“Mirage” contre “Mirage”
Lors de la guerre israélo-arabe en octobre 1973, des “Mirage” libyens pilotés par des Égyptiens affrontèrent par deux fois leurs homologues israéliens. Un récit inédit.
Renversement des alliances : La France livre des “Mirage” aux Égyptiens, qui les lancent dans la bataille contre les “Mirage” israéliens. Duel au sommet.
De 1962 à 1964, la force aérienne israélienne reçut 72 Dassault “Mirage” III. À partir de 1967, sa flotte ne comptait que des avions de combat de fabrication française, et le “Mirage” à aile delta devint le symboley de la victoire duranturant la guerre des Six Joursours qui eut lieu en juinuin de cette mêmee année. Durant ce conflit, la force aérienne israélienne fut confrontée à un ennemi deux à trois fois supé-rieur en nombre,e, dont le fer de lanceance était le MiG-211 sovié-soviétique, équivalent au “Mirage”Mi” ; néanmoins, elle remporta la supériorité aérienne, ce qui contribua à la légende du “Mirage”, installant l’image que posséder une flotte de ces avions était gage de victoire.
Pris par la force, repris par la force
Avant la guerre de juin 1967, Israël avait commandé 48 avions d’attaque américains A-4 “Skyhawk” et 50 “Mirage” 5. Ces avions étaient prévus pour renforcer et étendre la capacité d’attaque de la force aérienne israélienne à partir d’octobre 1967. Il est raisonnable de penser que le président égyptien Gamal Abdel Nasser engagea la crise qui aboutit à la guerre de juin 1967 afin de contrer à l’avance l’expansion de la force d’attaque israélienne. À l’issue du conflit, le gouvernement israélien proposa un plan de paix prévoyant la restitution à l’Égypte de la péninsule du Sinaï en échange d’un traité de paix. La réponse arabe prit p la forme de la politique des “trois non” : non à la reconnaissancenaissan d’Israël, non aux nnégociations avec Israël, Isra non à la paix. À cette réponse, le président pr égyptienti ajouta le slogang : “Ce qui a été prisp par la force serase repris par la force”,forc avec un plan en ququatre phases :
– pphase 1 : faire preuvep de ffermeté, période que l’Égyptel’Ét mettraittt à profit pour reconstituer ses forces armées qui avaient été dévastées pendant la guerre de juin 1967 ;
– phase 2 : dissuasion durant laquelle l’Égypte ne déclencherait que des combats à petite échelle pour harceler Israël ;
– phase 3 : élimination des résultats de “l’agression israélienne” durant laquelle l’Égypte reprendrait le contrôle des territoires perdus durant la guerre de juin 1967, à savoir la péninsule du Sinaï ;
– phase 4 : victoire finale. Dès le 14 septembre 1968, Nasser annonça le passage de la phase 1 à la phase 2 et la tension entre l’Égypte et Israël s’intensifia à un tel niveau qu’il fut question de guerre d’Attrition (ou d’usure).
Nasser prononça un discours le 23 juin 1969 durant lequel il affirma : “Je ne peux envahir le Sinaï, mais je peux contraindre Israël à l’attrition pour briser son moral”.
Les États-Unis soutinrent Israël. Quinze ans auparavant, le pays de l’oncle Sam avait offert à l’Égypte un soutien économique et militaire massif conditionné à la paix avec Israël. L’Égypte avait rejeté l’offre américaine et s’était tournée vers l’Union soviétique pour une aide économique et du matériel militaire. En 1956, les États-Unis avaient pressé Israël de restituer le Sinaï à l’Égypte, non pour obtenir la paix comme Israël l’avait espéré, mais en contrepartie d’une obligation de leur part à garantir la liberté de navigation israélienne dans le détroit de Tiran. L’Égypte ayant bloqué ledit détroit en mai 1967, mit de fait l’engagement américain à l’épreuve ; il en résulta le conflit de juin 1967 et l’établissement d’une politique israélienne selon laquelle le Sinaï ne serait restitué qu’en contrepartie d’un traité de paix.
