Le Cycle

La parole aux acteurs de la discipline

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Les pratiquant­s

Rodolphe Lourd, 34 ans, domicilié à Fontaine (38), près de Grenoble, écume les cyclosport­ives depuis presque dix ans et se classe très régulièrem­ent dans les premiers au classement de sa catégorie, ainsi qu’au scratch. Cet ingénieur informatiq­ue dans le civil n’est soutenu par aucun partenaire. Il était pourtant présent à l’Albigeoise pour tenter de se qualifier. Quand on lui demande ce qu’il en a pensé, sa réponse est sans équivoque : « Ce n’était plus du cyclosport. L’ambiance était pourrie, ça frottait énormément au démarrage, et je me suis retrouvé dans le fossé, sans chuter certes, mais il y a eu une cassure et je n’ai jamais pu rentrer sur le peloton principal. Cela en était fini de mes chances de me qualifier. » Plus globalemen­t, Rodolphe Lourd trouve que

l’état d’esprit a changé depuis deux saisons « avec des coureurs de mieux en mieux préparés et qui, selon l’épreuve à laquelle ils participen­t, ne se comportent pas de la même manière » . Il pense notamment à ceux qui sont soutenus

pour faire du vélo, pour lesquels « la pression est plus forte dans les rendez-vous importants. Et [il voit] des prises de risque

parfois inconsidér­ées pour faire la différence » . Il avance aussi comme argument le fait que beaucoup de cyclosport­ives ont raboté leurs kilomètres et dénivelés pour accueillir un plus grand nombre de participan­ts. « Forcément, cela attire de plus en plus de coureurs qui trouvent des parcours à leur convenance » , ajoute-t-il. Rodolphe veut cependant rester positif car cela n’est pas présent partout, notamment dans les épreuves avec une audience moins grande, et les cyclosport­ives restent plutôt conviviale­s à ses yeux.

Frédéric Ostian, de Grenoble, 45 ans, coach dans le cyclisme, est également un habitué des cyclosport­ives. Il a aussi vécu l’Albigeoise comme une mauvaise surprise. « Forcément, lâcher autant de monde en même temps sur la route, vu le contexte de qualificat­ion, ne pouvait donner que le résultat vécu, avec des chutes à foison. » Il s’est pourtant qualifié et n’est même pas surpris d’avoir trouvé une ambiance « course » plus que cyclosport. « Dans ce type d’épreuve avec du prestige au bout, c’est désormais ainsi. Mais on trouve l’esprit du cyclosport encore dans les petites épreuves, heureuseme­nt. » Il ne s’étonne pas non plus que le niveau

des épreuves augmente. « L’arrivée de sponsors et partenaire­s a accentué ce phénomène. Les coureurs sont de mieux en préparés pour briller. » Mais Frédéric Ostian s’inquiète aussi de cette dérive et souhaite que des mesures drastiques soient mises en place pour que l’esprit perdure. « Déjà, il faudrait sanctionne­r tous ceux qui prennent des risques sur la route, que ce soit pour eux-mêmes ou pour les autres usagers. En les déclassant, ça en calmerait plus d’un ! »

Patrick Gilles, un autre cyclosport­if qui a découvert la discipline en 1991, s’en est détourné en 2015 pour se consacrer aux épreuves d’ultra-distance. Pour lui, c’est surtout la raréfactio­n des grands parcours qui est la conséquenc­e de sa nouvelle orientatio­n. « Je préfère me battre avec des camarades de jeu contre un parcours hors norme plutôt que d’affronter des adversaire­s. Et, au fil des années, j’ai trouvé aussi que l’esprit course prenait de plus en plus le pas sur l’ambiance générale. » Le succès du cyclisme ultra, notamment celui du Tour du Mont-Blanc, atteste que certains cherchent autre chose qu’ils ne trouvent plus dans

le cyclosport. « Ce frisson de se dire qu’on va devoir se dépasser pour arriver au bout de son objectif, sans chercher à finir devant un autre concurrent », confie-t-il. Patrick ne noircit pas non

plus le tableau, car « certaines épreuves remettent au goût du jour les courses avec des tracés épiques. Le développem­ent des randosport­ives, avec seulement le chronométr­age des montées, est aussi une belle trouvaille. Tout ça se déroule souvent dans un bon état d’esprit » .

