De pied en cap
Les pilotes de l’USAAF disposaient d’un équipement pléthorique. Revue de détail avec le 1st lieutenant Marvin J. Rosvold. L’occasion de partir sur ses traces…
Avec quelle tenue et quels équipements Marvin J. Rosvold, pilote de P- 47, partit au combat le en 1944 ?
Regardez bien ce jeune pilote posant fièrement devant son P- 47, c’est le 1st lieutenant Marvin J. Rosvold (photo page 29). Le cliché a été pris au printemps 1944 sur la base de Chilbolton, en Angleterre, où était basé son escadron, le 397th du 368th Fighter Group de la 9th Air Force. Son unité était arrivée là en mars pour préparer l’invasion comme ils disent, le débarquement en Normandie.
Sur cette photo “Marv” porte son équipement de vol complet, prêt à traverser la Manche pour sa mission dans son “Thunderbolt”. Nous allons nous attacher à détailler sa tenue de pied en cap.
Le guide de l’uniforme
À cette époque, l’USAAF était encore une composante de l’US Army. Le port de l’uniforme était réglementé dans un guide ; pour “Marv”, qui était officier, c’était The Officer’s Guide. On y trouvait les différents types d’uniformes, quand les porter, comment positionner les insignes de col, de poitrine, d’épaules etc. Une exception était faite dans le règlement pour les aviateurs concernant leur casquette car ils devaient pouvoir la porter avec des écouteurs à arceau. Ainsi on créa la crusher 50 missions, une variante de la casquette d’officier à visière souple et sans bandeau rigide qu’on pouvait plier et glisser dans sa poche et qui donnait à son porteur une allure beaucoup plus baroudeur. D’ailleurs les sous-mariniers allemands en avaient adopté une similaire.
En ce qui concerne les équipements de vols, propres à l’USAAF, des manuels comme le Reference Manual of Personnal Equipment Officers, des guides comme le Pilot’s Information File et même un catalogue, l’Illustrated Catalog Class 13, détaillaient tous les matériels disponibles et comment les utiliser. Cette documentation était mise à jour en fonction des évolutions techniques et de la sortie des nouvelles références ou procédures. Les pilotes qui étaient stationnés een Europe disposaient, en plus des équipements de leur pays, de ceux de la Royal Air Force britannique. Certains pilotes les préféraient car ils éétaient souvent de bonne facture et plus confortables que ceux dde l’USAAF. Ainsi, on trouva un nombre incalculable de combinaisons de tenues et d’équipements de vol en fonction des choix des pilotes, des habitudes, de leur unité, de la ressource disponible, des saisons, des missions…
“Marv” est chaussé de brodequins de service de type II. Ces chaussures en cuir à tiges hautes et à bouts rapportés avaient remplacé le premier modèle en cuir retourné plus difficile à entretenir. Ces brodequins n’étaient pas spécifiques aux aviateurs mais
équipaient l’ensemble de l’armée américaine. Leurs semelles en caoutchouc, fabriquées par des industriels comme Goodyear ou BF Goodrich, leur assuraient confort et longévité.
Il porte un pantalon d’officier dit pink ; les effets pinks avaient été adoptés dans les années 1920 et ce pantalon en laine de bonne coupe était parfois confectionné par les tailleurs anglais à la demande des pilotes. Il était souvent associé à la veste verte quatre poches qui faisait cette silhouette si caractéristique aux officiers de l’US Army, pinks and greens. La ceinture en dotation (qui n’est pas visible sur la photo) était en épaisse toile canevas kaki et différait de celle des sous-officiers et des hommes du rang par sa boucle en métal dorée.
Sa chemise en laine de coupe officier est de couleur OD 51 appelée aussi chocolat. Le positionnement des insignes suit les indications du Officer’s Guide. Ainsi, son grade de 1st lieutenant, une barre verticale argentée, était placé sur le col droit , au centre, et l’insigne de l’USAAF, une paire d’ailes et une hélice verticale dorées, sur le col gauche. L’écusson de l’USAAF était cousu sur l’épaule gauche. Son brevet de pilote – les ailes d’argent, invisibles sur la photo – est porté au-dessus de la poche de poitrine gauche. Sa chemise est agrémentée de la cravate réglementaire en tissu kaki.
