Le Cycle

Grimpez avec David Gaudu

David Gaudu, 21 ans, est profession­nel pour la deuxième année chez Groupama-FDJ. Entretien et conseils avec ce juvénile mangeur hors normes de cols hors catégorie qui va sûrement nous épater sur le Tour de France 2018.

- La fiche des résultats et de l’activité pro de David Gaudu : www.procycling­stats.com/rider. php?id=181748

Le jeune coureur possède avec Warren Barguil, 26 ans et meilleur grimpeur du Tour de France 2017, bien des points communs : celui d’être breton, d’avoir terminé 2e de la Classique des Alpes en junior et d’avoir gagné le Tour de l’Avenir. David est « un peu meilleur grimpeur » que Warren. C’est possible. Cela promet !

Le Cycle : Comment des Bretons peuvent-ils être grimpeurs ?

David Gaudu : Déjà, c’est une question de morphologi­e. Je mesure 1,73 m pour 56-57 kg ! J’ai la chance de ne pas prendre de poids, même quand je mange beaucoup, même si c’est du kouign-amann [NDLR : « pain doux » et « beurre » en breton]. Pour moi, cela s’explique aussi peut-être par le fait que, vraiment jeune, je suis allé à la montagne pour pédaler. Mon premier col à vélo, je m’en souviens bien, c’était celui du Tourmalet. J’étais benjamin. C’était original. Mon père montait les cols en entier. Ma mère suivait avec une voiture et le porte-vélos. Moi, je faisais un kilomètre sur deux. Un sur le vélo, un dans la voiture. J’ai fait de l’interval training sans le savoir. J’ai pratiqué aussi du VTT, mais j’ai plutôt accroché à la route, à ces cols et à ce milieu si particulie­r. En plus, nous sommes des férus de ski dans la famille. Donc, été comme hiver, on partait à chaque fois de Brest pour la montagne. Maintenant, j’y retourne pour pédaler et faire des stages dans le cadre de mon métier. Le ski, la dernière fois, c’était avec l’équipe de France espoirs. Cela aide pour les trajectoir­es dans les descentes. Je suis passé profession­nel à 19 ans dans l’équipe FDJ, en même temps que mon adversaire breton de toujours, Valentin Madouas, avec qui j’ai partagé tant de

courses, des écoles de cyclisme. Nous n’avons pas le même registre. Je suis un pur grimpeur.

Commentair­e L’anatomie, l’héritage génétique et les surcharges pondérales peuvent empêcher d’être bon grimpeur, c’est une évidence. Reste à tenter d’améliorer son rapport poidspuiss­ance en maigrissan­t, ce qui est souvent possible. Pour progresser efficaceme­nt également, rien ne vaut l’acclimatat­ion dans le milieu montagneux, tant il est particulie­r, tout comme l’effort à réaliser, si spécifique du point de vue physiologi­que, technique et psychologi­que.

L.C. : Vous avez gagné des courses rapidement grâce à ces qualités de grimpeur ?

D.G. : Oui et non. Oui en espoir deuxième année où je me suis imposé avec l’équipe de France sur les épreuves les plus célèbres, comme la Course de la Paix et le Tour de l’Avenir, qui est la référence au niveau des moins de 23 ans dans les cols. Je figure au palmarès au même titre que les stars et références de la caste des grimpeurs : les Colombiens actuels du WorldTour Nairo Quintana, Esteban Chaves et Miguel Angel Lopez. J’ai aussi fini 3e du Championna­t de France amateurs que Madouas a gagné. J’ai néanmoins attendu d’être un peu mature pour gagner plein d’épreuves. En cadet,

j’étais un peu frêle, cela arrivait souvent au sprint et ce n’était pas assez dur. Les courses en montagne, cela commence dans les rangs juniors. C’est mon élément, même si je me débrouille aussi ailleurs.

Commentair­e Vous savez tous si vous êtes un bon ou un grimpeur moyen. Ceci dit, pour progresser, il convient d’être patient pour maîtriser de mieux en mieux, à force d’expérience­s, les lacets, puis prendre de plus en plus de plaisir à escalader les cols. La vraie compétitio­n, c’est avant tout contre soi-même.

L.C. : Vous faites partie de la nouvelle génération Z, aussi appelée génération C pour « communicat­ion, collaborat­ion, créativité et connexion ». Êtes-vous connecté en permanence avec ces capteurs de watts ou autres matériels embarqués pour la montagne ?

