C’EST GONFLÉ ! PNEUS ET AVIONS, LE GÉANT MICHELIN
En 2018, la moitié des avions commerciaux chaussent des pneus Michelin. Présentation d’une réussite autour d’un équipement peu connu et néanmoins indispensable pour les avions : le pneu.
Cette histoire pourrait commencer ainsi : et l’aviation découvre la roue. Avant de partir dans les airs, il fallait déplacer l’avion au sol puis accélérer avant de pouvoir décoller. Roues et skis se disputèrent comme moyens de déplacement. Clément Ader installa des petites roues sur
Eole. Le 9 octobre 1890, le grand jeu des témoins de la première tentative de vol d’Ader consista à chercher la disparition des traces de roues sur le terrain pour prouver que l’appareil avait décollé. Les frères Wright optèrent de leur côté en 1903, avec leFlyer
I, pour des skis fabriqués en bois, comme pour la cellule. Faciles à fa- briquer, mais assez peu pratiques au sol. La roue se généralisa de fait rapidement. Boudin et tubes de caoutchouc cédèrent la place au pneumatique gonflé à l’air. Le pneu s’imposa dans l’aviation après avoir accompagné l’essor de l’automobile. Ce fut dans ces temps anciens qu’entra en scène André Michelin, qui ne tarda pas à prendre une place importante dans le petit monde des personnalités de l’industrie qui militèrent activement pour que l’aviation joue un rôle de premier plan (voir l’encadré « Michelin et l’aviation »).
Paradoxalement, si les frères Michelin avaient pris une grande importance dans la fourniture de pneus
pour l’automobile, ce n’était pas le cas dans l’aéronautique. Leur principal concurrent actuel, l’Américain Goodyear, fournissait depuis 1909 constructeurs et armées. Les Japonais de Bridgestone assemblaient des pneus pour l’aviation depuis 1936. En France, Kléber se fit un nom, en commençant par équiper les Potez. En 1969, Concorde partait dans le monde du supersonique, doté des Kléber-Colombes et des Dunlop britanniques.
Radial et avion
Michelin se fit connaître à partir d’une innovation, le pneu radial associant gomme et acier. Partant de l’automobile, la technologie radiale passa aux poids lourds, aux engins agricoles et à l’aéronautique au début des années 1970. Il fallut peaufiner les études et les essais tant les contraintes sont ici nombreuses, parfois même contradictoires. L’aviation suppose du matériel résistant et léger, mariage souvent difficile. Il faut pouvoir résister aux hautes températures lorsque le pneu touche la piste, mais aussi affronter le froid polaire à haute altitude, le tout en étant le moins lourd possible, en assurant le plus grand nombre de décollages et d’atterrissages. L’équation est particulièrement difficile. Pour la petite histoire, sur Mirage III, l’usure était calculée de la façon suivante : chaque pneu disposait d’un crédit de 80 points. Chaque décollage et atterrissage, en fonction de la masse de l’avion, coûtait un lot de points. Arrivé à zéro, remplacement obligatoire ! Le rechapage est possible, parfois jusqu’à 15 opérations de ce type sur les pneus actuels.
La conquête de l’Amérique
Pour Michelin, la percée se fit d’abord dans le secteur militaire. Le 28 avril 1981, un Mirage III fit pour la première fois un vol d’essais à Brétigny avec des pneus à carcasse radiale. L’armée de l’Air passa ensuite commande pour le « Mirage » 2000. Puis l’Us Air Force suivit pour équiper d’abord les Mc Donnell Douglas F-15E, puis les F-4 « Phantom » II, avant de généraliser cet équipement à pratiquement l’intégralité de sa flotte. Ce fut aussi le cas de l’Us Navy pour ses avions.
Dans le secteur civil, Airbus s’intéressa à la technologie radiale au début des années 1980. En décembre 1983, la certification commerciale fut obtenue pour l’Airbus A300. Air France équipa sa flotte en Michelin.
Dès lors Bibendum va faire le tour du monde sur les avions. Cette ascension vers les sommets passa par la reprise de BF Goodrich en 1988/1989. La gamme s’étoffa des petits avions de tourisme jusqu’à la navette spatiale. Précisons en passant que, compte tenu de sa vitesse d’atterrissage de 400 km/h après un passage dans l’espace, ses pneus servaient une seule et unique fois. Autre avion très contraignant pour ses pneumatiques, le Concorde. L’accident du F- BTSC le 25 juillet 2000, suite à l’éclatement d’un pneu après avoir heurté une lamelle métallique tombée sur la piste, souligne l’importance du pneumatique. Pour revoler l’avion a bénéficié d’une amélioration du pneu radial sous la forme du système NZG (Near Zero Groth - grandissement presque nul), qui incorpore un composite fait de nylon et de fibres d’aramide. Ces fils renforcés réduisent l’extension de la carcasse (structure) du pneumatique (due aux effets de la pression et de la force centrifuge au décollage) à moins de 3 %, à comparer aux 8 % observés dans un pneumatique radial nylon et à 12 % pour un pneumatique diagonal conventionnel.
Autre succès au début des années 2000 avec l’Airbus A380. Le NZG équipe aujourd'hui le Dassault Falcon 8X et l’Airbus A350. Son fabricant annonce jusqu’à 20 000 dollars de gain par rapport à un pneu radial classique, de quoi ravir les finances des compagnies aériennes. Autre atout et non des moindres : 10% de masse gagnée, de quoi faire rêver les
ingénieurs aéronautiques qui traquent sans relâche le moindre kilogramme.
La famille des Boeing 737 Max est livrée avec du NZG, de même que le 777 du même constructeur. En 2018, Michelin annonce détenir la moitié du marché de l’équipement en pneus des avions de ligne. Le catalogue va des Daimond et Cessna de tourisme jusqu’au Rafale, en passant par l’avion expérimental solaire SolarImpulse et le Comac 919 chinois, concurrent de l’Airbus A320. Précisons que, sur le marché mondial des pneus d’avions, émergent des concurrents chinois.
Le pneu qui parle
Dans un monde de l’aéronautique hyperconnecté, le pneu est désormais branché en direct avec les équipes de maintenance. Selon ses promoteurs
Michelin et Safran, grâce à des capteurs embarqués, le système PreSense permet de connaître en direct la pression du pneumatique, ce qui évite au sol le contrôle classique avec intervention manuelle sur la valve et la roue ou bien au moyen d’un manomètre.
Toujours dans le domaine de l’innovation plane est lancée l’idée de mettre en rotation les roues des avions avant qu'elles ne touchent le sol, pour éviter que les pneus et la piste ne soient abîmés au moment de l'impact.
« Des études scientifiques ont montré que l' usure pourrait être réduite de 99% en mettant en rotation les pneus avant que l' avion ne touche
lesol» , explique Claudio Bonvino, étudiant d’un programme de recherches de l'Ecole polytechnique dans le cadre du concours Fly Your Ideas organisé par Airbus. Pneu et aviation vont continuer à évoluer de concert. ■