Enquête : les dérives du cyclosport
Entre la course au résultat, la nervosité, les accidents constatés sur certaines épreuves au printemps et la tenue des Championnats du monde Gran Fondo à Albi, fin août, on pose la question de savoir si le cyclosport ne perd pas son âme originelle.
On ne peut pas dire que le cru 2017, pour les cyclistes qui pédalent sur la route, soit bien fameux. Quand on élargit un peu le spectre d’analyse, avant de s’intéresser au cyclosport, on se rend compte que tous les signaux sont au rouge. Depuis plusieurs mois, on constate que la relation entre les usagers de la route et les cyclistes s’est nettement dégradée, et les nombreux accidents, parfois mortels, ou les agressions, n’en sont que le triste reflet. Les dernières statistiques de l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière corroborent ce constat, le nombre de tués en deux-roues a augmenté de 62 % au 2e trimestre 2017, comparativement à celui de 2016 ! (65 décès en 2017, contre 40 en 2016). Le cyclosport, qui représente l’image populaire du vélo se déroulant dans un esprit convivial et sportif, n’est pas non plus préservé des turbulences, et le printemps a été marqué par un regain de tensions et de graves chutes sur certaines épreuves. Deux points majeurs offrent matière à discussion. Le premier concerne la montée en puissance de l’UCI Gran Fondo WorldSeries ( les Championnats du monde des cyclosportives UCI), qui a changé la donne sur la perception de la discipline. Jusqu’à l’aube des années 2010, la fédération internationale mettait en valeur le challenge Golden Bike qui réunissait sept épreuves à travers le monde, symbolisant ce qui se faisait de mieux en matière de courses de masse.
L’UCI CHANGE D’ORIENTATION
On trouvait l’Ariégeoise en France, la Quebrantahuesos en Espagne, mais il y avait aussi des épreuves non chronométrées comme le Tour de Flandres en Belgique. Changement de cap à partir de 2011 avec la création de ces Championnats du monde, d’abord réservés aux cyclistes âgés de plus de
34 ans, puis ouverts à tous. En 2017, 20 épreuves qualificatives étaient organisées, dont l’Albigeoise en France qui a aussi servi cette année de support pour la finale (du 24 au 27 août). Cette nouvelle orientation de l’UCI n’a rien de philanthropique, l’organisation d’une manche qualificative coûtant plusieurs dizaines de milliers d’euros à la ville organisatrice, sans compter les frais d’inscription de chaque coureur. Fin mai s’est donc tenue la manche qualificative à Albi, qui a réuni près de 2000 cyclistes du monde entier venus tenter de se qualifier et de s’étalonner sur le circuit retenu pour la finale, aussi bien
dans l’épreuve en ligne que dans le contre-la-montre. On peut déjà se demander quel est le rapport entre le cyclosport et le contre-lamontre . Mais, au- delà de cette incongruité, cette manche a mis en exergue une extrême nervosité et une frénésie malsaine qui ont saisi le peloton au départ où tous les prétendants à la qualification n’avaient qu’un seul but : prendre les meilleures roues. Sauf que les routes n’avaient rien d’extensibles, et que le résultat a été sans appel avec de très nombreuses chutes et des moments d’énervement entre les concurrents. D’ailleurs, certains vieux routiers du cyclosport
(voir ci-contre) en furent déboussolés. Second point, qui a aussi été un fait marquant de ce printemps dans certaines cyclosportives, la prise de risque parfois inconsidérée de la part de certains participants pour rester avec les meilleurs en haut des cols ou pire, rouler à tombeau ouvert dans les descentes pour recoller ou faire la différence. Évidemment, la terrible chute de David Polveroni dans une descente de col au cours du Challenge Vercors vient à l’esprit et interpelle. Et si le drame a été évité de peu, combien de temps faudra-t-il encore avant qu’un accident grave ne vienne décimer un peloton ?
ESPRIT DÉVOYÉ MAIS QUI FAIT RECETTE
À l’heure de la médiatisation à outrance via les réseaux sociaux (Strava, Facebook, Twitter, Instagram…), certains s’embarquent dans des entreprises périlleuses pour rester aux avant-postes. Leur objectif est d’attirer l’attention des sponsors, leur permettant de continuer leur pratique, tout en
étant aidés au niveau matériel. Ces deux constats nous amènent donc à nous poser la question de l’avenir du cyclosport comme beaucoup l’ont connu il y a quelques années. Le cyclosport, défi et événement aussi bien populaire que convivial sur des grands parcours, tel qu’on l’a pratiqué par le passé est clairement à la croisée des chemins. Par rapport aux courses traditionnelles, qui sont devenues un secteur sinistré, il est vrai que la discipline se porte bien. Elle représente d’ailleurs un vrai poids économique, notamment dans l’activité touristique, et attire les regards de gros partenaires désireux d’avoir leur part du gâteau. Il ne faudrait cependant pas oublier l’essence même du cyclosport, qui fait le succès de ces épreuves : l’accueil, les prestations et le choix des parcours mettant en valeur la région parcourue… À trop vouloir calquer la discipline sur le haut niveau, on augmentera les mauvais comportements et ceux à risque qui pourraient nuire à la pratique.