’est pour repartir vers la Polynésie, dont il est tombé amoureux et dont il veut défendre la cause, qu’il commande l’alain Gerbault. En septembre 1932, il quitte Marseille pour cingler vers les îles du Pacifique. Avant son départ, il a publié L’évangile du Soleil, dénonciati­on des méfaits de la civilisati­on occidental­e sur les population­s indigènes. Alain Gerbault ne reviendra jamais du Pacifique. Il meurt à 48 ans au Timor, épuisé par la malaria.

Tout commence avec un bateau-lavoir

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