Aux origines du réarmement français
Troisième partie. En 1938, notre aviation de combat est encore dramatiquement obsolète. Un cinquième plan d’équipement donne la priorité à une nouvelle génération de chasseur : Morane-Saulnier 406, Bloch 151, Dewoitine 520… Mais l’industrie tarde à honore
Faire vite et bien demande- t- on aux industriels français fi n 1937 : vitesse et précipitation ne font pas bon ménage.
En juillet 1937, l’armée de l’Air essuie un véritable affront au meeting international de Zurich-Dübendorf où un Dewoitine D.510, à moteur suralimenté, affronte le prototype (V9) du Messerschmitt Bf 109. La lutte est inégale. Le chasseur français arrive bon dernier derrière le Messerschmitt et trois biplans tchécoslovaques Avia B-534. Mais le pire est à venir. Dans la catégorie des multiplaces de combat, le bimoteur Dornier 17 (V8), dont les premiers exemplaires entrent en service dans la Luftwaffe, affiche une moyenne de 368 km/h contre seulement 321 km/h pour le Dewoitine 510. Avec un déficit de 50 km/h, le meilleur des chasseurs français s’avère incapable de rattraper le bombardier qu’il est censé intercepter ! Ce cinglant camouflet met en lumière la suprématie du matériel allemand. Dans l’armée de l’Air le doute s’installe…
Une force de combat obsolète
En février 1938, la parenthèse du Front populaire se referme. Édouard Daladier forme un nouveau gouvernement ; Pierre Cot est remplacé au ministère de l’Air par le radical Guy La Chambre et le général Vuillemin succède à Féquant au poste de chef d’état-major. À peine installé boulevard Victor, Vuillemin fait parvenir à son ministre de tutelle une note alarmiste écrite quelques semaines auparavant à l’attention de Pierre Cot. Il y est dit : “Dans certaines unités, le moral est très bas (…) Les cadres supérieurs se rendent compte que l’aviation française n’est pas ce qu’elle devrait être. Leur découragement est profond (…) Je suis convaincu que, si un conflit éclatait cette année, notre aviation serait écrasée en quelques jours…” L’armée de l’Air compte alors 4 600 appareils de toutes catégories dont à peine 3 600 “de guerre” au nombre desquels 1 350 – soit moins de la moitié ! – ont été produits au titre des différents plans d’équipement depuis 1934 ! Huit escadres de chasse alignent 800 appareils dont les plus récents sont encore les Dewoitine 501 et 510 (260 exemplaires), les Loire 46 et Spad 510 (une soixantaine d’exemplaires de chaque), et les Dewoitine 371 (une vingtaine). À cela s’ajoute un nombre équivalent d’avions anciens : Nieuport 622/629 (environ 270) ; Gourdou-Leseurre 32 (80) ; Morane-Saulnier 225 (40) et une poignée de chasseurs de nuit Mureaux 113/114 inaptes aux com-
bats. Pour le bombardement et la reconnaissance, la situation est à peine meilleure avec 15 escadres et 800 appareils constitués majoritairement de Potez 540/542 (250 exemplaires), de Bloch 200 (200), de Bloch 210 (145), d’Amiot 143 (120) et de quadrimoteurs Farman 221/222 (25). La trentaine de groupes aériens régionaux (GAR-AT) “concédés” à l’armée de Terre totalise 40 escadrilles de “coopération” dont six en AFN (Afrique française du Nord). Ces unités, rebaptisées groupes aériens d’observation (GAO), sont les plus nombreuses et les plus mal dotées avec 1 600 appareils en majorité antérieurs au plan I : Breguet 27 et Potez 39. À défaut de pouvoir être considérés comme modernes, ses plus récents Mureaux 115/117 (180 exemplaires) et autogires LéO C-30 (25 exemplaires) n’équipent encore qu’une quinzaine d’escadrilles en métropole.
Des aviateurs mal préparés
Sur les 4 600 avions aux comptes de janvier 1938, à peine 1 600 peuvent être considérés “bons de guerre”. Mais le chiffre est trompeur : la moitié est indisponible ou trop ancienne pour être engagée. Dans son ouvrage de référence, Histoire de l’armée de l’Air (La Documentation française, 2009), Patrick Facon cite les chiffres de 250 chasseurs, 320 bombardiers et 120 appareils de reconnaissance aptes au combat ! Pour le reste, hors forces d’engagement, l’armée de l’Air dispose d’une multitude d’avions d’entraînement et de servitude. Pour la formation, tout matériel déclassé est bon à prendre. Dans les écoles, les élèves volent sur un étonnant cheptel de vieux Caudron 60, Morane-Saulnier 138, Hanriot 436, Potez 25, LéO 20 et Mureaux 113. Issus de commandes passées entre 1932 et 1934, on trouve aussi de plus récents MS 315 et 230 et quelques Han riot 182, pouvant suffire au passage sur Nieupor t 6 2 , Loire 46, Dewoitine 501 et Potez 540, mais inaptes à préparer l’élève aux futurs avions d’armes. Les centres d’instruction manquent de tout : avions d’entraînement modernes, instructeurs qualifiés et doctrine d’emploi. “Dans l’état actuel des choses”, estime le général Vuillemin, “nous ne pourrions opposer aux 5 000 avions allemands et italiens que 500 appareils modernes montés par un personnel qui n’aura pas eu le temps d’apprendre à en obtenir le meilleur rendement.”
