« BOMBCAT », LE BOMBARDIER QUI S’ESCORTAIT LUI-MÊME
Au crépuscule de sa carrière, le « Tomcat » changea de fonctions. Et le chasseur brillant se transforma en redoutable bombardier.
Dès sa conception, le « Tomcat » a possédé un mode airsol. Il agissait notamment au niveau de sa géométrie variable. Le contrôle disposait d’un mode « Bomb » qui figeait la flèche variable à 55° afin que le calculateur n’ait pas à multiplier les variables. Mais à l’époque où la Navy alignait A-6 « Intruder » et A-7 « Corsair » II, le besoin pour un avion d’attaque de plus ne se faisait pas vraiment sentir et personne ne vint pousser cette polyvalence. Des essais furent menés en 1973 avec un F-14 lourdement chargé de 14 bombes Mk82 qui disposait en plus d’un armement air-air notable, deux Sidewinder et deux Sparrow. Mais si le concept était viable, il n’était guère soutenu, en particulier par les équipages.
En plus de la réaction égotique classique du pilote de chasse de combat aérien considérant le bombardement comme une tâche moins noble et n’ayant guère d’inclination à s’y consacrer, gaspiller des heures de vol à s’entraîner à larguer des bombes non guidées serait un temps précieux perdu pour l’entraînement à la mission primaire, déjà éminemment complexe. Pour le « Tomcat », le mode air-sol a, pendant des années, consisté à utiliser le canon de 20 mm contre des cibles d’exercice.
Au milieu des années 80, la Navy commença pourtant à travailler de nouveau sur ce qui allait devenir
conversion n’avait que des avantages.
Deux cursus de formation spécifiques furent mis au point : les TAAS (« Tomcat » Advanced Strike Syllabus) et AARTP (Advanced Attack Readiness Program) permettant de qualifier les équipages. Des stages additionnels comme le LAT (low altitude Training) et le SLATS (Strike Leader Attack Training Syllabus) étoffèrent ensuite les cursus des personnels.
La transition des avions, des équipages et des unités fut assez rapide. La VF-24 et la VF-111, toutes deux sur F-14A+, furent qualifiées avec cette nouvelle mission en novembre et décembre 1990, rapidement suivies par les VF-1 et VF-2 puis la VF-124. Les premiers embarquements de « Bombcat » furent autorisés dès décembre 1990.
En parallèle, les avions des centres d’essais de la Navy, notamment le NATC de Pax River, ouvraient les domaines de tir des nouvelles armes.
La mission « Bombcat » et cette nouvelle polyvalence ont permis de retarder quelque peu la retraite du « Tomcat ». Elle s’illustra par exemple lors d’une démonstration effectuée le 28 août 1991 lorsqu’un F-14A de la VF-2 tira un missile Sparrow contre une cible d’exercice, qu’il détruisit, largua ensuite une bombe Mk83 contre une des cibles du champ de tir du Pacifique qu’il nettoya ensuite au canon.
Le 13 janvier 1993, les F-14A des VF-51 et VF-111 du CWV-15 de l’USS Kitty Hawk furent les premiers avions « Bombcat » utilisés pour une mission de guerre. Seulement ils restèrent cantonnés au rôle habituel d’escorte pour les A-6 et « Hornet » lancés pour bombarder des cibles en Irak à coup de Mk83 et de missiles Harm. Car, pour le moment, le « Bombcat » restait limité aux bombes classiques ou à sous-munitions, non guidées, extrêmement limitatives sur les théâtres d’opérations. Le « Bombcat » n’était alors qu’un camion à bombes un peu rustre.
En 1994, un « Tomcat » largua une GBU-16 de 1 000 lbs guidée laser sur un champ de tir, mais pour cela il fallut qu’il soit accompagné par un avion disposant du précieux outil laser pour lui désigner sa cible. Il ne disposait pas, non plus de capacité d’attaque nocturne.