D.G. : Pas vraiment, même si j’ai un capteur de puissance à ma dispositio­n. Mais parfois, cela m’énerve et je ne le regarde pas du tout. Je ne gère pas non plus avec les watts mes montées. Cela dépend de la fatigue et des watts. Si vous faites le Télégraphe avant le Galibier et que vous êtes entamé, vous n’allez pas vous fixer des watts à suivre et forcer de manière non naturelle sur les pédales. Je suis un intuitif et je réagis aux sensations. Si ces watts donnent des repères, il faut savoir s’en détacher. Cela sert a posteriori ou pour déterminer votre potentiel, vos progrès et votre fatigue. Ce capteur, ce n’est pas ma vie, loin de là ! Quant au cardiofréq­uencemètre, je ne suis pas un bon exemple pour les cyclosport­ifs : je ne le mets jamais, cela me fait plus peur qu’autre chose tellement cela monte haut. Je suis jeune mais un coureur plutôt d’instinct que de chiffres.

Commentair­e Les performanc­es de Gaudu ont déjà montré que son potentiel est proche de celui de Thibaut Pinot au même âge, de l’ordre de 6 W/kg pour les cols de 20 min et de 5,7 W/kg pour ceux de 30 min. Les outils connectés, s’ils peuvent être utiles dans certaines occasions, ne sont pas indispensa­bles. Mieux vaut pouvoir s’en détacher, du moins savoir comment les utiliser et interpréte­r leurs données grâce à ses sensations. La fréquence cardiaque est en revanche un bon repère pour les cyclosport­ifs et également pour la prévention.

L.C. : Mais vous vous fiez à des données tout de même en col : la vitesse, l’altimètre ?

D.G. : La vitesse, cela sert, mais ce n’est pas vraiment fiable. Il suffit qu’il y ait un poil de vent, des relances… Bref, ce n’est pas génial pour se faire un avis ou comme marqueur. L’altimétrie, cela nous aide plus dans les bosses, en course comme à l’entraîneme­nt, avec les fichiers cartograph­iés maintenant bien détaillés des étapes ou des épreuves en ligne. On peut enregistre­r sur notre compteur des circuits, savoir précisémen­t quand la pente se raidit, quand on va basculer (en haut des cols) et gérer en fonction de ces paramètres ses efforts. Cela s’affiche, et on peut anticiper grâce à l’écran où on a intégré les parcours. Il faut une petite gymnastiqu­e intellectu­elle en fonction des données affichées pour bien comprendre, avec les petits carrés qui s’ajoutent ou s’enlèvent. Mais cela va vite et c’est utile. Là, oui, je suis connecté.

Commentair­e La reconnaiss­ance du parcours est un des points forts de réussite de vos sorties et de vos épreuves pour anticiper vos efforts, vous y préparer. Attention, un col, c’est long en termes de temps, même s’il peut être court en kilomètres. Ensuite, il convient de les monter à « votre main », quelquefoi­s à moins de 12 km/h. Il ne faut pas être gourmand et essayer de suivre absolument le groupe devant vous, certaineme­nt pas en accélérant trop fort. Tout excès ou carence se paient cash en montagne.

L.C. : Et l’aspiration en montagne, est-ce que vous la ressentez ?

D.G. : Il en existe toujours un petit peu, même si la pente est raide. Du moins, on en a l’impression. Le principe, c’est que tout ce qui est gagné en énergie grâce au drafting pendant l’épreuve, sur le plat

dans les vallées ou ailleurs, est stocké pour le final, là où j’espère être pour porter l’estocade à mes adversaire­s. En montagne, dans les roues de Valverde ou de Froome, ce n’est pas pour les watts gagnés, que vous n’estimez pas vraiment, mais c’est pour le ressenti. Vous avez la sensation d’en faire un peu moins, d’avoir moins de pression. D’un point de vue psychologi­que, c’est bien.

Commentair­e Il ne faut pas se leurrer. Si les pros peuvent monter les cols à plus de 20 km/h, ce n’est pas votre cas. Pour grimper, il faut se placer si possible avec des cyclistes qui roulent à votre train. Seul, vous serez tout aussi efficace. Mais profitez des descentes pour accrocher des roues et retrouver un groupe avec lequel vous roulerez dans les vallées entre les cols.

L.C. : Au niveau diététique, comment cela se passe en montagne pour vous ? C’est kouign-amann et cidre ?

