Il y a 80 ans… 1937, l’année charnière
Septième partie et fin. La métropole est enfin reliée à Madagascar par une grande transversale africaine. C’est l’aboutissement d’une aventure humaine menée sur fond d’intrigues mais portée par le courage et la volonté d’une poignée d’hommes exceptionnels
Très tôt, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’État français s’impliqua dans une démarche volontaire de soutien au démarrage du transport aérien. La priorité fut donnée au développement des dessertes européennes, premières bénéficiaires des importantes subventions sans lesquelles elles n’auraient pu survivre. Hormis les Lignes aériennes Latécoère qui, dès le début des années 1920, reliaient Toulouse à Dakar, aucune entreprise de transport aérien n’était parvenue durablement à s’implanter au-delà des emprises côtières de l’Afrique du Nord et d’une partie de l’Afrique occidentale française.
Le temps des défricheurs
L’exploration du continent africain jusqu’aux lointaines colonies de l’océan Indien fut d’abord le fait de quelques pionniers agissant à titre personnel ou dans le cadre de missions militaires. Les premières liaisons aériennes entre la France et Madagascar eurent lieu en 1926 : la première, en octobre, par le lieutenant de vaisseau Marc Bernard (1899-1960), sur ordre du ministère de la Marine, emprunta, en hydravion Lioré et Olivier H-194, les voies maritimes et fluviales de la vallée du Nil et des Grands Lacs ; la seconde, en novembre, fut entreprise par le capitaine Jean Dagnaux (1891-1940) de l’Aéronautique militaire, qui, sur Breguet 19, atteignit, le 10 février 1927, la Grande Île en 53 jours et 22 escales via l’Espagne, l’Algérie, le Niger, le Tchad, le Congo, la Rhodésie et le Mozambique.
Dès la fin des années 1920, les raids de particuliers, parfois “sponsorisés” par le ministère de l’Air, se multiplièrent. Certains connurent des destins tragiques comme celui de l’équipage Roux, Caillot, Dodement disparu en janvier 1930 et dont les corps, retrouvés quelques semaines plus tard, avaient été dévorés par les cannibales… Mais la création de véritables “dessertes coloniales”, que réclamaient les territoires français, se heurtait encore à la crainte de devoir subventionner “des lignes impériales ne répondant à aucune demande commerciale viable”.
Pris entre frilosité politique et incertitudes économiques, les financiers hésitèrent longtemps à investir dans des projets africains jusqu’à ce que Marcel BouillouxLafont annonce à grand fracas en juillet 1928 son intention de prolonger la ligne côtière de l’Aéropostale vers l’Afrique de l’Est au départ de l’Algérie ou du Sénégal. Ce qui n’était qu’un projet incita Paul-Louis Weiller (1893-1993), administrateur de la société des moteurs Gnome et Rhône et de la Compagnie internationale de navigation aérienne (Cidna), à créer en octobre 1928 une entreprise aérienne concurrente, la Compagnie générale d’aviation Air Afrique (CGAAA). Placé en disponibilité par sa hiérarchie, le cne Jean Dagnaux en prit la direction.
Jean Dagnaux, le combat d’une vie
Pilote militaire, héros de la Première Guerre mondiale avec dix citations et trois blessures graves (il fut amputé d’une jambe), Jean Dagnaux nourrissait une véritable passion pour l’Afrique. Avec PaulLouis Weiller – également aviateur pendant la Grande Guerre – il partageait l’ambition d’établir une grande diagonale transcontinentale qui, reliée au réseau métropolitain, desservirait les 6 600 km séparant l’Afrique du Nord de Madagascar.
Très vite, il organisa plusieurs voyages exploratoires dont une mission transsaharienne, en mars 1929, confiée à Marcel Lallouette ( pilote d’essais Farman), Julien Cordonnier (chef mécanicien chez Gnome et Rhône) et Paul-Louis Richard (directeur d’exploitation) sur l’unique Farman 190 (F-AIXO) de la compagnie. Avec Paul-Louis Richard, Dagnaux étudia toutes les routes possibles pour relier Alger à Brazzaville, au Congo, et posa les jalons des premières installations aéronautiques de Gao, au Mali, et Fort-Lamy – actuelle N’Djamena au Tchad. L’exploration du tronçon transsaharien lui fut en partie facilitée par le balisage terrestre mis en place par une société de services et d’exploration, la Compagnie générale transsaharienne (CGT) de George Étienne. Mais contrairement à Étienne, Dagnaux choisit Aoulef, à 1 200 km au sud d’Alger plutôt que Reggan (plus à l’ouest), comme base de départ des 1 300 km de désert qui le séparaient de Gao.
Mais pour le nouveau ministre de l’Air, Laurent-Eynac, la rivalité entre l’Aéropostale et la CGAAA ne pouvait s’éterniser. Les pouvoirs publics favorisèrent la création, en décembre 1929, d’une nouvelle société privée subventionnée, la Compagnie transafricaine d’aviation (CTA) dont l’objet était clairement spécifié : “L’’exploitation d’une ligne aérienne reliant la côte méditerranéenne au Congo et à Madagascar.” L’État entrait à hauteur d’un tiers dans le capital partagé, pour le reste, entre BouillouxLafont et Weiller. Une telle gestion entre deux personnalités que tout opposait ne laissait aucune chance de succès à l’entreprise. Alors que Dagnaux, nommé au poste d’administrateur directeur, poursuivait avec le chef pilote Charles Poulin (1893-1974) le patient défrichage de la ligne, la CTA sombrait peu à peu “dans un climat de querelles et de difficultés”. Fin 1932, la société, minée par ses dissensions internes et d’obscurs imbroglios politico-financiers, était au bord de la faillite sans avoir entamé le moindre service aérien régulier. La création de la Régie Air France à l’été 1933 allait permettre de rebattre les cartes.
Naissance de la Régie Alger-Congo
Sollicitée pour reprendre, sans subvention, le projet de ligne AlgerCongo, la direction d’Air France jugea plus prudent de décliner l’offre ayant assez à faire pour rentabiliser son terminus africain de Dakar. Dès lors, les jeux étaient faits. Comme pour Air France, la loi de décembre 1932 portant statut de l’aviation marchande (lire Le Fana de l’Aviation n° 572) donnait à l’État la possibilité de créer, sous un régime d’écono- mie mixte, une société privée dans laquelle il disposerait d’au moins 25 % des actions. C’est ainsi que la Compagnie transafricaine d’aviation devint le 28 février 1934 la Régie Alger- Congo. L’État, propriétaire des avions et des installations – y compris celles déjà implantées – reprenait la quasi-totalité des personnels de la CTA et confirmait Jean Dagnaux aux commandes de l’entreprise.
Un crédit de 10 MF fut inscrit au budget de 1934 avec le prêt d’un pre- mier avion, le prototype (F-AMSZ) du nouveau trimoteur colonial Bloch MB.120 à bord duquel les pilotes Charles Poulain et Pierre Pharabod réalisèrent du 7 au 15 septembre 1934, en compagnie de Dagnaux, le premier de dix services postaux expérimentaux d’Alger à Brazzaville via le Sahara algérien (El Goléa et Aoulef), le désert malien du Tanezrouft (Aguel’hoc), les escales de Gao, Niamey, Zinder (Niger), Fort-Lamy, Fort-Archambault (Tchad), Bangui et Coquilhatville (ex-Congo belge).