GUERRE ÉLECTRONIQUE : L’ATOUT DE LA TECHNOLOGIE AU XXIE SIÈCLE
Qui sera « maître des ondes » sera maître du monde ! Espionnage, préparation des conflits, protection des avions en opération, la guerre électronique est partout dans l’aéronautique aérienne moderne.
En 1914, la tour Eiffel écoute le trafic radio allemand. Début septembre, elle repère, avec l’aviation, l’évolution de la manoeuvre ennemie. La contre-attaque de la Marne peut être lancée. Le 7 janvier 1987, l’armée de l’Air française monte un raid complexe pour neutraliser le radar Flat Face de la base de Ouadi-Doum tenue par les forces libyennes de Khadafi (déjà) au nord du Tchad. La mission, confiée aux Jaguar du 3/3 Ardennes, se conclut par le tir réussi d’un missile antiradar AS- 37 Martel. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 2018, un Iliouchine II-20 de renseignement russe est frappé par un missile au large de la Syrie. Entre ces trois événements, un point commun : la guerre électronique, ou « GE ». Elle se définit comme la conquête, puis la maîtrise du spectre électromagnétique en vue de l’obtention d’un avantage militaire sur l’adversaire, tout en lui interdisant son usage. Surfant sur les ondes qui traversent l’atmosphère, la GE se distingue donc de la guerre informatique, en termes d’objectifs comme de technologie. Apparu au début du siècle dernier, ce nouvel espace de lutte accompagne l’émergence des technologies radioélectriques : la Télégraphie Sans Fil en 1896, puis le radar dès 1935. Elle s’étend plus encore dans
les années 1960 dans le spectre infrarouge et ultraviolet. Au XXIe siècle, ce schéma reste toujours valable. Le renseignement électronique est orienté sur les groupes armés terroristes, mais aussi sur les forces armées d’Etats constitués. Le retour des tensions inter- étatiques observées au cours de l’actuelle décennie donne désormais plus de légitimité encore à ces dispositifs. Pour l’Otan, la crise ukrainienne, ou la guerre persistante en Syrie encouragent les programmes de guerre électronique. Dans le cas français, la motivation en matière de GE est stimulée par la guerre dans la bande sahélo-saharienne. En recherche constante de supériorité technologique, la GE profite des derniers perfectionnements, pas tant du côté des plates-formes que du côté des instruments électroniques, les processeurs gagnant en puissance.
La guerre électronique : une guerre de l’information
La GE comprend trois champs d’intervention : le renseignement à partir de l’écoute des émissions radio et radar adverses, l’autoprotection électronique des plates-formes de combat face aux menaces, pour l’essentiel les missiles guidés. On y ajoute des actions offensives : le brouillage et la destruction physique des défenses anti-aériennes adverses. Chacun de ces champs nécessite des systèmes d’armes spécifiques.
Le premier champ est celui des aéronefs de renseignement. Les experts distinguent l’Elint ( Electronique Intelligence), qui vise les émissions radars, et le Comint (Communication Intelligence), qui s’oriente sur les télécommunications.
Les deux assemblés forment le « Sigint », ou Signal Intelligence, que les Français traduisent par ROEM, pour Renseignement d’origine élec- tromagnétique. Aux côtés de l’Allemagne, des Etats-Unis, du RoyaumeUni et de la Russie, la France est un pays pionnier de cette discipline nouvelle. On se plaira à rappeler que, peu avant la Seconde Guerre mondiale, Maurice Deloraine et Henri Busignies conçoivent un radiogoniomètre révolutionnaire qui permet une localisation instantanée des U-Boots trahis par l’usage de leur radio. Suite à la défaite de 1940, ils se réfugient aux Etats- Unis avec les plans de leur invention.
Adopté par l’US Navy, l’équipement est embarqué sur les navires alliés, notamment les porte-avions d’escorte. Il aura un rôle déterminant dans la chasse aux sous-marins de l’amiral Dönitz durant la bataille de l’Atlantique. La RAF britannique est pionnière en la matière. Elle met en place une unité spécialisée : le Bomber support group 100. Avec mission d’escorter les raids de bombardiers sur l’Allemagne.
Ses Handley Page Halifax ou B- 17 embarquent des brouilleurs afin de rendre inopérants les radars Freya et Würtzburg. Il y eut aussi des Mosquitos dotés de détecteurs, dont la mission était de neutraliser la chasse de nuit allemande. Le groupe comptera jusqu’à 260 appareils.
Cet épisode souligne que les champs d’action de la GE évoluent peu. Simplement, les missiles ont suppléé les Messerschmitt, alors que déjà le radar est en passe de remplacer les yeux du pilote.
