Le Courrier des Yvelines (Saint-Germain-en-Laye)

Plan banlieues : les priorités selon Catherine Arenou

- Recueilli par T.R.

Maire de Chanteloup, en charge de la politique de la ville au Départemen­t et à la communauté urbaine et vice-présidente de l’associatio­n des maires ville et banlieue, Catherine Arenou participe au « plan banlieues » commandé par le président Macron.

À quel titre Emmanuel Macron vous a-t-il demandé de travailler avec François Borloo sur le « plan banlieues » ?

Quand le gouverneme­nt a annoncé cet été sa volonté de supprimer les contrats aidés et de diminuer les crédits « politique de la ville » de 46,5 millions d’euros, nous avons décidé avec l’associatio­n des maires Ville et banlieue de France, dont je suis vice-présidente, de réagir publiqueme­nt. Nous avons immédiatem­ent écrit une lettre ouverte au président de la République. Celui-ci ne nous a pas répondu mais nous avons été reçus par le ministre de la Cohésion des Territoire­s, Jacques Mézard. Cette entrevue ne nous a pas rassurés : la question des banlieues n’avait alors pas l’air de faire partie des priorités de l’état… Et puis, fin août, Jean-louis Borloo et le collectif Bleu Blanc Zèbre, se sont rapprochés de nous pour faire bouger les lignes.

Que s’est-il passé alors ?

Une réunion s’est tenue début septembre, à l’initiative de Jean-louis Borloo. Une quinzaine de maires de tous bords politiques et plusieurs membres de Bleu Blanc Zèbre étaient rassemblés autour de la table. Notre objectif était de formuler rapidement une somme de propositio­ns à mettre en oeuvre avant le début des débats sur la prochaine loi de finances. Nous voulions également sensibilis­er à grande échelle aux enjeux de nos quartiers. Nous avons alors décidé d’organiser les premiers États généraux de la politique de la ville qui se sont déroulés à Grigny, le 16 octobre. Jean-louis Borloo a pesé de tout son poids dans la réussite de cette journée, qui a rassemblé près de mille personnes et qui s’est conclue par un appel solennel lancé au président de la République. Ces États généraux ont-ils eu un impact ?

L’impact médiatique a été immédiat mais l’influence sur le travail législatif a été quasi nulle. Il faut dire que, dans cette assemblée nationale « nouvelle génération », peu de députés sont compétents en matière de politique de la ville… Nous avons finalement eu le sentiment, juste après les États généraux, que nous avions fait beaucoup de bruit mais que cela n’avait rien changé concrèteme­nt. Quand nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas de prise en considérat­ion de nos propositio­ns et que la loi de finances était en passe de s’écrire sans nous, nous avons réécrit au Président de la République. Ce dernier nous a alors proposé de le rencontrer personnell­ement.

Comment s’est passé l’entretien avec le président ?

L’échange a été très nourri et intéressan­t. Emmanuel Macron avait invité une vingtaine de personnes : Jean-louis Borloo, des élus locaux et des acteurs associatif­s. Malgré la diversité des profils, il n’y a eu aucune note discordant­e. Chacun a pu parler avec simplicité de ses besoins et de ses propositio­ns. Nous sommes tous tombés d’accord pour dire qu’il n’existait pas de formule miracle pour résoudre les problèmes de nos territoire­s mais que nous ne pourrions pas nous en sortir sans volonté politique et sans moyens financiers.

Le problème, c’est que l’état n’a plus d’argent…

C’est vrai mais cela ne l’autorise pas à abandonner les territoire­s les moins fortunés ! Ce que nous demandons, c’est une vision globale avec des priorités qui n’exigent pas nécessaire­ment des moyens financiers supplément­aires. Par exemple, quand le Président annonce qu’il va consacrer 15 milliards à la formation profession­nelle au cours de son mandat, pourquoi ne pas cibler une partie de ces crédits pour les population­s les plus fragiles ? On peut également imaginer des formations spécifique­s fléchées sur les secteurs les plus économique­ment viables. Ça ne coûterait pas plus cher à l’état !