Le fameux blouson de pilote A-2
Il est vêtu de son blouson de pilote en cuir, le fameux A-2. Ce blouson a été créé en 1931 pour le compte de l’USAAF. Il succédait au modèle A-1, le premier en dotation spécifique à l’aviation américaine qui fermait avec des boutons. Le A-2, d’une coupe résolument moderne, court et près du corps pour ne pas être gêné dans les cockpits, se fermait avec une fermeture éclair, le serrage au poignet et au bassin était assuré par des tricotines, et il possédait deux poches plaquées à rabat fermant par des boutons-pressions. Il était doublé de tissu de coton marron. Le A-2 était fabriqué principalement en cuir de cheval, mais il a aussi été produit en cuir de chèvre et de bovin. L’USAAF avait confié sa fabrication à des contractants. Leurs productions différaient entre elles par de menus détails de coupe, de forme de poche, de col ou d’épaulette. Les plus connus ont été : – Aero Leather Clothing Co., Inc. ;
– Bronco Mfg. Co. ;
– Cable Raincoat Co. ; – Cooper Sportswear Mfg. Co. ; – David D. Doniger & Co. ; – J. A. Dubow Mfg. Co. ;
– Monarch Mfg. Co. ;
– Perry Sportswear, Inc. ; – Poughkeepsie Leather Coat
Co., Inc. ;
– Rough Wear Clothing Co. ; – Spiewak & Sons ;
– Star Sportswear ;
– United Sheeplined Clothing Co. ; – Werber Sportswear. Outre la décalcomanie d’insigne de l’USAAF apposée sur l’épaule gauche et les grades cousus aux extrémités des épaulettes, les pilotes et les membres d’équipage aimaient
souvent personnaliser et orner leur blouson d’une bande patronymique en cuir de fabrication plus ou moins artisanale, d’un patch de poitrine d’unité, en cuir peint, en tissu ou en chenillé de laine. Les plus doués, où ceux dont les groupes avaient des artistes, faisaient peindre dans leur dos des pin-up, leurs avions ou d’autres motifs qui en ont fait de véritables oeuvres d’art très recherchées de nos jours.
La veste de flottabilité Mae West
Le A-2 est le blouson de pilote qui est devenuvenu mythique avec Hollywood et les films des années 1940 et 1950 , jusqu’aux années 1980 avec L’Étoffe des s héros et le e personnage e de Chuck k Yeager joué ué p ar Sam m Shepard.
Ses gants, en cuir de cheval de couleur sable, sont du modèle de cavalerie M-1938. Destinés aux troupes blindées, ils ont souvent été adoptés par les pilotes mais ont été rendus célèbres par les troupes aéroportées américaines des 101st et 82nd AirBorne qui ont sauté en Normandie. Par-dessus son cuir il a enfilé une veste de survie pneumatique jaune du type B- 4. Elle était obligatoire en cas de survol maritime. Si on était contraint d’amerrir ou de sauter au-dessus de la mer, on la déclenchait avec deux cordons situés en bas qui percutaient l’ouverture de deux petites bouteilles de gaz CO2 qui gonflaient la veste. En cas de défaillance du système, deux tubes en caoutchouc permettaient de la gonfler avec la bouche. La veste était équipée d’une petite pochette contenant du colorant qui se répandait sur la mer et signalait plusplus USAAF facilfacilement la présensence du pilopilote aux secours.sec On avait baptiséba cette veste dud nom ded Mae West e n référenceréfére à une actrice hollywoodienne alors célèbre que la nature avait doté de certains attributs anatomiques avantageux rappelant le dispositif de flottabilité de la veste B- 4. “Marv” est équipé d’un parachute dorsal, du modèle B- 8 de l’USAAF. Son enveloppe renferme une coupole blanche de plus de 7 m de diamètre et des suspentes qui sont minutieusement pliées et rangées. Le tout est refermé par des goupilles, sortes d’ergots sur le câble de la poignée d’ouverture elle-même logée dans une petite housse cousue sur la partie gauche du harnais. En cas d’évacuation, le pilote tirait sur cette poignée dont les goupilles du câble libéraient l’enveloppe qui était ouverte par des élastiques et la voile pouvait se déployer avec le vent relatif. Sur la partie droite du harnais on distingue une petite pochette de toile attachée. C’est un kit de premier secours. La trousse contient une syrette de morphine, des pansements, des compresses, des bandes, des antibiotiques et de quoi désinfecter une plaie. Fixé au bas du harnais, son sac à dinghy lui sert de coussin dans le siège de son P- 47 qui en est dépourvu. Le dinghy est le canot de sauvetage et celui de “Marv” est un modèle anglais de la RAF, un modèle K dans un container de type A Mk III. Il contient le canot, les rames, un mât, une voile et tous les équipements de survie et de navigation en mer.
