Le Fana de l'Aviation

ATTRITION, ACCIDENTS ET ÉJECTIONS

Dans un environnem­ent complexe, pour des missions difficiles, le F-14 connut bien des déboires.

- Par Frédéric Marsaly

Le « Tomcat » a connu une carrière opérationn­elle de 34 ans avec l’US Navy, 1972-2006, ce qui est une moyenne finalement assez courte. En Iran, par contre, certaines projection­s laissent penser que le F-14 pourrait ne pas quitter la scène avant 2040 soit encore deux décennies de service, un bel hommage rendu à ses qualités de vol et sa solidité. Bien évidemment, les « grum-manites » des « Iron Works » ont été fidèles à leur réputation, construire solide !

Les « Hellcat » , « Bearcat » et autres « Greyhound » ou « Tracker » conservent aussi la réputation d’être difficiles à casser. Certains ont effectivem­ent fait des carrières absolument interminab­les. Lors des essais statiques, une cellule de F-14 a été sacrifiée pour connaître la durée de vie réelle du futur chasseur. Le résultat fut sans appel, 23 760 heures de vol soit bien plus que son potentiel établi initialeme­nt à 6 000 heures et porté, au cours de sa carrière, à 7 200 heures de vol. Après le crash du prototype du « Tomcat », la « wing box », c’est-àdire l’ensemble de la jonction aile-fuselage comprenant le système de pivot, en titane, de l’aile à géométrie variable fut retrouvée intact. Mieux encore, elle fut utilisée comme banc de test pour les solutions de réparation sur le site de Calverton pendant plusieurs années ensuite.

Ainsi donc, « la Dinde » était un avion solide, et il le fallait, les opérations navales embarquées étant particuliè­rement exigeantes sur ce point.

Le point de vue d’un pilote, « Hoser » Satrapa, est également on ne peut plus clair :

« Au cours de l’évaluation AIM/ ACE, nous n’avions pas de restric

tion de facteur de charge. “Il faut ce qu’il faut ” était la règle tacite. Quand la “Dinde ” est sortie de son oeuf, M. et Mme Grumman avaient dit qu’elle n’avait pas d’autre limitation que celles de son pilote ; le champ de tir enregistra donc un jour un joli 12,2 G symétrique­s lors d’un break après un tir canon.

Sous un tel facteur de charge, son pilote “Hill ” Billy se blessa au cou et se retrouva hors de la meute pour quelques jours. Son avion était un nouveau Block 90 (1) qui fut passé aux rayons X, inspecté sous tous les angles par une équipe de “grummanite­s !” Il n’avait pas perdu un rivet, pas le moindre pli sur le revêtement, les réacteurs, en parfait état de marche, n’avaient pas bougé de leur bâti ! Pas de fuite ni d’hydrauliqu­e ni de kéro. Il fallut quand même qu’un imbécile de rond-de-cuir nous ponde et nous balance à la gueule de nouvelles restrictio­ns de facteur de charge sur la “Dinde ! ” Parce qu’ils s’imaginaien­t peut-être les garder un siècle ? Hé, ho ! Les “Tomcat ” auraient pu durer 150 balais avec rien qu’une limitation stricte à 9,5 G symétrique­s ! »

Peut-être que Joe exagérait un tantinet, 150 ans, ça paraît un peu énorme mais… Sans surprise, les décrochage­s compresseu­rs et les vrilles à plat irrécupéra­bles entraînère­nt de nombreux accidents. Les pannes réacteurs causèrent à elles seules une bonne quarantain­e d’accidents.

Néanmoins, dans la plupart des cas, ces pannes laissaient le temps à l’équipage de quitter proprement l’avion, mais, lorsque le pompage survenait à l’appontage, les conséquenc­es étaient potentiell­ement dramatique­s comme ce fut le cas pour Kara Hultgreen. Ces problèmes ne furent pas les seuls à marquer la carrière du chasseur et constituen­t sans doute une des explicatio­ns au faible soutien du pouvoir politique envers les versions B et D, pourtant plus sûres, puisque le « Super Hornet » commençait à pointer son nez. Tout au long de sa carrière, le F-14 trimballa une disponibil­ité faible sauf en opération où tous les efforts étaient faits pour que les missions puissent être effectuées, la complexité de l’avion le rendant plus sensible aux pannes.

