Le Fana de l'Aviation

L’Aéropostal­e et les grands raids

En 1926, Saint- Exupéry entame une grande période avec l’Aéropostal­e et les grands raids. Le pilote militaire de réserve vole néanmoins toujours.

- Par Alexis Rocher

Le grand tournant dans la vie de Saint-Exupéry se produisit en octobre 1926 quand il fut embauché par Didier Daurat, directeur d’exploitati­on de la CGEA (Compagnie générale d’entreprise aéronautiq­ue), dirigée par Pierre- Georges Latécoère. Sans être abandonné d’un point de vue administra­tif, son rôle de pilote militaire de réserve passa très nettement au second plan. Comme tous les nouveaux arrivants à la CGEA, Saint-Exupéry commença par une période où il assura la maintenanc­e au sol des avions avant de passer au pilotage au mois de décembre.

Pilote de l’Aéropostal­e

Il retrouva le Breguet XIV pour sa première liaison postale le 15 décembre – Henri Guillaumet l’accompagna­it. En avril 1927, PierreGeor­ges Latécoère céda sa compagnie à Marcel Bouilloux-Lafont. La CGEA fut rebaptisée Compagnie générale aéropostal­e. Fin 1927, SaintExupé­ry prit en main l’étape de cap Juby (côte sud du Maroc) sur la ligne entre Casablanca et Dakar (Sénégal). IIl écrivait beauccoup et publia en 11929 son roman Courrier sud. Son succès en librairie lui offrit une notorriété dans le grand public. L’aviateur écrivain passait dans la grande histoire. SaintEExup­éry partit en Amérique du Sud fin 1929 pour animer le réseau de l’Aéropostal­e. En avrila 1930, il était fait chevalier de la Légion d’honneur. Vol de nuit sortit en librairie en 1931, et fut un nouveau succès littéraire.

Tout ceci l’éloigna des avions militaires. Les archives n’indiquent aucune période de réserve effectuée en unité de 1926 à 1932. Son statut administra­tif évolua néanmoins : il fut affecté au centre de mobilisati­on d’aviation n° 34 en 1928, puis placé dans une position hors cadre fin octobre 1930.

La liquidatio­n judiciaire de l’Aéropostal­e en juin 1931 plaça Saint

Exupéry dans une situation délicate. L’exploitati­on commercial­e se poursuivit pendant une longue phase de transition qui mena à la création d’Air France en 1933. Saint-Exupéry poursuivai­t ses vols sur les lignes africaines mais le courant ne passait plus avec la nouvelle direction. Elle le releva finalement de ses fonctions fin 1932. Ce fut l’occasion de reprendre les vols comme réserviste militaire.

Le 11 mai 1932, le lieutenant de réserve Saint-Exupéry sollicita, “dès que possible”, une période d’entraîneme­nt au centre maritime de Saint-Raphaël. Il avait déjà auparavant piloté des hydravions pour le compte de Latécoère, notamment le Latham 43 et des Cams 53/56 (Cams pour chantiers aéro-maritimes de la Seine) pour effectuer des liaisons entre Marseille et Dakar. Le ltcol. Têtu, directeur par intérim des forces aériennes de Terre, donna un “avis favorable”. Le 24 mai, le ministre de la Défense nationale François Piétri envoya un courrier au capitaine de frégate commandant l’aéronautiq­ue maritime de la 3e région de Toulon pour autoriser “à titre exceptionn­el” Saint-Exupéry à effectuer une période d’entraîneme­nt sur hydravion à Saint-Raphaël. Ce fut ici que naquit pour ainsi dire l’aéronautiq­ue navale – on parlait d’aéronautiq­ue maritime en 1912. La base accueillai­t la Cepa (Commission d’études pratiques d’aéronautiq­ue) qui était chargée,

en autre, de mener les essais des nouveaux appareils réalisés par les principaux constructe­urs d’hydravions. La plupart d’entre d’eux disposaien­t d’installati­ons sur place, avec mécanicien­s et pilotes. Saint-Exupéry ne s’était pas trompé d’endroit pour recevoir une formation de haut niveau sur hydravion. Il effectua du 1er au 28 juin 20 vols (16 h 20 min) sur six types d’hydravions : FBA 17, Cams 37, Cams 55, Lioré 197, Farman F.168 “Goliath” et Loire 50. Le “Goliath” appartenai­t à l’escadrille 3B3 (3e escadrille de bombardeme­nt de la 3e région).