Sur les traces du pilote
Le parachute B- 8 de “Marv” J. Rosvold a été conservé et c’est l’occasion d’ouvrir une grande parenthèse sur une histoire singulière qui mérite d’être racontée. En 2011, l’auteur, président de l’unité française de la Commemorative Air Force, le retrouva en piteux état dans une vente mais entreprit de le restaurer et d’entamer des recherches sur son propriétaire, son nom étant inscrit au pochoir sur le container. Grâce aux archives américaines et au soutien de la 368th Fighter Group Association, il retrouva le parcours militaire de son pilote. Malheureusement, Marvin était décédé en 2008 après une belle carrière d’architecte. L’auteur reconstitua le déroulement de sa 65e mission. Il faut se projeter le 17 août 1944, en pleine bataille de la poche de Falaise où sont concentrés des milliers de soldats allemands et où sont entassés de nombreux matériels, véhicules et armements. La mission de l’escadrille de “Marv” est la dernière de la journée et, en cette après-midi chaude du mois d’août, elle consiste au support et la couverture d’une colonne de véhicules blindés de la 3rd Armored Division sur le secteur sud de Putanges, entre Flers et Argentan. Menée par le major Randall “Pinky” Hendricks, accompagné des 1st lieutenants Marvin J. Rosvold, John P.
Foltz et du 2nd lt Edgar Baker, l’escadrille décolle de l’ALG (Advanced Landing Ground) A-3 de Cardonville dans le Calvados, en Normandie, pour rejoindre son objectif – 50 de ces terrains d’aviation avancés furent construits rapidement en Normandie après le Débarquement par les génies américains et anglais afin de positionner les groupes de la 9th Air Force et de la 2nd Tactical Air Force au plus près de la ligne de front et soutenir la percée et l’avancée des troupes au sol. Toutes les bombes sont larguées à la sortie ouest de Fromentel qui est bien touchée ; à leur départ les pilotes peuvent apercevoir les dégâts, ruines, flammes et fumées qui s’en dégagent.
Prendre contact avec la famille
Au retour, la patrouille mitraille deux halftracks (autochenilles blindées) qu’ils détruisent probablement et endommagent une dizaine de chars dont des “Tigre” avant de rencontrer un feu nourri de la Flak passé Putanges, au sud-est de Falaise. Soudain, “Marv” est secoué ; le moteur de son P- 47 vient d’être touché par un obus de Flak et il annonce par radio qu’il doit sauter. Il évacue son avion, ouvre son parachute et atteint le sol quasi indemne avec seulement quelques blessures superficielles. Il est récupéré par les troupes alliées et rejoint son terrain de Cardonville dès le lendemain. Mais les coordonnées dans les rapports de ses coéquipiers ne sont pas précises. En septembre 2013, l’auteur se rend à l’endroit indiqué mais personne n’a entendu parler ni d’un avion tombé ni d’un pilote américain parachuté dans le secteur. L’énigme sur les lieux de l’accident et de l’atterrissage de Rosvold reste entière. En 2015, Carrie Clogston trouve sur Internet les recherches de l’auteur sur son grand-père et lui écrit ; c’est le premier contact avec la famille. Elle en parle à sa tante Suzan, une des filles de “Marv” qui, dans un premier temps ne prend pas l’affaire au sérieux, voire se méfie. Carrie lui transmet une photo de son grand-père prise du temps de son école de pilotage. Il faudra attendre fin 2016 pour connaître la solution de l’énigme. En juillet 1992, un historien amateur de Falaise féru des avions tombés sur son secteur avait retrouvé et déterré les restes d’un P- 47 avec le soutien du propriétaire du musée de Falaise, Michel Leloup, qui avait notamment financé l’excavatrice pour les fouilles. Le moteur Pratt & Whitney R-2800 et les huit mitrailleuses Browning de calibre .50 (12,7 mm) avaient été sortis et étaient conservés dans les réserves du musée devenu depuis, grâce au fils du fondateur, Nicolas L el o u p, l’Overlord Museum de Colleville. Cependant, ils n’avaient pu identifier r le proprié- taire de cet t avion. L’auteur et l’historien amateur mirent leurs recherches en commun. Une position de Flak se trouvait sur le trajet du retour de la patrouille du maj. Hendricks, non loin du lieu-dit RoRouffigny, et c’ec’est elle qui auraitau touchéch l’avion de Rosvold.R Son P-P47 avait été retrouvére dans uneu pâture situéesi dans un boisb au bord de la route d’Écouché au lieu-ditLeRochercommditLeRochercommun, quelques kilomètres plus loin. “Marv”, quant à lui, avait touché le sol dans une propriété à Prey au sud-est de la