La révolution Lantirn
Les opérations de la guerre de 1991 démontrèrent une certaine supériorité de l’USAF pour l’emploi des armes guidées en larguant 90% de celles consommées au cours de ces opérations. La récente qualification du pod Lantirn (Low Altitude Navigation and Targeting Infrared for Night, système
nuit, surtout couplés aux JVN comme l’Amiral Jay Yakeley le relate :
« Il était vraiment meilleur que le F-15E même si mes copains de l’Air Force vont m’en vouloir. Il était vraiment sans comparaison. Nous avions un écran plus grand et d’une meilleure résolution. Avec le « Strike Eagle » vous pouviez mettre votre bombe sur un immeuble, avec le “Tomcat ”, à des kilomètres, vous pouviez choisir de mettre la bombe dans la troisième fenêtre en partant de la gauche ! »
Parmi les pilotes partisans du Lantin et impliqués dans la mise au point du système se trouvait Dale « Snort » Snodgrass qui effectua 9 vols sur un F-14B dans le cadre de cette mise au point. Ce garçon, qui termina sa carrière avec rien moins que le chiffre hallucinant de 4 900 heures de vol sur F-14, s’était personnellement engagé face aux autorités militaires pour défendre le « Bombcat », en mettant sa carrière dans la balance.
La Navy reçut à partir de 1998 une version spécifique du Lantirn, le AN/ AAQ-25, adapté au « Tomcat ». Le pod unique, dérivé du AN/AAQ-14 contient toujours une caméra HD et un télémètre-désignateur laser mais aussi un récepteur GPS, une centrale inertielle et un calculateur de tir disposant des données précises de toutes les armes pouvant être délivrées par le « Tomcat ». 75 exemplaires sont acquis au prix unitaire de 3 millions $. Cette relative rareté fait que les pods sont répartis à raison de 6 à 8 par flottilles au cours des déploiements et ils équipèrent alors les avions non-TARPS.
« Deliberate Force » août-septembre 1995
La nouvelle orientation du « Tomcat » vers l’Air-Sol avait trouvé sa
concrétisation avant même que le F-14 ne soit équipé des moyens d’utilisation des bombes guidées. Dans les Balkans, à la suite d’une sanglante attaque au mortier contre un marché de Sarajevo, attribuée à l’armée de la République Serbe de Bosnie, les forces de l’OTAN débutèrent le 30 août 1995 une importante campagne de bombardement à laquelle la VF-41, seule unité de F-14 dans le secteur, participa depuis son porte-avions, le Roosevelt.
Au cours de ce déploiement, les F-14 avaient déjà mené d’innombrables missions de reconnaissance TARPS mais au matin du 5 septembre les choses sérieuses commencèrent pour les pilotes de « Tomcat ». Chargés de 2 bombes GBU-16, des Mk83 de 1000 livres disposant du kit de guidage laser, trois F-14 traitèrent un relais de communication isolé.
Ensuite, pendant une semaine, les missions de reconnaissance et d’attaque se succédèrent. Du 5 au 12 septembre, la VF-41 largua une vingtaine de bombes sur les objectifs qui lui avaient été assignés, souvent par les désignateurs laser des « Hornet ».
Après avoir été la première flottille à porter le premier sang en affrontant les Sukhoi lybiens 14 ans plus tôt, la VF-41 pouvait s’enorgueillir d’être à nouveau la première à « inaugurer» le « Tomcat » dans ses nouvelles fonctions. Et cette courte opération fut aussi l’occasion de faire la démonstration des qualités du vecteur comme l’expliqua ensuite le « pacha » de la flottille, Bob Brauer : « En raison de considérations de masse et de carburant, les « Hornet » devaient larguer leurs bombes ou, s’ils n’avaient pas pu le faire sur la cible, s’en débarrasser avant de revenir apponter sur le porteavions. Un des gros avantages du F-14 c’est qu’il peut emporter un armement
air-air conséquent, un Phoenix, un Sparrow et quelques Sidewinder, plus une paire de bombes guidées laser de 1 000 livres. Il peut ouvrir sa propre route vers la cible, larguer ses bombes et se protéger lui-même sur le chemin du retour. Une sorte d’auto-escorte ! »
D’autres champs de bataille attendaient alors le vieillissant, mais toujours fringant, « Tomcat ».