Des chasseurs français aux avions américains
Le soutien américain à Israël transforma alors la force aérienne israélienne : ce qui était alors une force de chasseurs français se transforma en opérateur d’avions américains. Après la guerre d’Attrition – la deuxième des quatre phases du plan de Nasser –, la force aérienne israélienne disposait de quatre escadrons de “Phantom” II (baptisé “Kurnass”), cinq de A- 4 “Skyhawk”, quatre de “Mirage” et une de “Super Mystère” remotorisés avec des réacteurs américains et optimisés pour l’attaque avec une avionique israélienne.
Le président égyptien Gamal Abdel Nasser décéda en septembre 1970. Son successeur Anouar el-Sadate poursuivit la politique de Nasser et émit l’idée de former une coalition arabe afin d’attaquer Israël. La Libye, qui avait commandé 110 “Mirage” 5, se montra d’emblée enthousiaste pour se joindre aux forces égyptiennes (voir encadré page 18).
La Libye n’ayant compté jusqu’à cette époque dans sa flotte qu’un unique escadron d’avions de combat, sa commande de “Mirage” 5 semblait trop importante, bien trop importante. Israël en déduisit que la Libye avait acheté ces “Mirage” – tous ou en partie – pour l’Égypte qui manquait d’avions d’attaque au sol et pouvait considérer les “Mirage” comme la meilleure option pour affronter la force aérienne israélienne, même si la flotte de cette dernière était alors passée d’un monopole de chasseurs français à une majorité d’avions américains.
Les “Mirage” libyens “atterrirent” effectivement en Égypte. Des membres de la force aérienne égyptienne reçurent des passeports
libyens afi n de prendre part sous couverture à un cours de transformation sur “Mirage” à Dijon, avant l’activation par la force aérienne égyptienne d’un escadron de “Mirage” qui fut initialement basé en Libye. Une fois la capacité opérationnelle atteinte, la force aérienne israélienne s’attendait à ce que les “Mirage” libyens pilotés par des Égyptiens soient déployés sur la base de Gianaclis en Égypte.
L’escadron de “Mirage” égyptien quitta en définitive la Libye pour rejoindre la base de Tanta, en Égypte, en avril 1973, à peu près au moment où Israël apprenait par ses services de renseignement que la phase 3 offensive du plan de Nasser serait déclenchée le 7 mai 1973, durant les célébrations du 25e anniversaire du Jour de l’indépendance israélien.
Fausse alerte sur une attaque égyptienne
L’Égypte n’attaqua pas Israël le 7 mai. Peut-être les informations des services de renseignement israéliens n’étaient-elles qu’une fausse alerte… voire un renseignement donné par un agent double, qui permettait à l’Égypte de surveiller les préparatifs israéliens dans le cadre des préparations à la future phase 3 qui eut finalement lieu à l’automne de 1973.
La force aérienne israélienne ne baissa pas la garde après les fêtes du 25e anniversaire de l’Indépendance et son commandant en chef Beni Peled présenta ses plans au ministre de la Défense israélien Moshe Dayan le 22 mai. La force aérienne israélienne évaluait les forces aériennes arabes à 340 avions de combat en Syrie et 670 en Égypte – parmi lesquels 18 “Mirage” (1). Il fut envisagé qu’en cas d’attaque égyptienne, les “Mirage” libyens pilotés par des pilotes égyptiens seraient le fer de lance de l’attaque des forces aériennes égyptiennes. Le chef des services de renseignement de la force aérienne israélienne Rafi Harlev présenta ainsi l’évaluation des capacités de la force aérienne égyptienne : “En ce qui concerne les avions de combat en Égypte, il est
(1) Contre 390 avions de combat israéliens, soit à peu près le même déséquilibre en termes de puissance aérienne qu’à la veille de la guerre de juin 1967. intéressant de noter leur capacité de frapper Israël. L’avion le plus notable est le “Mirage” 5 qui peut couvrir la plus grande partie d’Israël, y compris Ramat David [la base israélienne la plus éloignée de l’Égypte, au nord du pays, NDLR]. Ramat David est à la limite du rayon d’action du “Mirage” 5 – il peut l’atteindre avec deux bombes de 500 kg. Tous les autres avions de combat arabes basés en Égypte – MiG-21, Sukhoï, MiG-17 – peuvent effectuer des missions sur le Sinaï mais pas sur Israël. La capacité de frappe de l’Égypte est donc notable, quoique sans possibilité d’emporter beaucoup d’armements et sans système de frappes de préparation, mais la plupart des avions peuvent opérer n’importe où sur le Sinaï. Au-delà [pour des missions sur des objectifs plus lointains en Israël, NdA] il est raisonnable de présumer que seuls les “Mirage” 5 seront utilisés.”