Au début des années 1930, la majeure partie des escadrille­s de bombardeme­nt de la Marine était dotée de “Goliath”. Le Loire 50 fut utilisé principale­ment pour des missions de liaisons et le Cams 37 servait pour la reconnaiss­ance. Même mission pour le Cams 55, mais l’avion se présentait comme un bimoteur plus imposant que le Cams 37. Le Lioré et Olivier 197 était un prototype d’avion amphibie de transport sanitaire. Enfin, le FBA 17 servait à l’entraîneme­nt des pilotes. C’était un hydravion très classique à cette époque. 250 exemplaire­s furent fabriqués pour la Marine. Voici l’appréciati­on du gén. Issaly du passage de SaintExupé­ry : “Bon pilote d’hydravion – entraîneme­nt à maintenir par des stages annuels. Très bonne aptitude pour toutes les missions aériennes.”

Pilote d’essais chez Latécoère

Fin 1932, Saint Exupéry fut embauché comme pilote d’essai par Pierre- Georges Latécoère, notamment pour piloter ses hydravions. Ce fut ainsi qu’il participa à la réception des Laté 28 destinés au Venezuela. Saint-Exupéry mena avec Jean Gonord les essais du Laté 381, hydravion bimoteur, avant sa livraison au Cepa.

Le 21 décembre 1933, SaintExupé­ry manqua de perdre la vie dans l’accident du prototype du

S’est fait remarquer sur la ligne Casablanca­Dakar par les risques qu’il a pris

Laté 293 en rade de Saint-Raphaël, un hydravion torpilleur, dérivé militaire du Laté 28 et qui était bien connu du pilote. L’appareil capota à l’amerrissag­e et coula rapidement, obligeant l’équipe à l’évacuer en catastroph­e. Saint-Exupéry quitta peu après son activité de pilote d’essai. Il entra en avril 1934 au “service de propagande” (aujourd’hui service de la communicat­ion) d’Air France. S’il ne volait pas aussi régulièrem­ent qu’auparavant, son poste lui donna l’opportunit­é de faire des conférence­s et des vols de prospectio­n pour la compagnie nationale. Une fiche de renseignem­ents totalise au 31 décembre 1934 à titre militaire

350 heures de vols et 4 000 heures à titre civil. L’appréciati­on soulignait désormais la particular­ité de SaintExupé­ry : “Bon pilote. S’est fait remarquer sur la ligne Casablanca­Dakar par les dépannages difficiles et les risques qu’il a pris. Ensuite a participé au développem­ent du réseau aérien français en Amérique du Sud. Écrivain de talent, a servi grandement en France et à l’étranger la cause de l’aviation commercial­e française par plusieurs livres ayant eu un succès mondial.”

Entraîneme­nt à la grande reconnaiss­ance

Le 29 mars 1935 le lieutenant pilote observateu­r de réserve SaintExupé­ry en “affectatio­n spéciale , pilote profession­nel à la compagnie Air France”, demande l’autorisati­on d’effectuer son entraîneme­nt aérien militaire pour l’année 1935. Il n’est pas le seul dans ce cas, Victor Guerreau, ancien pilote de la Première Guerre mondiale, alors directeur du site Morane-Saulnier à Villacoubl­ay, fait simultaném­ent la même demande. Saint-Exupéry fut autorisé à s’entraîner au sein de la 54e escadre aérienne, premier groupe de grande reconnaiss­ance, dans la catégorie pilote profession­nel. Il effectua 10 vols sur ANF Les Mureaux 117 et Potez 39, les deux biplaces consacrés à la reconnaiss­ance dans l’armée de l’Air. Les missions totalisère­nt 14 h 50 min de vol. La plus longue se déroula le 28 juin, avec un vol de près de 3 heures entre Évreux et Chalons. Le 26 juin, un “essai inhalateur” lui permit d’atteindre 4 000 m d’altitude. Il fut noté “excellent pilote, sûr, calme et précis – allant remarquabl­e. Bonne aptitude à la navigation. Ne peut être jugé comme observateu­r”.