Southern Watch et Desert Fox (1998)
Après la guerre du Golfe et la défaite de l’Irak en 1991, bien que le régime de Saddam Hussein resta en place, la coalition internationale et l’ONU établirent des zones d’exclusions aériennes pour protéger les
Kurdes au nord (Northern Watch) et les Chiites au sud (Southern Watch).
L’US Navy participa à Southern Watch en fournissant une présence quasi constante de porte-avions patrouillant dans le golfe Persique. Les F-14 furent un élément essentiel de cette opération, évidemment par les missions de reconnaissance TARPS mais aussi par des patrouilles quotidiennes avec des configurations polyvalentes, y compris avec des bombes lisses.
C’est dans la continuité de ces missions que se déroula l’opération Desert Fox, du 16 au 19 décembre 1998. Cette offensive de quatre jours était destinée à empêcher l’Irak de produire des armes de destruction massives et donna lieu à des raids ciblés. Les F-14B de la VF-32 et les F-14D de la VF-213 participèrent activement.
La VF-32 fut à la pointe de la première vague, uniquement effectuée par des avions embarqués. Les « Tomcat » étaient chargés de bombes GBU-16 de 1 000 livres et leurs cibles se trouvaient dans la banlieue de la capitale irakienne.
Ils furent, grâce au Lantirn, d’une précision redoutable dans un contexte où les dégâts collatéraux restaient peu acceptables. De son côté, la VF-213 ne fut pas en reste, la flottille obtint un précieux score de 100% de coups au but sur les premières missions, pour eux mais aussi sur les cibles désignées aux autres avions d’attaque. Les F-14, grâce à une autonomie généreuse pouvaient rester sur zone en attendant une seconde vague et faire ainsi du repérage de cible.
Ce fut au cours de cette opération que les premiers équipages féminins de l’US Navy firent leurs premières missions de guerre.
Parmi ces six jeunes femmes, plusieurs étaient pilotes de F/A-18 mais l’une d’elles, Andrea Quy, était RIO au sein de la VF-32, une unité qui à elle seule largua contrel’Irak 16 GBU-10, 16 GBU-16 et 26 GBU-24 de 2000 lbs, l’arme idéale contre les abris durcis et les bunkers.
Dans la continuité de ces opérations le 5 janvier 1999, deux F-14D de la VF-123 lancèrent deux AIM54C contre les deux MiG-25 irakiens qui venaient de franchir la limite de la no-fly zone. Les deux chasseurs firent demi-tour juste avant que les F-14 n’ouvrent le feu et, plein gaz, s’échappèrent.
Balkan II « Allied Force » (1999)
Du 24 mars au 10 juin 1999, les forces de l’OTAN décidèrent de faire plier la Serbie à propos du Kosovo par une opération aérienne massive. L’opération Allied Force, Noble Anvil pour les forces US, vit la participation du groupe aérien de l’USS Theodore Roosevelt à bord duquel se trouvaient 28 « Bombcat » relevant des VF-14 et VF-41.
La VF-24 a représenté 2,4% des moyens aériens engagés. Elle fut pourtant impliquée dans 12% des cibles touchées !
Elle oeuvra avec ses propres tirs mais depuis l’expérience de « Desert Fox », où l’autonomie du « Tomcat » avait été mise au profit des autres chasseurs bombardiers opérant dans le secteur, les F-14 avaient reçu une nouvelle mission, celle de FAC(A), Forward Air Controller (Airborne) dans chacune des deux flottilles, trois équipages avaient été nouvellement ainsi qualifiés et ils furent intensivement sollicités également dans des missions « SCAR » Strike Coordination and Reconnaissance. Ces deux missions pouvaient aussi fusionner en SCAR-FAC(A).