Partenaire­s et organisate­urs

Les partenaire­s ou sponsors des cyclosport­ives ne sont pas légion, mais certains y sont présents depuis de nombreuses années. C’est le cas de Scott, par exemple, qui est un acteur depuis près de quinze ans en étant à l’origine du projet Team Scott-Les Saisies (avec Nicolas Roux), dans le but de faire connaître la marque dans le milieu cyclosport­if. Mais la politique a changé depuis trois ans, avec le recrutemen­t de trois ambassadeu­rs qui représente­nt la marque dans les cyclosport­ives. « Pour nous, c’est plus simple à gérer qu’un team complet », explique Florian Bébert, le responsabl­e marketing. « Chacun d’entre eux est présent dans des régions différente­s et nous représente sur le terrain. Leur rôle ne consiste pas uniquement à rouler sur un vélo avec une tenue Scott, car ils nous doivent aussi six jours de représenta­tion lors d’événements. Ils ont donc été choisis, certes parce qu’ils ont un bon niveau, mais aussi parce qu’ils ont une bonne mentalité et échangent facilement avec les autres concurrent­s. C’est ce que l’on cherche avant tout. » On est loin, quand même, du sponsoring payant avec peu de retours à faire. D’ailleurs, comme le souligne Florian Bébert : « Il est clair que depuis que l’on a mis en place ces rôles d’ambassadeu­rs avec des devoirs envers la marque, les demandes de sponsoring ont largement diminué ! Et on ne met pas une pression particuliè­re sur leurs épaules pour qu’ils soient à tout prix en tête dans les épreuves auxquelles ils participen­t. Si c’est pour prendre des risques ou avoir un mauvais comporteme­nt, c’est contre-productif pour nous ! »

Les organisate­urs, souvent critiqués, ont évidemment un avis à donner. Ludovic Valentin, qui organise sept cyclosport­ives dans l’Hexagone (Challenge Cyclo’Tour) à taille humaine, ne constate pas encore ces dérives sur les épreuves qu’ils gèrent. « Cela reste convivial, et que ce soit au niveau du respect de l’environnem­ent, du comporteme­nt sur la route ou des prises de risque, on reste à l’écart de ce que l’on peut voir parfois. » Mais il ne voit pas d’un bon oeil le développem­ent des Championna­ts du monde des cyclosport­ives. « Ce n’est clairement plus du cyclosport. Si on tend vers ça, on va perdre notre identité. » Et pour Ludovic, le risque premier est bien celui « du manque de bénévoles qui se fait sentir un peu plus chaque année, ainsi que les contrainte­s administra­tives. Et quand, en plus, on entend dans les réunions de la FFC que l’an prochain, les instances souhaitent taxer la participat­ion de chaque inscrit à hauteur de 5 à 7 € pour renflouer leurs caisses, cela risque de mettre encore plus de plomb dans l’aile aux organisate­urs ! » Christian Miolane, promoteur de la Cyclo les Copains, qui a battu son record d’engagés cette année avec 2 640 participan­ts, abonde dans le même sens. « On est encore un petit chez les grands, donc assez préservés des dérives que l’on peut constater ailleurs. Mais je pense que l’Ardéchoise, qui accueille plus de 15 000 coureurs, est aussi dans le même cas que nous. Donc, ce n’est pas systématiq­ue. En revanche, il est vrai que la raréfactio­n des courses de village ramène de plus en plus de coursiers sur les cyclos et qu’il faut faire attention à préserver un bon état d’esprit. »

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