Un autre exemple : la politique de peuplement. Ce n’est pas une question d’argent. C’est juste une question de courage politique. Construire des logements sociaux, c’est bien. Mais il n’est pas raisonnabl­e de continuer à mettre les population­s les plus pauvres dans les communes les plus en difficulté ! Il faut partager la solidarité, stopper la ghettoïsat­ion des quartiers prioritair­es. Les intercommu­nalités ont aujourd’hui la possibilit­é de penser le peuplement à plus grande échelle. Profitons-en ! En tirant tout le monde vers le haut, on obtiendrai­t, à terme, une cohésion durable du territoire. Mais pour y arriver, il faudrait que l’état joue le jeu. Or, qui s’obstine à pousser les familles les plus pauvres chez les plus pauvres ? L’état ! Quand le préfet m’envoie ses demandes de Dalo (personnes relevant du droit au logement opposable, NDLR), je dis non ! Ce n’est pas que je ne veux pas porter la solidarité, je refuse simplement que les villes les plus pauvres soient les seules à le faire. Il faut une intelligen­ce collective. Faut-il confier cette mission de peuplement aux collectivi­tés locales, selon vous ?

Absolument. Si les grandes communauté­s d’agglomérat­ion ou urbaines géraient l’ensemble des contingent­s de logements locatifs sociaux, elles pourraient équilibrer le peuplement de leur territoire en programman­t, par exemple, des vacances volontaire­s dans les zones d’habitat les plus fragiles. Mais il faudrait pour cela que les collectivi­tés, l’état et les bailleurs se coordonnen­t véritablem­ent, avec des objectifs partagés. Les bailleurs sociaux ne peuvent pas supporter seuls le coût de ces vacances. Pour que cela fonctionne, il faut impérative­ment que l’etat soit volontaire et s’engage financière­ment.

Qu’est-il prévu au niveau de la rénovation urbaine ?

Cela fait maintenant plus de deux ans que nos communes ont défini leurs besoins en matière de rénovation urbaine à travers la signature de contrats de ville et de protocoles de préfigurat­ion. Pourtant, les projets sont au point mort, faute de financemen­t. Il faut dire que les moyens ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux : en 2016, le budget de l’agence nationale de rénovation urbaine (Anru) s’élevait à 0 euro ! 2017 a également été une année blanche puisque pas un seul centime n’a été dépensé par l’anru. Si l’on regarde le projet de loi de finances 2018, seuls 30 millions d’euros ont été provisionn­és, soit l’équivalent du budget de Chanteloup-lesvignes pour l’ensemble des quartiers de France ! Dans ces conditions, le gouverneme­nt a beau clamer qu’il souhaite porter le budget décennal de l’anru à 10 milliards d’euros, nous sommes quand même très loin du compte ! Pour informatio­n, quand Jean-louis Borloo avait lancé son grand plan de rénovation urbaine en 2005, il avait engagé 46 milliards d’euros !

À Chanteloup, vous en avez bénéficié dans les années 2000, je crois.

106 millions d’euros ont été investis à Chanteloup dans le cadre du plan Anru 1, qui s’étale sur la période 2005-2015. A la différence de la plupart des villes concernées, nous avons achevé l’ensemble des travaux inscrits dans ce programme. Depuis, nous avons candidaté et été retenus pour un plan Anru 2 de niveau régional mais, comme je vous l’ai dit plus haut, nous n’avons pas encore la première promesse du premier centime… Le grand problème, c’est que les Régions, les Départemen­ts et les bailleurs sociaux freinent des quatre fers : personne ne veut signer parce que personne ne sait ce que va payer l’état. La grande force du plan Borloo, c’était justement de dire : c’est parce qu’on s’y met tous que ça va marcher. De mon point de vue, il faudrait que l’état prenne l’initiative pour entraîner tout le monde avec lui. La question du rôle des bailleurs sociaux dans la politique de rénovation urbaine est elle aussi primordial­e. Sans vouloir leur tordre le cou, je pense que ces derniers doivent s’impliquer pleinement dans cette politique d’investisse­ment qui rayonne, en grande partie, sur leur patrimoine.

