Le Fana de l'Aviation

EJECTION... ÉJECTION !

L’éjection est un exercice « viril » et indispensa­ble pour qui veut évacuer un avion de combat. Mais, en dépit des progrès considérab­les réalisés par les fabricants de sièges, ce n’est pas toujours une science exacte. Car le pilote, avec ses forces et ses

- Par Frédéric Lert

Deu xi ème tentative der allumage du moteur… Rien… La vitesse chute doucement, jeperds de l’altitude. Jevais entrer danslacouc­he nuageuse.Dessous, c’ est la montagne. Mon ai lier crie dans la radio“éjection éjection !” Plus le temps de réfléchir, de tenter quoique ce soir. Je tire la poignée. Tout explose autour de moi et je suis instantané­ment projeté vers le haut et vers l’ avant. Pendant une fr action de seconde, je perds

tous mes repères. Ni haut nibas,ni gauche ni droite. Et puis aussi soudaineme­nt qu’ elle est arrivée, la tempête se calme. Je n’ ai pas eu le temps de réaliser ce qui m’ arrivait, je suis déjà sous le parachute, enveloppé par

lesilence…» Tous les témoignage­s récents de pilotes éjectés concordent sur un point : le plus dur est de prendre la décision de tirer la poignée. Après, l’espace d’une fraction de seconde, c’est une affaire de violence absolue et d’enchaîneme­nt de divers auto- matismes. Tout allant trop vite pour l’esprit humain, il faut simplement laisser faire la machine en ayant une confiance aveugle dans ses réglages.

L’idée de sauver le pilote d’un avion en perdition n’allait pas de soi dans les premières années de l’aviation militaire. En donnant une bouée de sauvetage aérienne à l’intrépide pilote, n’allait-on pas l’inciter à révéler sa nature profonde : un être humain plus préoccupé par le sauvetage de sa pauvre vie plutôt que par la sau- vegarde de son avion ? Pendant la Première Guerre mondiale, quand les morts se comptent chaque jour en milliers, qui pourrait s’émouvoir de la perte d’un pilote ? Il faut attendre 1924 pour que l’armée américaine rende le port du parachute obligatoir­e. Les autres pays emboîtent le pas. A charge pour le pilote de se débrouille­r tout seul pour quitter son avion. Mais bientôt, la vitesse augmentant, la force des bras et de la volonté ne suffisent plus. Les ingénieurs se mettent alors en chasse d’un mécanisme permettant l’évacuation rapide d’un avion en perdition.

Un complément indispensa­ble au réacteur

Les premières études portant sur un siège éjectable sont réalisées dès 1939 par la société Heinkel. En 1944, des sièges équipent en série le He162. Les premiers sièges testent différente­s méthodes : air comprimé, cartouche de poudre. C’est finalement cette dernière solution, plus puissante, qui l’emporte. Le Dornier Do 335 et le Heinkel He219 seront également équipés de ces premiers sièges rudimentai­res. Une soixantain­e de pilotes allemands en auraient fait usage pendant la guerre, sans que l’on sache précisémen­t combien survécuren­t… Avec l’arrivée des premiers avions à réaction, les Britanniqu­es s’intéressen­t également à la question : Sir James Martin, le « Martin » de « Martin Baker », expériment­e un premier siège en janvier 1945. Une première éjection humaine est réalisée le 24 juillet 1946 à partir d’un Meteor 3 volant à 2700 m et 590 km/h. Les Américains se rapprochen­t des travaux britanniqu­es et réalisent une première éjection aux Etats-Unis quelques semaines plus tard. Terminons ce tour d’horizon rapide avec la France : à l’image de sa recherche sur les avions à réaction, elle part de loin après la Seconde Guerre mondiale ! Et comme tant bien d’autres domaines, elle commence par s’appuyer sur les équipement­s capturés à l’issue du conflit. La SNCASO crée un départemen­t chargé de travailler sur le sujet, en prenant comme base de départ le siège du He162. La première éjection expériment­ale a lieu le 3 janvier 1951 : le parachutis­te d’essai s’appelle André Allemand et il est éjecté d’un Bloch MB175 modifié. Mais, à la fin des années cinquante, les sièges SNCASO sont abandonnés au profit des créations de la société SEMMB, une co-entreprise fondée en mars 1959 entre Hispano Suiza et Martin Baker (voir encadré).

La première génération de sièges est d’un fonctionne­ment assez… viril. Une seule cartouche est utilisée pour extraire le siège et le pilote et les éloigner de l’avion. Sa puissance est énorme, l’accélérati­on de départ colossale. Les blessures et traumatism­es ne sont pas exceptionn­els.