Le ministre de la Défense Moshe Dayan – qui avait commandé un bataillon durant la guerre de 1948, puis avait été commandant en chef des forces armées israéliennes de 1953 à 1958– avait un point de vue différent, quelque peu prémonitoire : “Je ne tiendrais pas pour sûr que la première phase serait de frapper nos bases aériennes. Ils comptent sur un mur de missiles [sol-air] pour garder intacte leur force aérienne
“(…) le plus notable est le “Mirage” 5 qui peut couvrir la plus grande partie d’Israël ”
au moment de traverser [le canal de Suez, NdA]. Si la force aérienne israélienne frappait à ce moment-là, alors leur réplique serait les missiles. Je pense que nous devrions nous préoccuper d’une invasion qui débuterait par un bombardement massif par l’artillerie, avec une défense maximale par des missiles sol- air, des SA- 6 déployés entre les sites, pour protéger leur invasion (…) et sans peur d’une attaque [de la force aérienne israélienne, NdA].”
La guerre le jour du Grand Pardon
L’Égypte et la Syrie attaquèrent Israël simultanément à 14 heures le 6 octobre (2), lors de
(2) Les heures données dans ce texte sont toutes en heure locale israélienne, sauf si spécifiées différemment.
Heure locale Israël = heure moyenne de Greenwich (GMT) + 2 heures. Même chose pour l’Égypte et la Syrie. Ainsi 14 heures en Israël = 12 heures GMT et 14 heures en Égypte.
Yom Kippour, également appelé le jour du Grand Pardon. Menant pratiquement deux guerres simultanément – contre l’Égypte au sud et contre la Syrie au nord –, l’armée israélienne sollicita sa force aérienne en premier lieu, car c’était la seule arme capable d’agir sur les deux fronts. Le résultat fut que son inventaire ne cessa de s’éroder.
Mais l’Égypte et la Syrie maintinrent leurs forces aériennes en réserve. Elles ne furent employées que de façon défensive au- dessus des champs de bataille ; peu de missions d’attaques furent menées sur les lignes de front, comparé au grand nombre de patrouille défensives déployées au-dessus des arrières égyptiens et syriens pour les protéger des attaques de la force aérienne israélienne.
Les “Mirage” libyens mis en oeuvre par les Égyptiens furent probablement conservés en réserve. L’observation des opérations aériennes égyptiennes et syriennes montra que les “Mirage” de la base de Tanta n’effectuèrent pas la moindre opération offensive audessus du champ de bataille du 6 octobre au 13 octobre. Selon certaines sources, les “Mirage” de Tanta auraient attaqué le commandement Sud qui faisait face à l’Égypte les 7 et 9 octobre. Cependant, les rapports de la force aérienne israélienne et du commandement Sud ne mentionnent aucune frappe aérienne lors de ces deux jours.
À la fin du septième jour, le 12 octobre, la force aérienne israélienne avait perdu 74 avions de combat sur un inventaire de 391 appareils. Un certain nombre d’appareils avaient par ailleurs été endommagés et étaient en cours de réparation, ce qui amena le commandant de la force aérienne Beni Peled à annoncer au chef d’état-major des forces armées israéliennes qu’il ne disposait plus que 220 avions de combat en état de vol. De fait, la force aérienne israélienne ne pouvait plus envisager des opérations offensives en masse et ne disposait
pas de force de réserve viable pour soutenir le Sud et le commandement Nord qui faisait face à la Syrie. Sans force aérienne en guise de force de réserve, une victoire écrasante des forces armées israéliennes semblait un scénario peu réaliste.
