Le dernier Blériot sur Paris-Londres
Fin des années 1920 : Blériot lance un avion de ligne pour rejoindre les “Golden Ray” de la compagnie Air Union sur Paris-Londres.
Le Blériot 165/ 175 traversait la Manche à la fi n des années 1920.
C’est l’histoire d’un nom célèbre, Blériot, et celle d’un constructeur réputé au début des années 1920, Blériot Aéronautique. À la sortie de la Première Guerre mondiale, Louis Blériot doit occuper ses ateliers de l’usine de Suresnes qui tournent à plein régime depuis 1915 (1). Il lance alors son bureau d’études dans une multitude de directions. Trois ingénieurs se partagent les projets. André Herbemont qui, entre autres, a dessiné les Spad, a été rejoint par un Italien, Filippo
(1) La façade signée Blériot est toujours visible ; le site appartient à Airbus. Zappata, et un Autrichien diplômé de Sup Aéro, Léon Kirste.
Études et projets concernent les domaines militaire et civil, chacun avec ses spécificités. Le climat n’est plus aux commandes pléthoriques, chaque projet dessiné est porteur au mieux d’espoir de petite série. Pour ne rien arranger, les nombreux constructeurs français se livrent une rude concurrence. Les lignes commerciales qui s’ouvrent permettent néanmoins d’espérer des commandes par les compagnies aériennes qui se lancent. Paris en particulier devient le centre d’un réseau qui part vers une multitude de destinations autour de l’hexagone. Londres s’impose rapide- ment comme l’une des destinations les plus fréquentées. La capitale britannique étant assez proche, la liaison se fait assez facilement au terme d’un peu plus de 2 heures de vols. La Compagnie des messageries aériennes se lance en 1919, rejointe bientôt par la Compagnie des grands express aériens. Les deux fusionnent en janvier 1923 sous le nom d’Air Union.
Au départ, les liaisons se font avec des Breguet 14 auxquels se joignent des Farman F.60 “Goliath” (12 passagers). Non sans logique, Louis Blériot estime qu’il faudra remplacer tôt au tard ces avions construits pendant la guerre. La compagnie compte un prestigieux
aréopage de l’aéronautique française dans son conseil d’administration avec Louis Breguet (présidence), Robert Morane, Fernard Lioré, Louis Renault, Raymond Saulnier et Louis Blériot.
Retour sur la planche à dessins
Concernant les avions transportant plus de 10 passagers, Louis Herbemont dessine le Blériot 74 “Mammouth” et le Blériot 75 “Aérobus”. Trop grands, ils ne conviennent pas. Blériot revient à la charge avec un nouveau quadrimoteur, conçu cette fois-ci par Léon Kirste, le 115, qui effectue son pre-
À droite la cabine du Blériot 165 qui pouvait accueillir jusqu’à 16 passagers.
mier vol le 9 mai 1923. L’avion est aligné dans le Grand Prix des avions de transport lancé sous l’égide de l’Aéro- Club de France. Blériot affronte ses principaux concurrents, en particulier Caudron et Farman, ce dernier remportant la compétition. Blériot s’acharne quelque peu avec la formule du quadrimoteur (Blériot 135 et 155), sans plus de résultats. Les performances sont souvent honorables : le 115bis réussit ainsi un Paris-Londres en 1 heure et 47 minutes, bien mieux que le Farman “Goliath”. Cependant les Blériot ne s’imposent pas véritablement face à la concurrence.
Kirste retourne sur la planche à dessins et propose le Blériot 165 : même cabine que le 155 – 16 passagers tout au plus – mais équipé de deux moteurs en étoile Gnome et Rhône “Jupiter” 9Ab de 420 ch. Ce moteur est une version sous licence du Bristol “Jupiter” britannique, alors véritable standard dans l’aéronautique mondiale ; il propulse des avions du Japon à l’Union soviétique en passant par la Pologne et l’Italie. L’appareil est un biplan typique de son époque. Tout au plus peut-on remarquer sur l’empennage vertical un petit volet articulé sur le bord de fuite qui permet de compenser le couple provoqué par un moteur en cas de panne de l’un d’eux. Air Union s’intéresse à l’appareil et passe commande de deux exem-
plaires. Le chiffre est plus symbolique qu’autre chose, mais Blériot fait face à la concurrence de Lioré et Olivier avec ses dérivés du bombardier LeO 20. Le Blériot 165 effectue son premier vol le 27 octobre 1926. Baptisé Léonard de Vinci, il entre en service au mois de novembre 1927 sur Paris-Londres. Le deuxième exemplaire le rejoint peu après. Probablement pour uniformiser son parc de moteurs avec ses LeO 213, Air Union demande l’installation de deux Renault 12 en ligne de 450 ch sur le deuxième Blériot 165 qui devient le 175. Baptisé Octave Chanute, il vole le 22 mai 1928 piloté par Lucien Bossoutrot, pilote de records, spécialiste de la ligne Paris-Londres. Air Union commence à l’exploiter à partir du mois d’août. Les Renault ne présentant pas d’avantages substantiels, les “Jupiter” retrouvent assez rapidement leur place.
Comme tous les avions sur la ligne entre les deux capitales, les deux Blériot reçoivent une décoration uniforme rouge et or et portent le nom de “The Golden Ray” sur le fuselage. Des esprits taquins parlent de “gueules de raie”… Ils effectuent des traversées de la Manche jusqu’en 1933. La compagnie compte alors une petite quarantaine d’avions. Selon le Docavia L’Envol du XXe siècle : Blériot Aéronautique, le n° 1 affiche à la fin de sa carrière 715 heures de vol, tandis que le second quitte plus tôt le service avec 269 heures de vol. Air Union a transporté 3 108 passagers lors du premier trimestre de 1931. En octobre 1932 s’il faut croire un dépliant de l’époque, les “Golden Ray” – en très grande majorité des Lioré – ont transporté, depuis 1927, 50 000 passagers entre Paris et Londres. Notons qu’il en coûtait 450 francs pour un aller et retour (276 euros).
Avec la fin de l’exploitation commerciale du Blériot 165 se tourne une page. Jusqu’à la nationalisation de 1936, les avions Blériot civils restent à l’état de prototypes ou d’avions de records, sans réussir à trouver leur place sur le marché.