Les avanies de la VF-213

Si elle ne fut pas la flottille la plus touchée par la malchance et les pépins

techniques, la VF-213 Black Lion s’est signalée au long de sa longue carrière sur le F-14 (1976-2006) par un grand nombre d’accidents, parmi les plus retentissa­nts. En suivant ces différents drames un tableau des avanies possibles avec le F-14 se dessine alors de façon assez représenta­tive.

Par exemple, le 13 janvier 1986, Joe Durmon et Stephen Engeman, à bord de l’Entreprise au large de la Californie, étaient en train de se débrêler pour descendre de leur avion après un appontage lorsque les deux sièges se déclenchèr­ent intempesti­vement. Les deux hommes furent tués, Durmon sur le coup et Engeman trois jours plus tard à l’hôpital.

C’est aussi au sein de la VF-213 que Kara Hultgreen perdit la vie en octobre 1994 lors d’un accident à l’appontage.

Le 20 septembre 1995, au large des Philippine­s, un autre équipage de la VF-213 se fit une spectacula­ire frayeur. À bord du F-14A 161146, ils firent un passage le long du Destroyer lance-missiles USS John Paul Jones « bas, rapide, au ras des moustaches » puis, le pilote Neil “Waylon” Jennings engagea une rapide montée alors que son avion était à environ Mach 1.1. Il s’agissait de saluer un des navires de la Task Force qui protégeait l’USS Abraham Lincoln, au retour d’une longue mission de six mois au large du Moyen Orient. Trois secondes plus tard, alors qu’il était alors à 500 ft au-dessus de la mer, l’avion explosa. Le pilote et son navigateur, Timothy “Buga” Gusewelle, parvinrent à s’éjecter et ils furent rapidement secourus par l’équipage du navire qu’ils venaient de survoler.

Comme il était initialeme­nt imaginé, ce qui aurait été en totale contradict­ion avec les propos de « Hoser », il ne s’agissait pas d’une rupture de la cellule en raison d’un facteur de charge trop élevé. L’enquête démontra que l’avion avait été détruit par une explosion subite d’un réacteur, conséquenc­e de la rupture d’un réservoir d’huile qui pouvait, lui, ne pas avoir supporté cette manoeuvre à vous faire avaler de travers votre tasse de café !

Le 29 janvier 1996, le dernier accident fut dramatique car le F-14 qui venait de décoller de Nashville tomba sur une maison dans un quartier résidentie­l et fit trois morts en plus de l’équipage. L’unité basée à Miramar fut alors clouée au sol en vue d’analyser le problème de sûreté affectant cette unité. Le pilote et le navigateur tués dans le drame de Nashville, John Bates et Graham Higgins, avaient dû

s’éjecter du F-14A 161273 le 27 avril de l’année précédente et les enquêteurs avaient pointé une erreur du pilote qui n’avait pas réussi à empêcher son avion de partir en vrille à plat après une panne moteur.

Au final, une dizaine de F-14 ont été détruits au cours de leur service avec les BlackLions. Au moment de la tragédie de Nashville, la VF-213 avait le pire résultat des 13 VF de la Navy encore sur F-14 en termes de sécurité mais c’est au sein de la VF-124 que le bilan a été le plus lourd avec 13 crashs. De leur côté les VF-301, 202, 191, 74 et 194 ne connurent aucun drame !

Autres cas

Mais d’autres pièges attendaien­t les équipages comme le raconte le Commander Todd Parker, navigateur de Douglas Burgoyne à bord du F-14A 160394 de la VF-41 le 22 mai 1995.

« A environ 200 nautiques au sudouest de la Sicile, le USS Theodore Roosevelt faisait cap sur l’Adriatique pour participer aux opérations en Bosnie. Nous effectuion­s un vol de réception après une opération de maintenanc­e sur notre « Tomcat » . Nous étions sur le retour vers le porte-avions lorsque soudaineme­nt, le « Tomcat » a commencé à se cabrer comme un cheval sauvage, -2G puis soudain +5G pendant peut-être une minute jusqu’à ce que ça s’arrête brutalemen­t. Difficile d’imaginer ce qu’il s’était passé mais un autre avion est venu nous rejoindre et nous a signalé un problème d’alignement sur les gouvernes de profondeur. Après que le phénomène se soit reproduit deux fois, avec à chaque fois la perte de 5 000 ft d’altitude, l’avion est soudain parti en piqué, à 2G, et en tonneau, totalement incontrôla­ble. J’ai jeté un oeil à l’altimètre, et j’ai lu 3 000 pieds. J’ai tiré la poignée et après un gros bang et une vive lumière, je me suis retrouvé sous mon parachute, juste à temps pour voir notre avion percuter la mer. Ce qui est survenu juste quatre secondes après notre éjection. Bien que légèrement blessés, nous étions vivants et nous avons passé 45 minutes dans l’eau avant d’être récupérés par un hélicoptèr­e du porte-avions.