Informé de cet état de fait, le gouvernement israélien accepta un cessez-le-feu “en l’état”, en informa les États-Unis qui demandèrent à la Grande-Bretagne de relayer cette proposition à l’Égypte. Mais le président égyptien rejeta la proposition de cessez-le-feu “en l’état”.
Pressentant sans doute qu’Israël était en position de faiblesse, l’Égypte planifia une offensive qui devait initialement débuter le 13 octobre 1973, mais fut reportée au lendemain.
Israël au creux de la vague
Israël était de fait au creux de la vague. Sa force aérienne avait perdu 19 % de son inventaire initial. Qui plus est, elle avait opéré à effectif maximal sur les fronts tandis que la puissance aérienne arabe avait été tenue en réserve. Sans parler de son moral qui était aussi bas que son niveau de frustration était élevé car elle n’avait rien accompli de concret, surtout en comparaison de ce qu’elle avait réussi durant la guerre des Six Jours : la force aérienne n’avait pas conquis la supériorité aérienne, n’avait pas infligé de dommages conséquents aux forces ennemies au sol et ne pouvait produire aucune image de victoire comme elle l’avait fait en 1967.
Les pertes arabes avaient été estimées à 148 avions de combat, ou 15 % de l’inventaire initial. Les forces aériennes arabes opérant depuis l’Égypte avaient souffert de pertes relatives plus faibles, avec un décompte total de 74 avions de combat. Maintenir la puissance aérienne en réserve se révéla une doctrine efficace car, à la fin du septième jour, les forces aériennes arabes opérant depuis l’Égypte comptaient en gros 600 avions de combat. Le moment semblait donc propice à l’engagement de cette puissance – y compris les “Mirage” libyens – au-dessus des champs de bataille.
Les “Mirage” frappent
Il semblerait que les “Mirage” de Tanta aient effectué des patrouilles offensives pour participer à l’effort défensif de la force aérienne égyptienne. La surveillance menée par la force aérienne israélienne révéla que pour chaque sortie offensive menée sur le front, les avions de la force aérienne arabe basés en Égypte effectuaient
“L’ombre de son missile sur la surface de la mer poursuivait l’ombre du “Mirage” ”
neuf sorties défensives sur les lignes arrières. Cependant, la première observation faite par la force aérienne israélienne des “Mirage” de Tanta au- dessus de la ligne de front fut faite le 13 octobre, quand deux appareils de reconnaissance exécutèrent deux missions séparées, simultanément, pour photographier le déploiement des forces du commandement Sud, sans doute en préparation de l’offensive qui devait avoir lieu le lendemain.
L’offensive égyptienne débuta aux premières heures du 14 octobre. Le soutien aérien de la force aérienne égyptienne fut restreint mais comprenait deux formations de quatre “Mirage” de Tanta. Une de ces formations attaqua les forces du commandement Sud à Romani, tandis que l’autre effectua un raid sur l’unité de contrôle régional 511 près de Refidim. Le commandement Sud rapporta des dommages mais pas de morts. Un peu avant que les “Mirage” de Tanta frappent vers 6 heures, l’unité de contrôle régional 511 avait été rendue inopérante par une frappe de missiles antiradar lancés depuis un bombardier Tupolev 16, ce qui avait fait croire que ces missiles avaient été lancés par les “Mirage”. Cette confusion eut un impact sur les troupes du commandement Sud pour lesquelles, comme pour tout soldat israélien, un avion à ailes delta était un avion “ami” ; c’est pour cette raison que la
première frappe des “Mirage” de Tanta ne reçut aucun tir du sol.
À 8 h 40, le ministre de la Défense israélien informa le Premier ministre que des “Mirage” avaient attaqué le commandement Sud. À 8 h 55, un porte-parole des forces armées israéliennes publia le communiqué n° 73/108 : “Des “Mirage” ennemis ont participé, ce matin, à l’offensive égyptienne contre nos troupes dans le Sinaï.”
