Petit mais costaud
En 1970 apparaît un petit cargo militaire japonais, le Kawasaki C-1. L’industrie aéronautique japonaise renaissait de ses cendres. 50 ans plus tard sonne l’heure de sa retraite, après une carrière discrète.
La défaite du Japon en septembre 1945 provoqua la disparition de toutes ses forces armées et un contrôle strict du pays par les Américains. Des troupes d’occupation assuraient sa défense. Il fallut le déclenchement de la guerre de Corée en 1950 pour que la position américaine évolue. Finalement, le 1er juillet 1954 fut autorisée la création des Forces japonaises d’autodéfense avec une composante aérienne. Une armée à vocation strictement défensive, qui privilégiait essentiellement la chasse pour sa partie aérienne. Restait à trouver les avions pour l’équiper. Les premières dotations vinrent des États-Unis. Ce fut à cette époque que l’aéronautique japonaise commença lentement à renaître de ses cendres. Elle avait été entièrement démantelée en 1945, alors qu’elle employait près d’un million de personnes. Du jour au lendemain, plus aucun avion ne fut étudié et fabriqué. Là encore, les Américains assouplirent peu à peu leur position. Le Japon leur servait de base arrière dans la guerre de Corée, notamment pour la logistique. La fin de l’occupation
américaine impliquait une réorganisation complète du Japon. Une loi organique proclamée le 9 avril 1952 posa les cadres d’une relance de l’industrie aéronautique. Elle était désormais placée sous l’égide du tout-puissant Miti (Ministry of International Trade and Industry, le ministère du Commerce extérieur et de l’Industrie). Il avait pour objectif d’organiser le secteur en planifiant les programmes et en y affectant des crédits publics. Quelques usines fonctionnaient à petite échelle en assurant la maintenance d’avions américains. Pour relancer rapidement les activités, le gouvernement japonais demanda aux industriels de chercher des accords de licence avec des industriels étrangers – les Américains furent privilégiés. Ce fut ainsi que
Mitsubishi assembla 287 chasseurs North American F-86 “Sabre” (lire l’encadré ci-dessous).
Remplacer les “Commando”
la fin des années 1950, les Japonais décidèrent de lancer un premier programme national. NAMC
(Nihon Aircraft Manufacturing Corporation) regroupa les industriels pour concevoir l’excellent biturbopropulseur YC-11. Mitsubishi sortit en 1963 le MU-2, plus petit, qui rencontra un succès commercial appréciable en dehors du Japon. Ce fut au début des années 1960 que la Force aérienne d’autodéfense japonaise s’intéressa au remplacement des Curtiss C- 46 “Commando” (surnommé au Japon “la locomotive du ciel”) qui servaient depuis 1954 dans les missions de transport – 36 C- 46D plus 19 avions rachetés à Taïwain en 1962. Au départ il fut envisagé la production sous licence du Lockheed C-130 “Hercules”, mais le Miti trouva là l’occasion de concevoir un avion japonais. Les besoins étaient limités, mais le Japon profitait d’une croissance économique généreuse qui lui permettait d’investir pour soutenir son industrie renaissante. Kawasaki Heavy Industries fut retenu comme principal contractant du programme C-X.
Un petit cargo fabriqué en petit nombre
Les ingénieurs s’inspirèrent largement du Lockheed C-141 “Starlifter” avec une aile haute et une ouverture du fuselage à l’arrière pour accéder à la soute. Pour la propulsion, le choix se porta sur deux Pratt & Whitney JT8D, grand standard dans l’aviation civile (Boeing 727, 737 ou McDonnell Douglas DC-9 entre autres). Le C-1 se présentait comme un petit cargo par rapport à ses contemporains. Il transportait jusqu’à 11 t de charge, sur une distance assez courte – à peine 1 000 km, sans possibilité de ravitaillement en vol. Cependant, le Japon ne cherchait pas à faire du transport stratégique à cette époque. D’entrée de jeu, il fut établi que l’ap
pareil ne serait fabriqué qu’en petit nombre, sans visée à l’exportation, le pays ne voulant pas vendre de matériel militaire.
Une mise en service suivie d’une carrière discrète
Le prototype effectua son premier vol le 12 novembre 1970. Deux prototypes et 29 exemplaires de série furent fabriqués jusqu’en 1981. Les cinq derniers bénéficiaient de réservoirs supplémentaires pour allonger (légèrement) leur rayon d’action.
