La folie des généraux
North American XB-70 “Valkyrie”
Deuxième partie. La grande course vers Mach 3 du “Valkyrie”. Un drame et une fi n piteuse pour un géant du ciel.
Le 1er juillet 1961 marqua l’apothéose de la carrière de LeMay : il fut nommé chef d’état- major de l’USAF, tandis que Power conservait la tête du Strategic Air Command. Les deux thuriféraires du bombardier lourd poursuivirent avec ardeur leur campagne de lobbying dans les couloirs du Pentagone et du Congrès. Le passage des bombardiers supersoniques Tupolev Tu-22 “Blinder” et Myasishchev M-50 “Bounder” lors rs du défilé de l’aviation soviétique le 9 juillet puis uis la crise de Berlin à la fin de l’année leur offrirent rent l’opportunité d’affirrmer la nécessité d’acquérir le “Valkyrie”. Pourtant, si le Tu-22 fut fabriqué en série, essentiellement pour r attaquer les porte-avions ons américains en cas de conflit, le “Bounder” n’était que poudre d aux yeux, sa fabrication en série ayant été abandonnée avant une courte campagne d’essais en vol entamée en octobre 1959. Khrouchtchev voulait des missiles balistiques et avait arrêté tous les programmes de bombardiers.
LeMay revint à la charge au début de 1962 avec un nouveau “Valkyrie”, baptisé pour l’occasion RS-70. Il s’agissait désormais d’un bombardier avec des équipements de reconnaissance aptes à débusquer et détruire les sites de lancement des missiles balistiques qui auraient résisté à une première frappe américaine. L’USAF prévoyait d’en acquérir 210 exemplaires au prix de 50 millions de dollars l’unité – cinq fois plus cher qu’un B-52H. LeMay et le RS-70 rencontrèrent des échos favorables au Congrès. McNamara refusa de céder. L’heure n’était plus au bombardier stratégique. Le SAC accepta officiellement le 26 octobre le dernier de ses 744 B-52 (1). L’ultime B-58 avait été livré le même jour ! Difficile de ne pas y voir un symbole. L L’USAF était dans une situation inédite : dep depuis la commande en sé série du B-17 en janvier 19 1936, les États-Unis av avaient toujours co construit des bombardiers stratégiques. C’était fi fini. Désormais c’é c’étaient des missiles balistiques qui sortaient d des usines Boeing. L Le constructeur t t de Seattle devait fournir près de 1000 “Minuteman” avant 1967 – modernisés, ils sont toujours la cheville ouvrière de la puissance nucléaire américaine en 2018. Quant aux capacités de reconnaissance du RS-70, elles furent battues en brèche dès lors que l’avion espion Mach 3 de Lockheed, le A-12, avait volé pour la première fois le 25 avril 1962. Les militaires Américains en commandèrent un dérivé, le SR-71, condamnant ainsi le projet du RS-70.
(1) Le B-52H matricule 61-0040, toujours en service en 2018.
Début 1963, le couperet tomba avec de nouveaux rapports d’experts : le “Valkyrie” n’avait toujours pas d’intérêt comme bombardier. Le 1er juillet, l’hebdomadaire Aviation Week proclama la “victoire” de McNamara sur LeMay.
Entre- temps, le “Valkyrie” avait toutefois trouvé une nouvelle fonction. Piqué au vif par l’annonce tonitruante de la commande de Concorde par la Pan Am le 4 juin, Kennedy annonça le lendemain en grande pompe le lancement du supersonique civil américain SST (SuperSonic Transport). Le projet était dans l’air depuis déjà quelques années. Le SST avait de quoi impressionner avec une fiche programme qui demandait une vitesse de croisière de Mach 2,7. Ce fut une opportunité de prendre le rôle de pionnier du supersonique pour le “Valkyrie”, proche en taille du futur SST, et qui retrouvait une raison d’être en passant d’imposant bombardier à ambitieux explorateur des grandes vitesses et des hautes altitudes. Il trouvait ainsi une place dans le dessein de Nouvelle Frontière annoncée par Kennedy au début de son mandat. Dans un grand élan volontariste, l’Amérique partait à la conquête de la Lune et repoussait les frontières technologiques avec le SST.
Taillé pour Mach 3
La construction des deux premiers prototypes avança lentement, car il fallait pratiquement tout inventer. À cela s’ajoutèrent des problèmes d’usinage et de collage des nouveaux panneaux de structures en nid d’abeille censés résister aux hautes températures. Contrairement au SR-71 dont la structure était pratiquement entièrement constituée de titane, le XB-70 n’en incorporait qu’une faible partie (8 %, essentiellement pour l’avant du fuselage) ; 69 % de sa structure était constituée d’un nouvel acier inoxydable. Ces panneaux étaient en fait composés de trois couches pour assurer un transfert de chaleur suffisant et une résistance importante tout en ayant une faible masse.
Durant la construction, les ingénieurs et techniciens furent confrontés à des problèmes de fuites de carburant. Il fallut mettre les réservoirs sous pressions avec des techniciens à l’intérieur pour colmater les fuites à l’aide d’une colle spéciale. Cependant, le réservoir n° 5 à l’arrière du fuselage resta inutilisable car sa trop petite taille ne permettait pas à un technicien de rentrer à l’intérieur pour en vérifier l’étanchéité. Une attention toute particulière fut portée aux charnières des saumons de voilures inclinables qui pouvaient s’abaisser de 25° pour les vols supersoniques et de 65° pour les vols à Mach 3. Ils avaient la taille d’une aile de B-58 et devaient incorporer un réservoir de carburant sur la version de série.