Pendant ce temps, l’offensive égyptienne se heurtait aux défenses israéliennes du commandement Sud. Les forces armées israéliennes recensèrent six attaques principales, menées par, du nord au sud, la brigade blindée 15, la division blindée 21, la brigade blindée 24, la brigade blindée 25, la brigade blindée 3 et la brigade blindée 22 égyptiennes – soit une force de 700 chars. Vers 13 h 30, le chef d’état-major des forces armées israéliennes rapporta au Premier ministre que, jusqu’alors, le commandement Sud revendiquait avoir frappé entre 150 et 200 chars égyptiens pour 20 à 25 des siens touchés.
L’offensive égyptienne au sol tournait à l’échec et un soutien aérien fut demandé. Vers 14 heures, les “Mirage” de Tanta se dirigèrent de nouveau vers le commandement Sud. Les Israéliens repérèrent les décollages de huit “Mirage” depuis Tanta, qui prirent la direction du secteur Nord du commandement Sud. Une batterie de missiles sol-air MIM-23 “Hawk” et les “Kurnass” du Squadron 201 défendaient cette zone. La batterie de missiles engagea les “Mirage” en approche ; un fut revendiqué abattu au-dessus du territoire égyptien et l’attaque fut ainsi contrecarrée. Le commandement Sud ne rapporta pas d’attaque de “Mirage” sur son secteur Nord, mais signala des “Mirage” attaquant Tasa, dans son secteur central. Il est donc plus que probable que les huit “Mirage” de Tanta se séparèrent pour effectuer deux missions distinctes, et les quatre “Mirage” chargés de frapper le secteur Nord furent repoussés par le tir de “Hawk”, tandis que les quatre chargés de frapper le secteur central parvinrent à Tasa à 14 heures.
Les “Nesher” dirigés vers les intercepteurs
Les “Kurnass” israéliens attaquèrent Tanta les 7, 14 et 15 octobre, et la force aérienne israélienne n’observa pas d’attaques des “Mirage” égyptiens les 15, 16 et 17 octobre durant la phase initiale – et critique – de la contre-attaque du commandement Sud, l’opération Stouthearted. Néanmoins à ce jour, on ne sait toujours pas si l’absence d’intervention des “Mirage” égyptiens fut due aux attaques des “Kurnass” ou à une mauvaise “lecture” des objectifs de l’opération Stouthearted par les Égyptiens.
force aérienne israélienne repéra une nouvelle mission offensive des “Mirage” libyens pilotés par des Égyptiens le 18 octobre. Six “Mirage” décollèrent de Tanta avec mission de frapper l’aérodrome d’El Arish – qui était à l’époque la base n° 5 de la force aérienne israélienne – lors de ce qui aurait été la frappe la plus en profondeur de la force aérienne égyptienne durant la guerre du Kippour – les opérations des Tu-16 mises à part. El Arish était auparavant une base avancée de la force aérienne égyptienne et fut peu
utilisée par la force aérienne israélienne durant la guerre du Kippour, mais les Égyptiens en vinrent à croire que les avions gros-porteurs de l’USAF qui approvisionnaient Israël depuis le 13 octobre se posaient à El Arish. Cependant ces gros-porteurs ne se posaient pas à El Arish et les six “Mirage” libyens pilotés par des Égyptiens ne parvinrent pas à attaquer la base. Les radars israéliens suivirent en effet les “Mirage” alors qu’ils faisaient cap à l’est au-dessus de la Méditerranée vers 16 h 50 – le soleil se couchant ce jour-là à 17 h 07. Les “Nesher” (“Mirage” 5 construit par Israël – voir Le Fana de l’Aviation n° 358) du Squadron 113 – indicatifs radio Elite 1 piloté par Shlomo Levy et Elite 2 piloté par Amit Eshchar (lire encadré page 22)– furent dirigés pour les intercepter. Shlomo Levy se souvient : “Nous avions décollé de Hatzor et volions en direction du canal de Suez quand le contrôle au sol nous a indiqué : “Engagez ! Au nord, 25 miles [40,2 km].” Nous avons aussitôt largué nos réservoirs pendulaires mais je ne voyais encore rien. Le contrôle au sol a indiqué : “À l’intérieur de votre virage !”, mais ma radio ne fonctionnait pas correctement et je n’ai pas bien entendu ; nous n’avons pas pu engager le combat de façon ordonnée. Puis j’ai entendu [mon ailier Amit Eshchar dire] : “Tally ho ! Tally ho !”