Désormais les équipages des deux flottilles utilisaient systématiquement leur pod pour désigner les cibles, guider les bombes alliées et maintenir une présence dans le secteur de combat (les fameuses Kill Boxes).
Ted Carter commandant de la VF-14 et RIO sur F-14 raconte : « Après 27 ans de service ce fut une des contributions majeures de l’avion et de ses équipages. Nos succès au cours de l’opération Allied Force furent le résultat d’un travail d’équipe qui démontra aussi la valeur et l’intérêt des cockpits biplaces. Nous volions par sections de deux, chaque avion étant l’escorteur de l’autre. Chaque F-14 portait généralement quatre bombes, qu’on pouvait utiliser pour frapper nos propres cibles ou bien pour marquer les cibles pour les autres. Le FAC(A) c’est comme le “quaterback ” d’une équipe de football américain (celui qui lance le ballon et qui décide de la stratégie du jeu en phase d’attaque) qui regarde dehors et identifie les cibles, qui rameute les avions d’attaque où il faut, qui recommande le type d’armement à employer pour une cible particulière, qui s’assure que les pilotes sous son contrôle identifient bien les risques potentiels du terrain, qui leur fournit aussi les caps à suivre pour atteindre les cibles et s’en éloigner ensuite. »
La VF-14 a largué 180 tonnes de bombes au cours d’Allied Force. Elle participa aussi au largage de bombes depuis d’autres avions et même à des tirs de 35 missiles air-sol Maverick, ces derniers obtenant un score de…. 100% de coups au but.
De son côté, la VF-41 n’avait pas été en reste avec quelque 160 tonnes de bombes intelligentes larguées au cours de 384 sorties et 1 100 heures de vol environ. En dépit d’une défense anti-aérienne solide et bien équipée, les « Tomcat » n’enregistrèrent aucune perte. Une fois de plus, dans un rôle qui n’était pas, initialement, le sien, le F-14 avait fait la démonstration de sa polyvalence.
« Gun Smoke » 1999
Les USA de Bill Clinton durcirent le ton envers Saddam Hussein. Ainsi une nouvelle campagne de raids eut lieu à nouveau en septembre 1999 « opération Gun Smoke », où des sites AAA ou SAM furent visés notamment par les F-14D de la VF-2.
Le 2 septembre, alors qu’un appareil de cette unité opérait une mission visant à détruire des sites anti-aériens, l’équipage fut averti de l’arrivée vers la « no fly zone » d’un ou deux MiG-23 irakiens ayant décollé de l’ouest de Bagdad. L’équipage lança alors deux AIM-54 à très longue distance. Les MiG firent demi-tour lorsqu’ils détectèrent les tirs et parvinrent à s’échapper.
D’autres raids se déroulèrent à intervalles réguliers comme le 16 février 2001. Après le 11 septembre 2001, les forces US de la région délaissèrent Southern Watch pour s’occuper de Ben Laden et de ses amis Talibans.
Les F-14 en Afghanistan (2001-2003) Enduring Freedom
Juste après les attentats du 11 septembre, les F-14 des VF-11 et VF-143 de l’USS Kennedy assurèrent des missions CAP au-dessus de New York. Dans le même temps, l’USS Enterprise avec à son bord les F-14A des VF-14 et 41 quitta le golfe Persique pour rejoindre le large du Pakistan tandis que Carl Vinson, sur lequel la VF-213 était basée avec ses F-14D faisait de même. Les premières missions contre les Talibans et les camps d’entraînement d’Al Qaeda se déroulèrent dès le 8 octobre. Quatre « Bombcat » de la 213 participèrent. Ils étaient chargés de GBU-16 de 1 000 livres ou de GBU-12 de 500 livres tout en disposant de missiles Phoenix, Sparrow et Sidewinder. En ce début de conflit, ne sachant pas réellement encore la nature des opérations, les avions étaient prêts à contrer toutes les menaces. Ils frappèrent des objectifs autour de Kaboul et assurèrent aussi la protection de bombardiers B-1B.