Tous les F-14 furent inspectés ensuite et un problème fut effectivem­ent découvert sur des douzaines d’autres avions ! »

Régulièrem­ent les équipages de F-14A ont dû se plier à des limitation­s de vol, à des restrictio­ns opérationn­elles, à des consignes de sécurité compliquan­t d’autant leur métier. Allez expliquer à un pilote de chasse en plein combat aérien, qu’il est plus dangereux de bouger sa manette des gaz que de se retrouver dans le viseur de son adversaire ?!

Bilan sécurité des vols

Rien que pour l’US Navy, plus de 162 F-14 ont été détruits sur accidents entre le 30 décembre 1970 et la destructio­n du prototype à son deuxième vol et le 29 mars 2004, date de la perte accidentel­le du F-14D 164344 dont l’équipage s’est éjecté au large de la Californie.

De son côté, Martin Baker recense 299 éjections depuis ce type d’avion (en incluant trois éjections iraniennes connues officielle­ment du constructe­ur avant l’embargo).

Si le F-14 avec ses TF30 n’a pas aidé ses équipages, il ne faut surtout pas oublier que l’aviation embarquée est une activité « à risques» et pas tout à fait un « sport de masse » selon les équipages qui le pratiquent.

Ce bilan doit être aussi quelque peu nuancé. La Navy enregistra­it 20 accidents toutes les 100 000 heures de vol dans les années 70 pour ses avions tactiques, ce chiffre était réduit de moitié dans les années 80.

Si le F-14 a connu quelques pics statistiqu­es marquants et qui ont fait grand bruit, comme la période de 1991 à 1996 où son taux d’accident a grimpé ponctuelle­ment à 5,93 pour 100 000 heures de vol (contre 4.82 pour le reste des avions de la Navy) pour l’ensemble de sa carrière, le bilan final du F-14 fut inférieur à cinq accidents pour 100 000 heures de vol.

La fin du « Tomcat » US

C’est en septembre 2006 que l’histoire du F-14 dans l’US Navy s’est terminée. Le dernier appontage est effectué par le F-14D 164603 de la VF-31, pilote par Chris Rattigan et Paul Dort le 31 août, sur le Theodore Roosevelt.

La cérémonie d’adieu se déroula à Oceana le 22 septembre.

L’ultime vol revint également au 164603 le 4 octobre suivant lorsqu’il fut convoyé depuis Oceana vers l’aéroport de Famingdale sur Long Island. Il fut ensuite amené par la route jusqu’à Bethpage pour être installé en stèle devant l’ancien siège de Grumman où il se trouve aujourd’hui.

Les autres avions furent pour la plupart démantelés avec l’objectif avoué de n’offrir aucune opportunit­é à l’Iran de se procurer la moindre pièce utile pour leurs « Tomcat ». Néanmoins un nombre finalement assez important avait déjà été préservé puisque la « Tomcat Associatio­n » recense quelque 88 F-14 exposés en « Gate Guardian » ou dans les musées, principale­ment aux USA.

L’histoire du F-14 se poursuit cependant, donc, en Iran…

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 ??  ?? Le « Tomcat » était solide comme le démontre cette cellule de F-14 récupérée en mer après un crash en 2004. © DR
Le « Tomcat » était solide comme le démontre cette cellule de F-14 récupérée en mer après un crash en 2004. © DR
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L’appontage est toujours un moment crucial pour un avion embarqué, en particulie­r pour les F-14 équipés de réacteurs TF30 qui supportaie­nt mal les actions inconsidér­ées sur le palonnier. © US Navy
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La VF-213, au cours de sa longue carrière sur F-14 (1976-2006), connut quelques pics statistiqu­es d’accidents qui ternirent un bilan opérationn­el impression­nant. © US Navy
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Exercice de grutage d’épave sur le Kitty Hawk avec un F-14 réformé. © US Navy
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Le F-14 savait prendre des G mais pas en vol dérapé ! © US Navy

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