Six avions, des “Mirage”, larguaient réservoirs et bombes, des explosions ont eu lieu et un “Mirage” a percuté l’eau alors qu’ils viraient vers l’ouest. Heureusement, nos avions avaient déjà reçu sur le fuselage des triangles jaunes avec le contour noir pour une meilleure identification et les couleurs de ces “Mirage” étaient un peu plus sombres que celles des nôtres, ou du moins c’est ce qu’il me semblait alors que le soleil se couchait. Ils nous ont probablement vus et ont appuyé sur le bouton panique pour larguer leurs réservoirs et s’esquiver vers l’ouest à basse altitude sur la Méditerranée.
Eshchar a réussi à se placer derrière un des “Mirage”, très près, trop près. J’ai ordonné à Eshchar de se décaler et j’ai suivi ce “Mirage”. La tête chercheuse d’un de mes missiles a fait un “bip” et j’ai tiré, mais j’ai à peine vu quelque chose car les “Mirage” volaient plein ouest vers le soleil couchant. Puis une énorme explosion et les morceaux de l’avion sont tombés. Pendant ce temps, j’ai entendu le contrôle au sol diriger
Judge pour nous apporter du soutien. Judge était l’indicatif radio du leader des “Kurnass” du Squadron 119. Je pensais que les “Kurnass” pourraient nous confondre avec les Égyptiens et nous intercepter, alors j’ai ordonné à Eshchar de rompre, mais il m’a répondu : “Un moment…”, et je l’ai vu qui suivait un “Mirage”. J’ai répété mon ordre de rompre. Eshchar a rétorqué : “Encore un moment…”, et je l’ai vu tirer un missile. Il était impossible de regarder vers l’ouest, directement dans le soleil couchant, mais j’ai vu l’ombre de son missile sur la surface de la mer, qui poursuivait l’ombre du “Mirage”. L’ombre du missile s’est rapproché, et encore rapproché, jusqu’à ce que les deux ombres se confondent en une explosion. Il l’avait abattu, donc je lui ai dit : “Maintenant, dégage !”, mais de nouveau Eshchar a répondu : “Un moment…” ; il voulait continuer de poursuivre les autres “Mirage”. J’avais déjà commencé à virer quand j’ai entendu Eshchar crier :“Waouh !”. J’ai demandé : “Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”, et il a répondu : “Un “Kurnass” vient de me dépasser !” Heureusement, l’équipage du “Kurnass” avait bien analysé la situation et n’avait pas tiré sur lui, mais cette fois-ci Eshchar a rompu l’engagement et m’a suivi jusqu’à Hatzor.
En arrivant sur Hatzor, nous avons fait le passage rase- mottes traditionnel pour annoncer nos victoires puis nous sommes posés. Beni Peled, le commandant de la force aérienne, nous a d’abord félicités au téléphone avant de me passer une “soufflante” : “Pourquoi seulement trois ?” Nous aurions dû abattre les six ! Nous aurions pu. Nous aurions dû. C’est la vie, certains ne retiennent que les avions qu’on a laissés filer, pas ceux qui ont été battus.”