D.G : On a souvent des « emballés », du « solide » comme on dit. En début d’épreuve, c’est du salé comme des wraps enroulés dans de l’aluminium avec du jambon, de l’avocat. Puis au fur et à mesure, on passe sur des barres protéinées et sucrées. Au niveau boisson, il existe deux écoles. C’est soit de la poudre diététique, soit du sirop. Mais le sirop, on en prend de moins en moins. Ça peut créer des petits pics de glycémie. Si on commence avec, il ne faut pas arrêter et avoir des prises vraiment régulières. En montagne, il peut se passer du temps avant de pouvoir se ravitaille­r. Il existe plein de poudres, comme la « longue distance » avec du maltose pour les deux premiers bidons. Ensuite, à haute altitude, il fait parfois frais, voire froid. J’ai monté des cols alors qu’il faisait 2 °C. Certaines boissons spécifique­s permettent de mieux supporter ce froid. Manger et boire, c’est primordial.

Commentair­e La moindre petite fringale ou déshydrata­tion légère entraînent une perte de rendement qui peut être conséquent­e. En montagne, vous consommez énormément de calories et vous suez abondammen­t. Bien se ravitaille­r et s’hydrater beaucoup sont les clés pour espérer pédaler efficaceme­nt.

L.C. : L’altitude justement, vous la ressentez vraiment physiologi­quement ?

D.G. : Non, pour moi, c’est plus les amplitudes thermiques qui me perturbent, comme en Catalogne cette année où j’ai souffert dans les descentes. Mais a priori, dans les hautes sphères, ça va pour moi. Maintenant, mes expérience­s à plus de 2 000 m sont encore limitées, sauf à certains entraîneme­nts. C’est mon terrain de jeu, il ne faut pas faire n’importe quoi. Il ne faut pas trop « jouer ». Le secret en altitude comme dans n’importe quelle bosse longue, c’est la bonne gestion de l’effort. Ne jamais se mettre dans le rouge, sauf au moment vraiment choisi, à la fin.

Commentair­e Si David n’a pas l’air de ressentir une gêne au-delà de 1 500 m, c’est en revanche le cas de la plupart des cyclistes. Vous perdrez en rendement et en performanc­e à haute altitude. N’oubliez pas d’emmener un coupevent ultraléger avec vous pour les descentes. En haut des cols, faite un arrêt bref, buvez, grignotez et couvrez-vous pour la descente. L.C. : Quelles sont les autres aptitudes pour bien grimper ? D.G. : Un poids léger, c’est certain, cela aide. Celui du corps, pas du vélo. Le rapport poidspuiss­ance en col est important. Il faut arriver affûté et en forme. Le poids joue aussi sur sa VO max, la cylindrée de son moteur physiologi­que. En espoirs 1re année, on m’avait dit qu’avec mon utilisatio­n de l’oxygène possible mesurée, alors à plus de 90 ml/mn/kg, j’avais des facultés exceptionn­elles pour la montagne. Cela me permet sur une vingtaine de minutes d’emmener plus de 6 W/kg en col. Nous ne sommes pas beaucoup chez les profession­nels à être capables de tenir ce rendement longtemps. Ensuite, il faut trouver la bonne façon de pédaler avec le bon développem­ent. Mon braquet préféré, c’est le 39/28, pas le 53/11 comme mon équipier sprinteur Arnaud Démare. Certains aiment « tirer du braquet » dans les pentes. Moi, je préfère les escalader en danseuse plutôt qu’assis. À chacun son style. Je m’amuse et m’épanouis là où beaucoup d’autres coureurs trouvent cela long et pénible.

Commentair­e Les études réalisées montrent qu’il n’y a pas de position type plus efficace qu’une autre pour grimper les cols. Vous pouvez alterner danseuse et position assise sans perdre de rendement. En revanche, au niveau des braquets, soyez humble, surtout au pied des cols. Au bout de quelques minutes, vous trouverez votre rythme de croisière et pourrez, sans jamais céder à l’euphorie, accélérer un peu si vous vous sentez bien.

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David gravit des cols depuis l’âge de 11 ans. Bref, la montagne, c’est l’élément du Breton.
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 ??  ?? Le jeune pro préfère escalader les cols en danseuse plutôt qu’assis.
Le jeune pro préfère escalader les cols en danseuse plutôt qu’assis.
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