Éternelle délaissée : l’Aéronautique navale
La situation est plus alarmante encore dans l’aviation maritime. Le 22 août 1936, un décret a rétabli l’autorité totale de la Marine sur son Aéronautique nava le . Dorénavant , l’“Aéronautique maritime” comprend, d’une part l’Aéronautique navale, e embarquée ou non, aux ordres du mini stre de la Marine, d’autre part l’Aéronautique d de coopération m maritime (exAviation maritime autonome) a absorbée par l’armée de l’Air et mise pour emploi à disposition de la Marine. Le ministère de l’Air garde la haute main sur le matériel. La Marine établit les caractéristiques des appareils
désirés, l’Air élabore les plans et en assure l’exécution. La formule est bâtarde : elle fonctionne tant que les champs d’intérêt ne s’opposent pas. Dans la pratique, les marins héritent souvent de machines dont les aviateurs ne veulent plus… L’essentiel du parc est composé de biplans, d’avions ou d’hydravions anciens d’une douzaine d’années aux performances médiocres. Pour la chasse, l’Aéronautique navale a hérité du Dewoitine 373, version embarquée du type 371 de l’armée de l’Air dont les 19 exemplaires à peine livrés sont repartis en usine pour de nouvelles modifications. Mal motorisés, peu armés, ces monoplans-parasols sont démodés à leur retour en escadrilles. Il ne reste comme intercepteurs qu’une vingtaine de Wibault 74 d’un autre âge, tout juste capables d’atteindre 220 km/h. Pour la surveillance, les unités embarquées disposent d’environ 80 Gourdou-Leseurre 811 et 832, robustes hydravions biplaces à flotteurs dont la conception remonte aux années 1920. Leur remplacement débute à peine avec le Loire 130, monomoteur quadriplace catapultable, commandé à une centaine d’exemplaires. Peu performant mais solide, il équipe la plupart de nos bâtiments de ligne.
Pour le torpillage, on en est resté aux vieux biplans “marins” Levasseur PL.7, 10 et 15 – une cen- taine d’exemplaires – dont les plus récents ont été introduits en 1933. On trouve encore, équipés de flotteurs ou de roulettes, des Farman F.168 “Goliath”, dangereux survivants d’une lignée de bombardiers de la Première Guerre mondiale. Leur retrait vient de commencer avec l’hydravion à flotteurs LéO 257bis (60 en commandes), biplan de bombardement “taillé à la serpe” dont l’armée de l’Air détient inutilement 20 exemplaires. Le monomoteur CAMS 37 et ses dérivés (hydravions ou amphibies) et le bimoteur CAMS 55 sont les multiplaces de surveillance les plus nombreux – environ 220 – dans nos escadrilles côtières déployées en métropole et dans nos plus lointaines colonies. Le meilleur hydravion d’exploration est d’origine britannique, le Breguet 521 “Bizerte”, une version du Short S.8 “Calcutta” construite sous licence par Breguet depuis 1935 (34 exemplaires). Doté de trois Gnome et Rhône 14Kirs de 900 ch, cet élégant biplan emporte 400 kg de bombes à 250 km/h sur 2 200 km. Sa relève devait être assurée par le trimoteur Loire 70 né d’un programme de 1932, mais celui-ci s’avère être raté : il est sous-motorisé et construit sur un principe aberrant, mais cher à la Marine, qui l’a doté de deux ponts et d’une invraisemblable passerelle de commandement imitant celle des navires de surface. Ses nombreux encorbellements et postes d’observation lui valent le sobriquet de “Château de Cornouaille”. Les huit exemplaires produits seront réformés en 1940.
Une pléthore de prototypes
La courte carrière du Loire 70 symbolise les errements d’une amirauté plus jalouse de ses commandements à la mer que de l’efficience de sa force aérienne. On ergote à l’infini sur la forme des coques ou l’architecture des postes d’équipage au détriment de l’aérodynamique la plus élémentaire. Les normes imposées aux constructeurs sont draconiennes et la perspective de faibles commandes ne les incite pas à investir dans des séries limitées. L’Aviation maritime hérite d’une pléthore de prototypes dont on ne sait que faire. Certains “légués” par l’armée de l’Air ne répondent à aucun programme émis par ses services. D’autres engendrent des appareils conçus sur des concepts erronés. À l’image de l’hydravion de chasse Loire 210 lancé en 1933 et abandonné en 1939, du Potez 452, biplace d’observation embarqué qualifié de “baignoire volante”, ou du LéO H- 43, constellé de défauts, dont le premier exemplaire de série vole quatre ans après le prototype.
Fort heureusement, des machines plus réalistes sont en essais : le Latécoère 298, hydravion triplace de torpillage capable d’atteindre 300 km/ h dont 120 exemplaires vont être commandés, et le Loire-Nieuport (SNCAO) LN.40, dernier né d’une lignée de bombardiers en piqué malheureusement sous-motorisés. Comme l’armée de l’Air, l’Aéronautique navale reste tributaire d’une industrie spécialisée et de bureaux d’études enclins à développer des modèles anciens à des prix exorbitants. La maison Levasseur en est un exemple. Ses bombardiers-torpilleurs PL.107 et 108, destinés à remplacer les vieux PL.101, devaient être commandés à une quinzaine d’exemplaires. Mais du fait de leur coût, la production s’est arrêtée aux seuls pro-
L’Aviation maritime hérite d’une pléthore de prototypes dont on ne sait que faire