Amit Eshchar, Elite 2, témoigne : “Avec Shlomo Levy, nous avons décollé de [Hatzor] pour une patrouille du soir sur Baluza [dans le secteur Nord du théâtre des opérations du commandement Sud, NdA]. Immédiatement après que nous avons quitté le sol, le contrôle au sol nous a dirigés pour intercepter des avions approchant de Hatserim. Il s’avéra qu’il s’agissait de “Skyhawk” rentrant de missions avec un IFF [ Identification Friend or Foe : transpondeur identifiant un écho radar ami ou ennemi, NDLR] ne fonctionnant pas. Une fois cette affaire tirée au clair, nous avons filé vers Baluza ; deux “Nesher” en configuration airair avec chacun un gros réservoir pendulaire de 1 300 l sous le ventre, deux plus petits réservoirs de 500 l sous les ailes et deux missiles airair “Shafrir”. Le soleil se couchait et nous volions encore en direction de Baluza quand le contrôle au sol a annoncé : “Cap au nord, en descente.” Nous sommes descendus vers 4 000 ou 5 000 pieds [1 219 ou 1 524 m] et avons viré vers le nord, alors qu’à l’ouest le soleil commençait à toucher l’horizon. Le contrôle au sol nous a ordonné de virer [à droite] et, alors que nous virions, j’ai regardé sur ma gauche, à l’extérieur du virage, et j’ai
“Le “Mirage” a pris feu (…), mais il a continué à voler un moment, en brûlant ”
vu des avions volant vers l’est. Mon numéro 1 a continué de virer à droite, mais j’ai renversé à gauche, en descente, et j’ai largué les réservoirs sous les ailes, oublié de larguer le réservoir ventral, et me suis retrouvé pile derrière ces avions, à 3 ou 4 km de distance. À distance de tir du missile – 1 ou 1,2 km –, j’ai réalisé que ces avions étaient exactement les mêmes que les nôtres, mais qu’ils emportaient de très gros réservoirs sous les ailes, probablement des 1 700 l. J’ai posé la question au contrôle au sol et la réponse a été : “Pas des nôtres !” Ils filaient vers l’est et l’obscurité ; la visibilité était faible et exactement au moment où je m’apprêtais à tirer mon missile, ils ont breaké [virage très serré]. Tous les six, en un très étrange break jusqu’à 1 000 pieds [304,8 m] en larguant leurs bombes. Des bombes avec des parachutes, probablement pour endommager des pistes, et les parachutes se sont ouverts. Un des “Mirage” a percuté l’eau durant le break, et je me suis donc retrouvé seul contre cinq avions ennemis, et comme si cela ne suffisait pas, j’avais toujours mon réservoir ventral.
Mon numéro 1 était toujours plus au sud, à une altitude plus élevée, mais il a vu l’explosion [du “Mirage” qui a percuté la mer, NdA] et a viré dans sa direction. Les “Mirage” ennemis ont continué à virer de façon à ce qu’à chaque fois que je réussissais à me mettre derrière l’un, il y en avait un autre derrière moi. J’ai manoeuvré dans la verticale plusieurs fois, vers le haut et vers le bas, mais il me fallait éviter de me retrouver pris en sandwich. Puis ils ont arrêté de tourner et ont pris la direction de l’ouest ; j’ai alors suivi l’avion en queue de peloton. Numéro 1 m’a demandé si j’étais près de l’arrière d’un avion ennemi. J’ai confirmé, il m’a dit : “Tu es trop près !” Je me suis décalé sur le côté, il a tiré un missile sur l’avion que j’avais suivi et l’a abattu. Entre-temps, j’ai repéré un autre avion ennemi qui volait direction dans le soleil sur l’horizon. Loin devant, apparemment trop loin, mais j’ai quand même tiré un missile, qui a poursuivi l’avion ennemi pendant longtemps ; le moteur du missile semblait être tombé à court de carburant mais le missile continuait de voler et a finalement touché l’avion. Le “Mirage” a pris feu, tout l’empennage était en feu, mais il a continué à voler un moment, en brûlant, jusqu’à ce que son nez passe sous l’horizon et qu’il s’écrase. Le pilote ne s’est pas éjecté.
Nous avions déjà entendu le contrôle au sol diriger les “Kurnass” vers notre zone de combat, et il était presque impossible de distinguer nos “Nesher” de leurs “Mirage”. Il nous fallait dégager de là et, de fait, au moment où nous virions vers l’est pour nous regrouper, un “Kurnas” m’a dépassé. Son équipage avait probablement commencé une attaque sur moi mais a compris que je n’étais pas un hostile et n’a pas ouvert le feu.”
La mission avortée des “Mirage” de Tanta sur El Arish révéla que ces avions étaient exagérément perçus par les forces armées israéliennes – qui faisaient une fixation dessus – comme la force de frappe à longue distance la plus capable et la plus dangereuse : si trois escadrons de “Kurnass” n’avaient pas été capables de détruire Tanta, comment un unique escadron de “Mirage” pouvait être un tel danger pour les cinq bases principales de la force aérienne israélienne ?