«A l’ époque, la rumeur disait qu’ il y avait un blessé grave ou un décès sur trois éjections, se souvient Denis Turina (voir encadré). Malgrétout,on nous conseil lait toujours avec les avions à aile en flèche de nous éjecter plutôt qued’ essayer de nous crasher… A part le Mystère IIets on siège S NCAS O qui avait une sale réputation, il n’ y avait aucune défiance envers l’ utilisatio­n du siège. S’ il fallait le faire, eh bien on y allait, sans arrière-pensée. Si on en venait à tirer sur le rideau, c’ est que de toutes façons nous n’ avions pluslechoi­x…»

Mettre l’avion en léger cabré…

Les sièges de cette époque fonctionne­nt en deux temps : sur le Mystère IV, la poignée haute déroule un rideau devant le visage du pilote et déclenche la mise à feu des boulons explosifs qui libèrent la verrière. En continuant à tirer comme un sourd, le pilote fait partir le siège. «Ama première éjection, je n’ avais pas tiré à fond. J’ ai volé quelques instants sans la verrière, en décapotabl­e, avant de me reprendre et de terminer la sé

quence d’ éjection », raconte Denis Turina. Avec le siège du F-100, deux manoeuvres sont nécessaire­s : dans un premier temps le pilote remonte les accoudoirs pour éjecter la verrière. Ce faisant, il dégage des détentes qu’il doit alors serrer pour faire partir son siège. En basse altitude, la consigne est de mettre l’avion en léger cabré pour grappiller quelques mètres à l’ouverture du parachute. Sur la poignée du parachute, un bouton poussoir actionné par le pilote permet de sélectionn­er un retard à l'ouverture. Placé sur « 0 seconde » au-dessous de 2000 pieds, le parachute s’ouvre dès la séparation avec le siège, immédiatem­ent après l’éjection. Tout va plus vite mais le risque existe que le siège parte s’emmêler dans les suspentes du parachute. Ce bouton est placé sur « 2 secondes » au-dessus de 2000 pieds, et ce retard automatiqu­e à l’ouverture permet d’assurer une séparation franche du pilote et de son siège.

Une deuxième génération de siège introduit un peu de progressiv­ité et réduit d’autant le choc du départ : une première charge pyrotechni­que fait sortir le siège, une seconde prend

le relais pour l’éloigner de l’avion. Avec cette deuxième génération arrive la capacité 0-120, puis 0-90 et enfin zéro- zéro : il devient possible de s’éjecter à vitesse et/ou hauteur nulle, la puissance du siège autorisant un bon déploiemen­t du parachute. Avec la troisième génération, utilisée dans les avions aujourd’hui en service, les capteurs fleurissen­t sur le siège tandis que le traitement de l’informatio­n débouche sur une séquence raccourcie pour le pilote et le déploiemen­t de son parachute. La sortie de l’avion est moins violente et le domaine d’éjection s’élargit considérab­lement. Mais d’une génération à l’autre de siège, le pilote reste toujours le même, avec ses doutes et ses certitudes. Et c’est toujours sur lui que repose la prise de décision. S’éjecter ou ne pas s’éjecter, là est la question…

L’éjection, la seule solution

«Le problème de l’ éjection se concentre sur les secondes qui précèdent l’ action sur la poignée, raconte Denis Turin a. L’ éventualit­é d’ une éjection est vécue comme une obligation et non comme une solution. C’ est une action irréversib­le qui est ressentie commeunéch­ec:je doism’éjecter parceque je n’ ai pas été capable de résoudre le problème qui m’ était posé… Et une fois qu’ il tire la poignée, le pilote sait qu’il a perdu. Pour ma deuxième éjection, sur F -100, j’ étais très bas. J’ avais relevé les accoudoirs et éjecté la verrière et j’ avais gardé les mains crispées sur le siège. J’ ai dû faire un gros effort de volonté pour les

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 ??  ?? Le Gloster Meteor T3 immatricul­é WA638, propriété de Martin Baker et toujours utilisé pour les tests en vol de sièges éjectables. L’avion compte plus de 500 éjections à son actif ! (Martin Baker)
Le Gloster Meteor T3 immatricul­é WA638, propriété de Martin Baker et toujours utilisé pour les tests en vol de sièges éjectables. L’avion compte plus de 500 éjections à son actif ! (Martin Baker)
 ??  ?? Quelques instants avant le tir, Doddy Hay est sanglé sur son siège par ses collègues de Martin Baker. (Martin Baker)
Quelques instants avant le tir, Doddy Hay est sanglé sur son siège par ses collègues de Martin Baker. (Martin Baker)
 ??  ?? Doddy Hay, un autre employé de Martin Baker, réalisa les premières éjections 0/0 (vitesse/altitude nulle) sur un siège de la compagnie. (Martin Baker)
Doddy Hay, un autre employé de Martin Baker, réalisa les premières éjections 0/0 (vitesse/altitude nulle) sur un siège de la compagnie. (Martin Baker)
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Le 24 juillet 1946, Bernard Lynch, employé de Martin Baker, se porte volontaire pour un essai en conditions réelles à partir d’un Gloster Meteor 3. Il totalisera à la fin de sa carrière une trentaine d’éjections ! (Martin Baker)

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