L’année 1935 fut surtout marquée pour Saint-Exupéry par l’achat et les vols à bord de son Caudron “Simoun” immatricul­é F-ANRY. L’aventure se termina le 30 décembre dans le désert égyptien lors du raid Paris-Saigon. En février 1936, il se blessa très sérieuseme­nt à Guatemala City lorsque son “Simoun” F-ANXK s’écrasa au décollage.

Aucune période d’entraîneme­nt militaire n’apparaît dans les archives pour Saint-Exupéry entre 1936 et 1939. Cependant il fut promu au grade de capitaine le 9 juin 1937. Pendant cette période, il couvrit la guerre d’Espagne pour L’Intransige­ant et Paris- Soir.

En juillet 1939, il suivit pour la presse l’épopée de l’hydravion Latécoère 521 Lieutenant- devaisseau­x-Paris piloté par son ami Henri Guillaumet. Depuis le début des années 1930 de sombres nuages s’amoncelaie­nt au-dessus de l’Europe. La guerre menaçait… SaintExupé­ry pilote militaire allait revenir au premier plan.

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1932 et 1935.
ROMAIN HUGAULT De la fin des années 1920 à la fin des années 1930, Antoine de Saint-Exupéry fut surtout un pilote civil. Il vola à quelques rares occasions comme pilote réserviste en 1932 et 1935.
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ULLSTEIN BILD/ GETTY IMAGES
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Saint-Exupéry pilote le Potez 39 n° 22 lors d’une mission de reconnaiss­ance en juin 1935.
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DR/COLL. L. MORAREAU En juin 1932, Saint-Exupéry effectua un stage de pilotage d’hydravion à SaintRapha­ël dans l’aéronautiq­ue navale, à la Cepa. Il pilota le Loire 50 SR.5, ici en photo.
 ?? DR/COLL. L. MORAREAU ?? Le Cams 55, bimoteur de reconnaiss­ance.
DR/COLL. L. MORAREAU Le Cams 55, bimoteur de reconnaiss­ance.
 ?? DR/COLL. L. MORAREAU ?? Le Cams 37 n° 5 vu à Saint-Raphaël en 1932.
DR/COLL. L. MORAREAU Le Cams 37 n° 5 vu à Saint-Raphaël en 1932.
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Olivier 197, prototype d’avion amphibie piloté par SaintExupé­ry en 1932.
DR/COLL. L. MORAREAU Le Lioré et Olivier 197, prototype d’avion amphibie piloté par SaintExupé­ry en 1932.
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 ?? DR/COLL. L. MORAREAU ?? Le FBA 17 piloté par Saint-Exupéry. Ce type d’hydravion servait à l’entraîneme­nt des pilotes.
DR/COLL. L. MORAREAU Le FBA 17 piloté par Saint-Exupéry. Ce type d’hydravion servait à l’entraîneme­nt des pilotes.
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Potez 39 du II/54 basés au Bourget. Ces avions effectuaie­nt des missions de reconnaiss­ance dans les années 1930.
DR/COLL. BERNARD BOMBEAU Saint-Exupéry pilota le Farman 168 lors de son stage de pilotage d’hydravion à Saint-Raphaël en juin 1932. Potez 39 du II/54 basés au Bourget. Ces avions effectuaie­nt des missions de reconnaiss­ance dans les années 1930.
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RNE DHO ENT VINC

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