L’exploit de Costes et Bellonte
Costes et Bellonte vainquent l’Atlantique nord en septembre 1930 au terme d’un raid minutieusement préparé entre Le Bourget et New York, loin des improvisations et des tâtonnements du passé. Explications.
Il y a 90 ans Costes et Bellonte démontraient qu’avec une bonne préparation le Paris- New York était possible.
Il y a 90 ans de cela, le 2 septembre 1930, un Breguet 19 spécialement modifié, dit “Super Bidon”, se pose sur l’aérodrome de Curtiss Field près de New York, 37 heures après avoir décollé du Bourget et vaincu les vents contraires rencontrés sur l’océan. Un véritable exploit aéronautique : certes l’Atlantique nord a déjà été vaincu par un avion dans le sens Europe-Amérique en 1924, mais avec des escales en passant par l’Islande et le Groenland. Puis, le 13 avril 1928, par un hydravion Junker W 33 (équipage germano-irlandais commandé par le baron Von Hünefeld avec pour pilotes Hermann Köhl et James Fitzpatrick) parti d’Irlande et qui, perdu dans le mauvais temps, s’est écrasé dans un lac canadien sans dommages pour l’équipage qui n’avait aucune idée de sa position après un vol cauchemardesque de 3 500 km. Le vol que vient de réaliser Dieudonné Costes avec pour navigateur Maurice Bellonte est un vol parfaitement maîtrisé de 6 000 km réalisé de ville à ville, par un pilote très compétent, dans un appareil d’une extrême fiabilité et employant toutes les ressources de la navigation aérienne – un vol, comme le déclarera Costes, qui préfigure les futures liaisons aériennes commerciales entre les deux continents.
Spécialiste du Breguet 19
Animateur du projet, Dieudonné Costes était sans conteste le pilote le plus expérimenté au monde pour le réaliser. Breveté pilote avant la guerre, il combat dans l’aviation du front d’Orient dont il devient l’as des as avec six victoires homologuées. Devenu après le conflit pilote de ligne aux compagnies Latécoère,
Ernoul puis Air Union, son dernier carnet de vol se ferme en 1924 avec 4 306 heures certifiées. Non qu’il arrête de voler, mais il arrête de compter : il devient l’année suivante pilote de la firme Breguet et acquiert une parfaite connaissance de l’avion phare de la société, le Breguet 19, qu’il livre aux nombreuses forces aériennes qui en font l’acquisition. Il établit aussi des records de distance sur un exemplaire spécialement modifié (le n° 1685, version “Grand Raid”) à moteur de 500 ch et bat le record du monde le 29 octobre 1926 en réalisant un Paris-Djask (Iran) de 5 396 km. Le 8 mai 1927, il assiste au Bourget au départ de Nungesser et Coli qui disparaissent dans l’Atlantique nord et quelques jours plus tard, apprend l’arrivée au Bourget de Lindbergh qui lui prend à l’occasion son record du monde de distance.
Une préparation méthodique
Pour Costes, c’est décidé : il fera le premier Paris-New York ! Le ministre, effrayé par les disparitions
d’aviateurs sur l’Atlantique, refuse de mettre à disposition le Breguet 19 n° 1685 appartenant à l’État. Costes le fait racheter par Breguet qui le modifie et finance son vol avec le motoriste Hispano-Suiza à des fins publicitaires. Il s’adjoint les services de l’officier de marine Joseph Le Brix, navigateur expérimenté. Mais le court créneau météo d’été permettant de franchir l’Atlantique nord dans les meilleures conditions climatiques étant passé, les deux hommes vont se rabattre sur un raid de rechange et réaliser la première traversée sans escale de l’Atlantique sud du 14 au 15 octobre 1927, un succès qu’il prolonge d’une tournée de prestige à travers plusieurs villes d’Amérique du Sud et du Nord puis, après avoir fait transporter leur appareil au Japon, rentrent en France le 14 avril 1928 après six jours de voyage à travers le continent asiatique. C’est le jour même où on apprend la traversée de l’Atlantique par le Junkers W 33 d’Hünefeld… Nombre d’aviateurs préparent alors cette traversée.
Costes est aussi méthodique qu’opiniâtre. Il se sépare de Le Brix
pour des questions d’ego et s’adjoint les services de Maurice Bellonte, son ancien navigateur d’Air Union. Il obtient le concours du très riche François Coty, le parfumeur qui avait secrètement financé l’appareil de Nungesser, et qui met un million de francs à sa disposition pour salarier Bellonte et financer un nouvel appareil, un Breguet 19 dit “Super Bidon” (version transatlantique, dite Tr) au moteur Hispano de 600 ch et à l’autonomie théorique portée à 8 600 km. Costes et Bellonte participent à son développement, réalisent les essais en vol en juillet 1928 et le font retourner en usine durant l’hiver. L’appareil est prêt pour l’été 1929 et les deux hommes s’élancent
sur l’Atlantique nord le 12 juillet 1929 en passant par les Açores, route plus longue mais moins propice aux perturbations. Cependant la météo se dégrade et la consommation du moteur augmente : Costes décide de faire demi-tour. Sage décision : leurs concurrents du moment, les Polonais Idzikowski et Kubala, poursuivent leur route dans le mauvais temps sur leur Amiot 123 et s’écrasent aux Açores.
Après avoir passé le reste de l’été 1929 à attendre une fenêtre météo qui ne viendra pas, Costes décide de partir le 27 septembre 1929 pour un raid de rechange : le record de distance continental, qu’il reprend avec Bellonte en volant de Paris jusqu’à la Mandchourie sur une distance de 7 905 km. Dans l’attente de l’été 1930, tandis que Bellonte s’entraîne aux techniques de navigation astronomique, Costes va avec son ami Paul Codos en navigateur battre le record du monde de distance en circuit fermé le 17 décembre 1929, parcourant 8 029 km.
Le Point d’Interrogation décolle à 9 h 54
Le 1er septembre 1930, quand l’Office météorologique national annonce une période favorable lors de laquelle l’anticyclone des Açores pousse vers le nord les habituelles perturbations sévissant sur l’Atlantique, le Breguet 19 Point d’Interrogation décolle à 9 h 54. Averti à l’avance des perturbations grâce à sa TSF maniée par Bellonte qui va communiquer avec 10 navires durant la traversée, l’équipage est aussi constamment renseigné par ces derniers sur sa position – qu’il évalue également lui-même la nuit en pratiquant la navigation astronomique grâce à leur sextant à bulle qu’ils sont parmi les premiers à mettre en oeuvre sur un avion. Après 23 heures de vol, le Point d’Interrogation touche la côte canadienne de l’île de Capbreton à moins de 10 km de son point calculé, près de la ville de Louisbourg. Le reste du vol vers New York en longeant la côte n’est plus qu’une formalité… L’appareil se pose le 2 septembre à 23 h 18 à Curtiss Field, et l’équipage entre dans l’histoire.