commune de Saint-Pierre-du-Bû ; le témoignage de la mère du propriétaire actuel en a attesté. Au matin du 18 août 1944, elle était tombée sur un parachute posé là en emmenant les vaches au pré. Le village de SaintPierre-du-Bû venait tout juste d’être libéré quelques heures plus tôt par des éléments de la 53e division d’infanterie britannique, mais “Marv” aurait été récupéré avec beaucoup de chance par une patrouille canadienne qui passait par là en reconnaissance, qui faisait partie du même 21e groupe d’armées alliées. Tous les éléments se recoupaient et l’énigme avait trouvé sa solution, bien que rien ne nous ait dit comment le parachute était arrivé jusqu’à l’auteur après toutes ces années. L’Overlord Museum fut contacté et le moteur et les mitrailleuses ressortis des réserves. En juillet 2017, Nicolas Leloup et l’auteur organisèrent la venue de membres de la famille Rosvold parmi lesquels sa fille Suzan et son frère Harlan, vétéran de la guerre du Pacifique dans l’US Marine Corps (Tinian, Saipan et Iwo Jima). Pour l’occasion, une exposition temporaire fut organisée par le musée avec le moteur, les mitrailleuses et le parachute. Les Rosvold purent suivre les traces de leur aïeul à Cardonville, à Saint-Pierre-du-Bû où les communes leur ont réservé des accueils “dignes de chef d’État”, dixit Harlan Rosvold, le frère vétéran de l’US Marine Corps. En juin 2019, pour le 75e anniversaire du Débarquement, une vingtaine de membres de la famille a affrété un car pour visiter tous les sites et assister à l’inauguration de l’extension de l’Overlord Museum consacrée en grande partie à l’aviation pendant la bataille de Normandie. L’exposition sur Marvin J. Rosvold y est maintenant permanente ; sa fille a prêté les décorations, insignes, photos et documents de son père et l’auteur son parachute. Harlan était une nouvelle fois du voyage à 95 ans, et il eut le privilège de couper le ruban de l’inauguration avec Nicolas Leloup.
Le masque à oxygène “à la demande”
L’équipement de tête du lt Rosvold est typique des pilotes basés en ETO ( European Theater of Opérations, théâtre européen des opérations). Le serre-tête en cuir est un modèle de la RAF, un type C, 2nd Pattern (2e type), dont les écouteurs ont été remplacés par des modèles américains, ANB- H-1, câble à prise mâle rouge PL-354. Ses lunettes de vol sont aussi des modèles RAF, des Mk VIII. Elles étaient appréciées des pilotes pour leur large champ de vision, leur confort avec la souplesse de leur bourrelet en cuir et la douceur de la chamoisine. Elles ont été longtemps utilisées par les motards après la guerre et même copiées. Le masque à oxygène est quant à lui bien américain. C’est un A-14, le modèle le plus abouti
à cette période. Il est du type “à la demande” : c’est l’inspiration qui déclenche l’arrivée de l’oxygène. Le débit et le mélange air/oxygène sont assurés par un système de régulation situé dans le poste de pilotage. Le masque est équipé d’un micro un peu particulier, un modèle T- 44 avec une prise pour radio anglaise puisque les appareils en étaient dotés. Cet ensemble de tête lui donne un air très caractéristique des pilotes de la 8th et de la 9th Air Force.
Il attaque au mépris de sa propre sécurité
Le 12 juin 1944, Marvin J. Rosvold obtint une demi-victoire sur un Me 109 en collaboration avec le 2nd lt Manuel K. Soo lors d’une
mission au nord de la plage de Sword. L’avion fut abattu du côté du Havre. Mais c’est sa mission du 14 juin qui lui valut sa Distinguished Flying Cross.
Ce matin-là, le lt-col. Perego décolla avec 36 P- 47 du 368th Fighter Group, et les escadrilles se séparèrent pour réaliser des patrouilles sur les secteurs qui leur avaient été désignés. La fin de la mission consistait en la recherche de cibles dites d’opportunité sur la route du retour. La patrouille de “Marv” était menée par le maj. John Haesler, le commandant du 397th Fighter Squadron, et composée du lt Robert Bechtold et du lt George Sutcliffe. Ils s’apprêtaient à quitter leur secteur de patrouille quand une nuée de 40 Messerschmitt 109 leur tomba dessus. George Sutcliffe, en mauvaise posture, fut libéré d’un assaillant par “Marv” qui poussa à fond sur sa manette des gaz et grimpa pour attaquer au mépris de sa propre sécurité. Un quart d’heure après le début des combats, le lt Bechtold fut vu évacuant son appareil ; il fut fait prisonnier, mais non sans avoir réussi à abattre deux Me 109. George Sutcliffe fut aussi crédité d’un 109 et “Marv” revendiqua en avoir endommagé un autre. Rosvold participa en grande partie à dissiper la formation de 109 et extirpa ses équipiers de cette mauvaise passe. Une fois rassemblée, l’escadrille se posa sur l’ALG A-2 de Criqueville-en-Bessin pour ravitailler en carburant avant de repartir à Chilbolton en Angleterre.
Marvin J. Rosvold termina la guerre avec 77 missions. Il quitta l’Europe le 30 octobre 1944 pour devenir instructeur mitrailleur à Fort Meyers, en Floride.