EJECTION... ÉJECTION !
L’éjection est un exercice « viril » et indispensable pour qui veut évacuer un avion de combat. Mais, en dépit des progrès considérables réalisés par les fabricants de sièges, ce n’est pas toujours une science exacte. Car le pilote, avec ses forces et ses
Deu xi ème tentative der allumage du moteur… Rien… La vitesse chute doucement, jeperds de l’altitude. Jevais entrer danslacouche nuageuse.Dessous, c’ est la montagne. Mon ai lier crie dans la radio“éjection éjection !” Plus le temps de réfléchir, de tenter quoique ce soir. Je tire la poignée. Tout explose autour de moi et je suis instantanément projeté vers le haut et vers l’ avant. Pendant une fr action de seconde, je perds
tous mes repères. Ni haut nibas,ni gauche ni droite. Et puis aussi soudainement qu’ elle est arrivée, la tempête se calme. Je n’ ai pas eu le temps de réaliser ce qui m’ arrivait, je suis déjà sous le parachute, enveloppé par
lesilence…» Tous les témoignages récents de pilotes éjectés concordent sur un point : le plus dur est de prendre la décision de tirer la poignée. Après, l’espace d’une fraction de seconde, c’est une affaire de violence absolue et d’enchaînement de divers auto- matismes. Tout allant trop vite pour l’esprit humain, il faut simplement laisser faire la machine en ayant une confiance aveugle dans ses réglages.
L’idée de sauver le pilote d’un avion en perdition n’allait pas de soi dans les premières années de l’aviation militaire. En donnant une bouée de sauvetage aérienne à l’intrépide pilote, n’allait-on pas l’inciter à révéler sa nature profonde : un être humain plus préoccupé par le sauvetage de sa pauvre vie plutôt que par la sau- vegarde de son avion ? Pendant la Première Guerre mondiale, quand les morts se comptent chaque jour en milliers, qui pourrait s’émouvoir de la perte d’un pilote ? Il faut attendre 1924 pour que l’armée américaine rende le port du parachute obligatoire. Les autres pays emboîtent le pas. A charge pour le pilote de se débrouiller tout seul pour quitter son avion. Mais bientôt, la vitesse augmentant, la force des bras et de la volonté ne suffisent plus. Les ingénieurs se mettent alors en chasse d’un mécanisme permettant l’évacuation rapide d’un avion en perdition.
Un complément indispensable au réacteur
Les premières études portant sur un siège éjectable sont réalisées dès 1939 par la société Heinkel. En 1944, des sièges équipent en série le He162. Les premiers sièges testent différentes méthodes : air comprimé, cartouche de poudre. C’est finalement cette dernière solution, plus puissante, qui l’emporte. Le Dornier Do 335 et le Heinkel He219 seront également équipés de ces premiers sièges rudimentaires. Une soixantaine de pilotes allemands en auraient fait usage pendant la guerre, sans que l’on sache précisément combien survécurent… Avec l’arrivée des premiers avions à réaction, les Britanniques s’intéressent également à la question : Sir James Martin, le « Martin » de « Martin Baker », expérimente un premier siège en janvier 1945. Une première éjection humaine est réalisée le 24 juillet 1946 à partir d’un Meteor 3 volant à 2700 m et 590 km/h. Les Américains se rapprochent des travaux britanniques et réalisent une première éjection aux Etats-Unis quelques semaines plus tard. Terminons ce tour d’horizon rapide avec la France : à l’image de sa recherche sur les avions à réaction, elle part de loin après la Seconde Guerre mondiale ! Et comme tant bien d’autres domaines, elle commence par s’appuyer sur les équipements capturés à l’issue du conflit. La SNCASO crée un département chargé de travailler sur le sujet, en prenant comme base de départ le siège du He162. La première éjection expérimentale a lieu le 3 janvier 1951 : le parachutiste d’essai s’appelle André Allemand et il est éjecté d’un Bloch MB175 modifié. Mais, à la fin des années cinquante, les sièges SNCASO sont abandonnés au profit des créations de la société SEMMB, une co-entreprise fondée en mars 1959 entre Hispano Suiza et Martin Baker (voir encadré).