L’Air Proving Wing reçut les premiers prototypes pour mener la fin des essais. Le 401st Tactical Airlift Squadron basé à Komaki fut la première unité à remplacer en 1973 ses C- 46 par des C-1. Ils furent néanmoins délogés en 1989 par des C-130H “Hercules”, le Japon optant finalement pour l’avion-cargo militaire standard en occident car il bénéficiait d’un plus grand rayon d’action. Le 402nd Tactical Airlift Squadron, basé à Iruma, fut ensuite équipé.
Enfin, le 403rd Tactical Airlift Squadron commença sa dotation en C-1 à partir de 1979. Les C-1 furent engagés dans des missions de transport de matériels et de troupes entre les bases de l’archipel japonais, ainsi que des parachutages. Ils ne sortirent pour ainsi dire jamais du Japon. Leur carrière fut assez discrète.
Notons toutefois quelques événements. Le 19 avril 1983, une for
mation de cinq C-1 se rendait de la base aérienne de Nagoya-Komaki à celle d’Iruma. La formation dériva de 13 km à droite de sa ligne de vol initiale. En vol à vue à seulement 600 pieds (183 m) d’altitude dans la brume, les deux premiers avions (58-1009 et 68-1015) percutèrent une colline de 3 342 pieds (1 018 m), tuant les 14 membres d’équipage. Le troisième avion frôla en catastrophe le sommet, abîmant son fuselage et ses ailes en passant dans des arbres. Les deux derniers C-1 réussirent à éviter de justesse l’obstacle.
Le 18 février 1986 le C-1 matricule 58-1010 fut rayé des effectifs après un décollage raté sous la neige. Le 28 juin 2000, le C-1 matricule 88-1027 disparut en mer avec ses cinq hommes d’équipage. À noter que le mai 2016, le Premier ministre Shinzo Abe se déplaça à bord d’un C-1.
Variantes et versions
Il fut un moment évoqué un C-1 équipé d’un radar d’alerte avancé pour en doter la force d’autodéfense japonaise. Puis face aux difficultés techniques et au coût, les Japonais optèrent finalement pour l’achat de Grumman E-2 “Hawkeye”. Le C-1 connut quelques versions. Basé à Gifu, le C-1 FTB (“Flying Test Bed”, banc d’essais volant) matricule 28-1001 sert à tester des équipements et des moteurs au bénéfice de l’Air Development and Test Wing du Air Development and Test Command.
Le n° 21 fut converti en EC-1, avion de soutien à la formation à la guerre électronique pour remplacer l’ancien EC- 46D à cette fonction. Il fut équipé d’un système de guerre électronique J/ ALQ-5 qui prit la forme d’antennes et de carénages repartis sur tout le fuselage. Il fut déployé depuis la base d’Iruma et sert avec d’autres avions eux aussi modifiés pour les mêmes missions au sein de l’Electronic Operation Group. Ses équipements furent modernisés au début des années 2000.
“Asuka”, le démonstrateur qui décolle court
En s’inspirant de l’exemple du Boeing YC-14 (lire Le Fana de l’Aviation n° 508) et de l’Antonov 72, l’organisme de recherche aéronautique japonais ( NAL, National Aerospace Laboratory) finança la modification d’un C-1 pour en faire un démonstrateur d’avion à décollage et atterrissage court. L’appareil reçut à cette occasion une nouvelle voilure soufflée directement par quatre réacteurs FJR-710- 600 de 5 099 kg de poussée l’unité. Ce moteur était issu d’un programme de recherche japonais pour un turboréacteur à fort taux de dilution lancé dans les années 1970. Le démonstrateur fut appelé “Asuka” après un concours organisé dans les établissements scolaires au Japon.
L’avion effectua son premier vol le 28 octobre 1985. Il fut ensuite l’objet d’une campagne d’essais jusqu’en mars 1989 (97 vols, 170 heures de vol). La Nasa qui menait un programme similaire dit QSRA (Quiet Short Haul Research Aircraft, avion de recherche à décollage court silencieux) envoya des pilotes américains évaluer les caractéristiques de l’“Asuka”. Une fois les essais achevés, les résultats furent jugés intéressants, mais l’appareil demeura sans suite. Il est désormais exposé au musée de l’Air et de l’Espace de Gifu Kakagamihara. Le FJR-710 servit de base aux Japonais pour participer au turboréacteur V2500, concurrent du CFM56 sur l’Airbus A320.
Depuis 2014, les C-1 ont été progressivement remplacés par les Kawasaki C-2, beaucoup plus grands, avec un rayon d’action plus important. En 2018, le 403rd Tactical Airlift Squadron était entièrement équipé de C-2.
En 2020, 50 ans après son premier vol, l’heure de la retraite a sonné pour les C-1.