Les opérations furent intenses et souvent les F-14 effectuèrent des missions FAC(A) au profit des forces spéciales. Des missions de bombardement de précisions furent aussi organisées au profit de la CIA avec des missions complexes « Time-Sensitive-Target » pour lesquelles il fallait frapper rapidement et avec une précision immense une cible où un chef taliban, par exemple, venait d’être repéré. Le Lantirn du F-14 couplé aux bombes guidées laser fut alors régulièrement mis à contribution.
C’est à la VF-213 que revint l’honneur de devenir le premier équipage de « Tomcat » à effectuer un tir au canon lors d’une opération de close sir support, « Chip » King et M. Petersen, le 5 novembre 2001. Au cours de ce déploiement, la flottille tira 452 bombes guidées laser et 470 obus de 20 mm.
Ils furent relevés par la VF-102 puis par la VF-211 (CVN-74). Au cours de l’opération Anaconda, les « Bombcat » utilisèrent des bombes lisses Mk82 et Mk83. Les configurations des avions étaient variables ; de jour deux GBU et deux bombes lisses, pour les missions nocturnes, quatre BGL. Au cours de son détachement, marqué par les combats de Tora Bora, la VF102 effectua 5 000 heures de vol, dont 1 184 pour le seul mois de novembre et 61 heures rien que pour le 8 décembre. La flottille largua 190 tonnes de bombes directement et participa au guidage de 22 tonnes d’armement de plus depuis d’autres vecteurs.
En mars 2002 c’est la VF-211 qui se distingua avec ses F-14A au cours de l’opération Anaconda. 45 tonnes de bombes larguées, 4 200 heures de vol et 1 250 missions.
De son côté, la VF-11 arriva avec ses avions F-14B et ses équipages qualifiés pour larguer les premières JDAM depuis un « Tomcat ». Ces armes précises et onéreuses furent largement utilisées.
Ensuite, c’est le CV-67 qui assura la permanence jusqu’en juillet 2002 avec à son bord la VF-103 et ses F-14B mais en septembre le groupe fit route vers le golfe Persique pour participer à l’opération Southern Watch. Les missions sur l’Afghanistan, CAS, FAC(A) ne leur avait pas offert l’opportunité de larguer la moindre bombe. En
tuèrent leurs premiers tirs. En 48 heures d’affrontements, les « Tomcat » firent 40 sorties et larguèrent quelques GBU12. Pour tirer profit des avantages des « Hornet » et des « Tomcat », ces missions furent souvent organisées en duo, les F/A-18 emportant 2 JDAM de 1 000 livres, les « Tomcat » 2 à 4 GBU-12 de 500 livres. Ainsi, chaque patrouille pouvait adapter ses tirs aux conditions du moment.
Il s’agissait bien souvent de missions d’appui aérien rapproché, au bénéfice des troupes au sol, et parfois en milieu urbain, situation complexe pour éviter les désastreux dommages collatéraux. À plusieurs reprises, ces missions donnèrent lieu à des tirs air-sol au canon !
Ils furent relevés en juillet 2004 par le Kennedy avec à son bord, la VF-103 et ses F-14B qui effectuaient aussi leur ultime déploiement. Les avions de la 103 avaient été qualifiés pour tirer des JDAM mais les plus lourdes, jusqu’à 2000 lbs. Pour les missions en Irak ou le Close Air Support se faisait souvent en milieu urbain ou péri-urbain, ces bombes étaient peu adaptées car trop puissantes. N’étant pas qualifiés pour les JDAM de 1 000 ou 500 livres, les F-14 se contentèrent donc des GBU de 500 livres pour leurs missions, qui furent nombreuses et parfois intenses. À la fin du détachement, ils avaient effectué 384 sorties donnant lieu au tir de 21 GBU-12.
