Le Fana de l'Aviation

“Chuck” Yeager au combat en France

Avant de franchir le mur du son, “Chuck” Yeager s’illustra pendant la Deuxième Guerre mondiale. Enquête sur un combat épique en mars 1944.

- Par Gilles Collaveri

Sur les traces du P- 51 de “Chuck” Yeager tombé sur la France un jour de mars 1944.

Ce 5 mars 1944, à bord de son P-51B baptisé Glamourus Glen (lire encadré page 28), Charles “Chuck” Yeager accomplit sa neuvième mission. La veille, il survolait Berlin et remportait sa première victoire sur un Messerschm­itt 109 (1). Aujourd’hui, il escorte une vague de 219 bombardier­s B-24 qui ont pour mission d’attaquer les aérodromes du Sud-Ouest de la France : Bergerac, Cognac, Bordeaux, etc.

Mais ce 5 mars, entre Bordeaux et Toulouse, les Focke-Wulf 190 de la Jagdgruppe West (unité d’entraîneme­nt avancé de la Luftwaffe) basée à Cazaux veillent et surprennen­t les appareils américains. Lors de l’at-

(1) Lire ses mémoires Yeager, An Autobiogra­phy. taque, le P-51 de “Chuck” Yeager est touché et les câbles de commande sont sectionnés. “Chuck” largue sa verrière et s’éjecte vers 6 000 m d’altitude. Il se débarrasse du masque à oxygène, du dinghy, et se laisse tomber en chute libre sur le dos. Vers 2 500 m, sentant qu’il risque de s’évanouir, il ouvre son parachute. À 600 m, le Fw 190 qui vient de l’abattre plonge vers lui, mais un “Mustang” arrive in extremis et descend l’assaillant. C’est l’ailier de Yeager, le capitaine William “OBee” O’Brien, du 363rd Fighter Squadron, 357th Fighter Group, qui a surpris à son tour le pilote allemand. Ce dernier, Irmfried Klotz, saute mais son parachute ne s’ouvre pas et il se tue. Son Fw 190 s’écrase dans un champ de la commune voisine et brûle pendant plusieurs jours. “Chuck” Yeager se pose dans une clairière, son parachute restant accroché à un arbre. Il cache sa Mae West et s’enfuit. Il est recueilli et caché par la Résistance qui le fait évacuer par l’Espagne.

Au début de l’été 1944, il reprend le combat et finira la guerre avec un palmarès de 11,5 victoires, notamment contre un Messerschm­itt 262. “Chuck” Yeager retournera à plusieurs reprises sur les lieux de son combat du 5 mars 1944.

Sur les traces de Glamourus Glen

Le point de départ de notre enquête, c’est la recherche sur le terrain. Le porte-à-porte nous livre des témoignage­s, qui permettent de refaire le parcours de “Chuck” Yeager et de son P-51 Glamourus Glen.

Livré à lui-même après que son pilote a sauté, le P-51B s’est écrasé dans une vigne et des fragments se sont éparpillés aux alentours. Les témoins partagent avec nous des détails amusants : le parachute a terminé sous forme de chemise, comme beaucoup de ses homologues pendant le conflit. La combinaiso­n de vol en cuir a été récupérée par un bûcheron qui l’a utilisée de nombreuses années après la guerre. Celui-ci décédé, elle a malheureus­ement fini à la poubelle.

Peu après l’accident, une pale d’hélice et une mitrailleu­se ont été ramenées par un jeune du village voisin, et mais comme elles étaient lourdes à porter, il les a cachées dans un puits. L’emplacemen­t est connu mais un lotissemen­t y a été construit et le puits est comblé.

Le maire du village le plus proche nous raconte qu’il avait 6 ans ce 5 mars quand il observa le combat et vit le parachute. Un objet brillant tombait comme une feuille morte. Son père le ramassa dans un champ ; c’était la verrière latérale du “Mustang”, larguée par Yeager. Après la guerre, elle fut utilisée comme fenêtre sur un séchoir à tabac. Elle fut ensuite récupérée et stockée dans la grange

familiale. Son propriétai­re a accepté de nous la confier pour l’exposer.

Le bouche-à-oreille nous amène également chez un particulie­r qui conserve deux des mitrailleu­ses Browning de l’avion : il nous les cède élégamment pour qu’elles soient exposées dans le musée Aeroscopia avec la verrière.

Yeager en visite chez les propriétai­res du terrain

La collecte de renseignem­ents nous permet de localiser l’emplacemen­t où l’avion s’est écrasé. Une photo aérienne datant de 1950 permet de valider le site avec précision. Six ans plus tard, la terre porte encore la marque de la chute.

Les propriétai­res du terrain nous accueillen­t avec une gentilless­e hors du commun. Ils nous apprennent qu’une première fouille a été faite en 1995 (lire encadré page 30). Ils ont eu à plusieurs reprises la visite de “Chuck” Yeager. Ce dernier, adorable, était autant intéressé par l’agricultur­e, la chasse et les fusils que par son P-51 ! En octobre 2008, lors d’une visite chez Airbus à Toulouse, il survola en A380 l’endroit où il avait sauté en parachute 64 ans plus tôt.

Une demande d’autorisati­on en bonne et due forme est envoyée au service archéologi­e de la Direction des affaires culturelle­s de Bordeaux. Les feux verts administra­tifs obtenus, la recherche sur le site peut débuter. La “prospectio­n-inventaire” (c’est la terminolog­ie exacte) nous livre de petits fragments de Glamourus Glen, minuscules et très abîmés, les plus gros vestiges ayant été exhumés en 1995 : un morceau de bakélite ou de Permali, un des premiers composites à l’époque, des morceaux de revêtement, un embout de la pompe à carburant du réservoir principal, fabriqué par Thompson Products. Une pièce avec un numéro (le part number, numéro de pièce selon la nomenclatu­re du fabricant) permettant de l’identifier et de la reposition­ner sur le plan d’origine : il s’agit d’une trappe d’accès pour vérifier le niveau d’huile. Certaines pièces portent encore des traces de peinture olive drab, camouflage

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GILLES COLLAVERI Le numéro P/N (part number) B1262. Les pièces du P-51B retrouvées sur le terrain.
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DR DR “Chuck” Yeager pose devant son P-51B Glamourus Glen, premier du nom.
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S. BEILLIARD Glamourus Glen en difficulté : “Chuck” Yeager vient de larguer la verrière.
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Dans le cercle la trace laissée par Glamourus Glen.
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Le vert olive drab est visible. Le vovolet d’une aile ddu Fw 190 qui cconsolida­it la bberge d’un ruisseau (cici-contre) a été récupéré eet nettoyé (cci-dessus).
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GILLES COLLAVERI Ci-dessous et à droite l’indicateur de position de volet du Fw 190.
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