Les “Mirage” contre l’offensive israélienne
Le 19 octobre, l’armée égyptienne avait probablement pris la mesure du renversement du rapport de force sur le front défendu par le commandement Sud ; la force aérienne égyptienne lança trois vagues d’avions pour frapper le secteur du Déversoir [au bord nord du Grand Lac Amer, NDLR] : vers 12 heures, 13 h 30 et 17 heures. Lors des deux premières vagues, aucun des “Mirage” de Tanta ne fut observé parmi les avions assaillants mais, lors de la troisième, trois furent repérés au milieu des 23 avions égyptiens qui la composaient. Une formation de trois “Mirage” était inhabituelle pour une mission d’attaque ; peut-être qu’un quatrième avait dû interrompre la mission. Toutes les
autres formations égyptiennes dans la même vague d’attaque étaient composées de quatre appareils.
Les intercepteurs israéliens engagèrent les avions égyptiens et furent crédités de six victoires en combat aérien, mais aucun des “Mirage” ne fut intercepté.
Les “Mirage” de Tanta ne furent pas envoyés au combat pendant plusieurs jours, jusqu’au 22 octobre 1973. Ce jour-là, le commandement Sud avait pris la base aérienne égyptienne de Fayid – rebaptisée base aérienne 28 Nachshon (3)– pour l’utiliser dans le cadre d’un pont aérien destiné à soutenir une offensive.
“J’ai tiré au canon et je l’ai touché”
La base de Fayid/ Nachshon fut la cible de quatre “Mirage” qui décollèrent de Tanta à 15 h 45. Ils furent les seuls en charge de frapper le commandement Sud durant la seconde vague de frappes égyptiennes ce 22 octobre. 16 MiG-21, répartis en quatre formations, effectuèrent bien des patrouilles offensives sur le secteur de Fayid, mais seulement pour défendre les “Mirage”, tandis que 12 autres MiG-21, répartis en trois formations, menaient des patrouilles défensives à l’arrière de la ligne de front. Ce dispositif était celui le plus couramment employés par la force aérienne pour les frappes au sol durant la guerre du Kippour. Dix “Mirage” israéliens furent envoyés intercepter les MiG-21 et les “Mirage” de Tanta. Uri EvenNir, qui pilotait un “Nesher” du Squadron 144 – indicatif radio Sofia– toucha un des “Mirage”. Il raconte : “J’ai tiré deux missiles “Shafrir” mais les deux sont allés percuter le sol, car nous vo-vo DR lions très bas. J’aiai alors tiré au canon et jee l’ai touché.”
Le “Mirage”” de Tanta, touché à l’aile, rompit le combat avec une fuite de carburant apparente. La force aérienne israé-lienne rapportata qu’un autre “Mirage”age” l’escorta jusqu’à laa base d’Abu Hammad où le pilote ne parvint pas à poser son avioni endommagé et finit par s’éjecter. Uri EvenNir fut crédité d’une victoire en combat aérien.
Le Squadron 101 de la force aérienne israélienne – indicatif radio Farid – fut également envoyé sur ce même combat. Ses pilotes virent deux “Mirage” rompre le combat mais ne les poursuivirent pas, pensant qu’il s’agissait de “Mirage” israéliens. Au total, la force aérienne israélienne observa sept missions offensives par lles “Mirage” de Tanta pourpo un total de 29 sortiessor entre le 14 et le 22 octobre. En comcomparaison, la foforce “Kurnass” (qquat re escadrons) effectua quelque 3 200 sosorties entre le 6 ete le 24 octobre ququand la guerre prit fi n avec un cessez-sez- lele- feu demandé par l’Égl’Égypte qu’Israël accepta à contrecoeurcon du fait dde revers dde ffortunes sur le champ de bataille du 12 au 24 octobre. La part prise par les “Mirage” égyptiens lors de la guerre du Kippour fut relativement minime, mais les deux engagements entre ennemis volant sur le même type d’avion sont des épisodes totalement inédits qui méritaient d’être relatés.