Vint ensuite la VF-32 à bord de l’USS Truman en 2005. L’évolution des règles d’engagement exigeait désormais que les cibles bombardées soient formellement et visuellement identifiées. Les « Hornet » embarqués, dont ceux de la VMF-115, n’étant pas qualifiée sur le nouveau pod ATFLIR, cette mission impliqua donc largement les F-14 et leur Lantirn pour les missions quasi quotidiennes de protection de convois routiers, l’autonomie du F-14 étant d’un intérêt fabuleux pour ces opérations, et bien sûr les missions de CAS.
À plusieurs reprises, cette fois encore, les « Tomcat » utilisèrent leur canon de 20 mm y compris pour des tirs dans les rues de Mossoul au cours d’embuscade contre les troupes régulières de l’US Army.
Ce sont aux VF-31 et VF-213 que revinrent les dernières missions opérationnelles du matou lorsqu’à bord du Roosevelt lorsqu’elles vinrent, avec 22 F-14D au total, participer aux opérations en Irak à partir du 5 octobre 2005.
Dernier déploiement
Pour cet ultime déploiement, ces avions avaient été équipés du Rover III. Le Rover est un système de communication permettant d’échanger des flux vidéo en temps réel entre un aéronef équipé et les soldats au sol, permettant ainsi aux équipes engagées d’avoir une image précise de la situation ce qui permet de faciliter l’appui aérien rapproché. La modification autorisant cet important progrès tactique, qui fut effectué en interne au sein de la Navy, s’était montée à un coût de 800 $ par avion seulement et avait été réalisée en six semaines.
Dès la première mission réelle, le 11 décembre 2005, le système embarqué sur un avion de la VF-213 permit ainsi à un JTAC pris dans un combat près de Bagdad de visualiser la situation captée par le chasseur.
L’avion était également compatible avec le tir des JDAM GBU-38. Alors qu’il était à quelques mois de sa fin de carrière, le « Tomcat » était totalement opérationnel et au standard facilitant son intégration dans un système opérationnel complexe.
Néanmoins les règles d’engagement sur le terrain ne permettaient que de tirer à coup sûr et sans risques collatéraux. En quatre mois d’opérations, seulement 4 tonnes de bombes furent tirées par l’ensemble du groupe aérien. Mais au cours de ce déploiement, les « Tomcat », à la demande des JTAC, effectuèrent des attaques au canon. Le Lt Hockycko de la VF-213 eu le redoutable privilège d’effectuer deux fois une telle attaque : « Le F-14 était toujours le chasseur-bombardier dominant sur ce théâtre d’opération en 2005-2006 et c’est ce qu’il me revient de cette nuit, au-dessus de Balad, quand nous avons reçu l’appel pour aller soutenir nos troupes au contact de l’ennemi. Nous nous sommes présentés
sur la zone au même moment qu’une patrouille de F-16 et de « Harrier » II et le JTAC déclara aux gars de l’USAF et des Marines de se mettre en attente car il préférait travailler avec le « Tomcat ». J’étais alors en patrouille mixte avec un « Hornet » et notre équipe de la Navy disposait d’une très large gamme de senseurs et d’armement à mettre à disposition des gars au sol, d’où la demande de travailler avec nous plutôt qu’avec d’autres chasseurs. »
Un bel hommage à la puissance d’un avion destiné à quitter le service quelques semaines après que le dernier appareil, piloté par William Sizemore, apponta à l’issue de l’ultime mission de guerre de la « dinde », le 8 février 2006. La dernière bombe avait été larguée par Bill Franck de la VF-31 la veille, une GBU-38 destinée à relâcher la pression autour de troupes US alors au contact de l’ennemi.
Conçu comme un chasseur, le « Tomcat » terminait sa carrière comme camion à bombes. Pourtant il faut le reconnaître, dans ce nouveau rôle, un peu loin des projecteurs, il fut un combattant efficace jusqu’à la toute fin. Si le F-14 est un avion exceptionnel c’est peut-être là que se trouve la preuve irréfutable et définitive. Cette polyvalence n’avait rien d’évident mais les qualités du chasseur, autonomie, équipage à deux, systèmes embarqués performants, charge utile élevée, furent parfaitement mis à profit.