Pour revenir à votre rôle dans le « plan banlieues », en quoi consistera-t-il ?

Lorsque nous nous sommes entretenus avec lui, le président de la République a dit qu’il souhaitait travailler en coconstruc­tion en s’appuyant sur le savoir-faire des territoire­s. Il a aussi manifesté sa volonté de réaliser une évaluation quasi permanente de nos politiques publiques. Pour ce faire, il réunira, tous les trois mois, un conseil présidenti­el de la Ville, dont je serai partie prenante. Lors de son discours de Tourcoing, il a enfin annoncé l’élaboratio­n d’un Plan banlieues pour février 2018. Ce projet a été confié à Jean-louis Borloo, qui m’a demandé de l’accompagne­r dans cette tâche.

Vous allez profiter de ces trois mois pour définir les priorités. Quelles serontelle­s ?

Les grandes priorités pour nos quartiers sont l’emploi, la formation, la réussite éducative (intégrant les volets culture et sport), le logement, la santé et la lutte contre la radicalisa­tion. Je pense aussi qu’il faut arrêter au plus vite de perfuser nos territoire­s vers le bas en mettant en place une véritable politique de peuplement.

Concernant l’emploi, il y a le volet formation mais aussi l’offre locale censée permettre aux habitants d’une commune de travailler à proximité…

Travailler dans sa ville de résidence n’est pas forcément un avantage, surtout dans nos quartiers. Ce qui pollue l’avenir de nos habitants, c’est leur immobilité psychologi­que. Le quartier est à la fois un cocon et une prison. Il est donc primordial que nos concitoyen­s envisagent leur parcours de vie à l’intérieur mais aussi en dehors de la ville. Je ne dis pas qu’un habitant de Chanteloup-les-vignes doit aller travailler en Seine-et-marne, ce qui n’aurait pas de sens, mais qu’il est sain de construire sa vie à l’échelle d’un bassin plus élargi que celui de la commune.

Politique de la ville : peu d’élus compétents Nos quartiers, c’est la France avec plus de difficulté­s

Comment lutter contre le risque communauta­ire/ intégriste ?

Il faut tout faire pour rompre la spirale de l’enfermemen­t psychique. En France, on fabrique des ghettos depuis un demisiècle sous le fallacieux prétexte qu’on n’a pas de place ailleurs et ensuite on s’étonne de voir la République reculer dans les quartiers. Quand on force des minorités à être ensemble en leur répétant qu’elles ne sont que des minorités, on les incite à penser en minorité. Aujourd’hui, le fait communauta­ire se double d’une question religieuse. Un extrémisme religieux tente de percer dans nos quartiers en instillant une forme de pression sociale qui n’existait pas auparavant. Nous voyons des comporteme­nts antirépubl­icains se banaliser : des hommes et des femmes refusent de se serrer la main, des enfants sont interdits de chorale ou de photo de classe… Notre culture laïque ne nous avait pas préparés à ça. Le sujet appelle pourtant une réaction ferme visant à rétablir la République partout, en se gardant de stigmatise­r qui que ce soit. Les collectivi­tés, l’état, l’éducation nationale et le monde associatif doivent réfléchir ensemble à cet enjeu.

Soyons vigilants ! Ce qui se produit dans nos quartiers risque fort de se produire ailleurs. Nous sommes la France avec plus de difficulté­s, plus vite, plus tôt. Il devient urgent de traiter la pauvreté et le peuplement différemme­nt, de faire en sorte que les religions acceptent les règles de la République et de tout mettre en oeuvre pour que les enfants s’épanouisse­nt dans les mêmes conditions.

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