Une guerre du renseignement
La culture guerre électronique est l’apanage des grandes nations technologiques qui ont bâti une politique de défense souveraine. Outre les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, on s’accorde à ajouter Israël qui se forge une spécialité en la matière suite à la guerre du Kippour. Quant à l’Allemagne, elle entretient une longue tradition dans le monde électronique et celui des télécoms. La France dispose pour sa part d’une forte culture guerre électronique, la discipline ayant accompagné la constitution de la force de frappe. Fondant une activité nouvelle, derrière des sociétés comme Thomson ou Electronique Serge Dassault, la France revendique son excellence dans cette nouvelle course à la technologie, où les Etats-Unis font office de superpuissance. Pour les aviateurs et les marins, la guerre électronique est à même d’assurer la crédibilité des vecteurs porteurs d’armes nucléaires. Cette discipline permet ainsi à un vecteur qui en est doté de déjouer les défenses adverses et de délivrer son arme sur la cible à coup sûr. Cet espace de bataille est un enjeu tel – la survie d’un vecteur nucléaire en zone hostile – qu’il inspire son titre au livre du général Jean- Paul Siffre paru en 2003. Celui qui sera «Maîtredes
ondes» sera le «maîtredumonde». Le renseignement d’origine électromagnétique reçoit alors une double
mission : anticiper une agression et connaître les performances des systèmes de défense adverses de manière à élaborer les solutions de protection.
La GE est à cet égard un héritage de la guerre froide qui a traversé les débris du mur de Berlin. Les forces aériennes se sont dotées d’importantes flottes d’appareils spécialisés. L’US Air Force domine le ciel avec les RC-135 Rivet Joint, la Navy mettant en ligne des EP-3 Aries basés à terre. L’US Army dispose de sa propre flotte, les RC-12 Guardrail. Ces flottes sont renouvelées et modernisées : cette année, les forces spéciales américaines ont pris en main un nouvel appareil, un Havilland Canada Dash 8 intégrant en soute une charge de renseignements. Opérant en mode automatique, ces systèmes de recueil sont également intégrés à des drones, en particulier les Global Hawk. En France, l’armée de l’Air tient à conserver des moyens à la mesure des objectifs de défense. Elle reçoit dans les années 1970 l’avion DC-8 Sarigue qui vient compléter les avions Gabriel ( sur Noratlas, puis Transall) de la Force aérienne tactique. L’aviation française introduit une originalité avec la nacelle ASTAC (Analyseur de signaux tactiques) qui est montée sous les Mirage F1CR de Reims, leur électronique étant dérivée directement des systèmes intégrés aux Gabriel. La mission est assurée aussi par des satellites : ce sera la vocation de Xerces, offrant de la sorte une couverture mondiale. La Marine met en oeuvre le bâtiment Dupuy-De-Lôme. Ce renseignement remplit deux objectifs : suivre l’activité militaire adverse et connaître les performances électroniques des systèmes d’armes à affronter, ceci en vue de développer les contre- mesures adaptées. Le champ de bataille électronique opère donc dès le temps de paix. Visant les signaux électroniques, il est enrichi par du renseignement sur les signatures infrarouges et sur les télémétries (liaison entre missiles et stations de contrôle). Le recueil fait donc l’objet d’un traitement en temps réel ou au retour des missions. Il implique une coopération étroite avec les indus- triels spécialisés. la mission d’organisation et de coordination de cet effort ayant été confiée à la DGA au ministère de la Défense. La DGA s’appuie notamment sur le Centre d’Electronique de l’Armement à Rennes, désormais « DGA Maîtrise de l’Information ». Pour l’avenir, en opérations, l’action des forces de GE s’inscrira dans un cycle « observation, orientation, décision, action » à un rythme soutenu. Le processus, piloté par des états-majors interarmées ou interalliés, pourra profiter d’une connectivité accrue entre les différents pions déployés sur un théâtre d’opérations. C’est tout le sens de
la fonction relais que l’on retrouve sur les avions de commandement.
L’autre vocation de la GE : l’autoprotection face aux missiles
Les conflits modernes ont servi de catalyseur à une technologie qui s’est installée dans les forces armées modernes, sur tous ses champs d’action. La vitesse ou l’altitude ne sont pas suffisantes face aux missiles. La destruction de l’avion U-2 en 1959, audessus de l’URSS, et les pertes subies au Vietnam et durant la guerre du Kippour par missiles sol-air (SA-2, SA-3, SA-6) imposent une solution. En centre-Europe, les Soviétiques ont ajouté des missiles SA- 4 et SA- 5. L’aviation militaire se tourne donc vers la GE pour restaurer sa crédibilité. Sur un avion d’arme, il faut quatre éléments : un détecteur de menace ( électromagnétique, infrarouge, laser), des contre-mesures sous forme de leurres et de brouilleurs, une fonction de calcul pour faire le tri entre les signaux détectés et, enfin, une information de l’équipage. Les dernières générations d’avions américains et russes (F-22, F-35, Sukhoï-57) ont de ce point de vue rejoint le concept français de systèmes intégrés entièrement à la cellule, délaissant les nacelles. L’électronique vient ainsi compléter l’apport des architectures furtives des cellules. Cette solution élégante prend le relais des pods de brouillage historiques que furent les AN/ALQ-131 et autres AN/ALQ-184.