La première génération de sièges est d’un fonctionnement assez… viril. Une seule cartouche est utilisée pour extraire le siège et le pilote et les éloigner de l’avion. Sa puissance est énorme, l’accélération de départ colossale. Les blessures et traumatismes ne sont pas exceptionnels.
«A l’ époque, la rumeur disait qu’ il y avait un blessé grave ou un décès sur trois éjections, se souvient Denis Turina (voir encadré). Malgrétout,on nous conseil lait toujours avec les avions à aile en flèche de nous éjecter plutôt qued’ essayer de nous crasher… A part le Mystère IIets on siège S NCAS O qui avait une sale réputation, il n’ y avait aucune défiance envers l’ utilisation du siège. S’ il fallait le faire, eh bien on y allait, sans arrière-pensée. Si on en venait à tirer sur le rideau, c’ est que de toutes façons nous n’ avions pluslechoix…»
Mettre l’avion en léger cabré…
Les sièges de cette époque fonctionnent en deux temps : sur le Mystère IV, la poignée haute déroule un rideau devant le visage du pilote et déclenche la mise à feu des boulons explosifs qui libèrent la verrière. En continuant à tirer comme un sourd, le pilote fait partir le siège. «Ama première éjection, je n’ avais pas tiré à fond. J’ ai volé quelques instants sans la verrière, en décapotable, avant de me reprendre et de terminer la sé
quence d’ éjection », raconte Denis Turina. Avec le siège du F-100, deux manoeuvres sont nécessaires : dans un premier temps le pilote remonte les accoudoirs pour éjecter la verrière. Ce faisant, il dégage des détentes qu’il doit alors serrer pour faire partir son siège. En basse altitude, la consigne est de mettre l’avion en léger cabré pour grappiller quelques mètres à l’ouverture du parachute. Sur la poignée du parachute, un bouton poussoir actionné par le pilote permet de sélectionner un retard à l'ouverture. Placé sur « 0 seconde » au-dessous de 2000 pieds, le parachute s’ouvre dès la séparation avec le siège, immédiatement après l’éjection. Tout va plus vite mais le risque existe que le siège parte s’emmêler dans les suspentes du parachute. Ce bouton est placé sur « 2 secondes » au-dessus de 2000 pieds, et ce retard automatique à l’ouverture permet d’assurer une séparation franche du pilote et de son siège.
Une deuxième génération de siège introduit un peu de progressivité et réduit d’autant le choc du départ : une première charge pyrotechnique fait sortir le siège, une seconde prend
le relais pour l’éloigner de l’avion. Avec cette deuxième génération arrive la capacité 0-120, puis 0-90 et enfin zéro- zéro : il devient possible de s’éjecter à vitesse et/ou hauteur nulle, la puissance du siège autorisant un bon déploiement du parachute. Avec la troisième génération, utilisée dans les avions aujourd’hui en service, les capteurs fleurissent sur le siège tandis que le traitement de l’information débouche sur une séquence raccourcie pour le pilote et le déploiement de son parachute. La sortie de l’avion est moins violente et le domaine d’éjection s’élargit considérablement. Mais d’une génération à l’autre de siège, le pilote reste toujours le même, avec ses doutes et ses certitudes. Et c’est toujours sur lui que repose la prise de décision. S’éjecter ou ne pas s’éjecter, là est la question…
L’éjection, la seule solution
«Le problème de l’ éjection se concentre sur les secondes qui précèdent l’ action sur la poignée, raconte Denis Turin a. L’ éventualité d’ une éjection est vécue comme une obligation et non comme une solution. C’ est une action irréversible qui est ressentie commeunéchec:je doism’éjecter parceque je n’ ai pas été capable de résoudre le problème qui m’ était posé… Et une fois qu’ il tire la poignée, le pilote sait qu’il a perdu. Pour ma deuxième éjection, sur F -100, j’ étais très bas. J’ avais relevé les accoudoirs et éjecté la verrière et j’ avais gardé les mains crispées sur le siège. J’ ai dû faire un gros effort de volonté pour les