Les armes nucléaires aéroportées françaises
La France dispose depuis le début des années 1960 d’un large éventail de bombes et de missiles atomiques.
En parallèle à la création des structures étatiques pour le développement des armements nucléaires, notamment la création du Commissariat à l’énergie atomique par décret du 18 octobre 1945, les crédits d’équipements inscrits aux budgets s’intégrèrent dans le cadre d’une loi de programmation quinquennale, la première couvrant la période 1960-1964. Entre autres équipements, ces lois s’appliquèrent à l’armement nucléaire au sens large : vecteurs, armes, systèmes d’arme, équipements afférents et personnels. Depuis, le développement de chaque nouvelle arme nucléaire a été budgété dans le cadre des lois de programmation successives.
Les armes nucléaires à gravitation
L’ANM IV 11 (arme nucléaire “Mirage” IV type 11). Le développement de l’AN 11 pour la mission haute altitude du “Mirage” IVA fut confié à partir de septembre 1960 au Commissariat à l’énergie atomique pour la partie nucléaire et à la Générale aéronautique Marcel Dassault (GAMD) pour l’enveloppe et ses équipements. La charge nucléaire MR 11, constituée d’un coeur au plutonium 239, était fixée sur une des deux parties de l’“implosoir” en forme d’oeuf qui comportait une masse importante d’explosifs. Au moment du tir, les deux masses d’explosifs séparées par un bouclier coulissant se seraient rapprochées, armant la bombe. Qualifiée d’arme de précocité, avec une charge rustique et un système de sécurité rudimentaire, on constata que les explosifs se fissuraient, par les variations de température produites par le plutonium, créant un problème majeur de sûreté nucléaire. Composées de huit tronçons, d’une dérive intégrée et de deux dérives montées après accrochage de l’arme, les AN 11 étaient conditionnées en permanence avec des chariots de piste de ventilation.
L’AN 11, d’une puissance nominale de 40 kilotonnes, fut en unités au Dépôt atelier de munitions spéciales (DAMS) du CEAM (Centre d’expériences aériennes militaires) et à ceux de Mont-de-Marsan, Cazaux, Orange et Istres. Le 6 juillet 1963, le premier corps de charge fut livré à Mont-de-Marsan, suivi en décembre du premier sous- ensemble pyrotechnique. Le 28 juillet 1964, la première AN 11 fut accrochée sous un “Mirage” IVA et, à partir de juillet 1965, les 41 AN 11 fabriquées furent progressivement retirées du service et remplacées par l’AN 21.
L’ANM IV 21 (arme nucléaire “Mirage” IV type 21). Les études pour la conversion de l’AN 11 en AN 21 commencèrent en janvier 1963 pour s’achever en novembre 1965. De taille, de forme et de caractéristiques identiques à celles de l’AN 11, l’AN 21 utilisait l’option d’“implosoir” avec de l’uranium 235. L’“implosoir” sphérique était pourvu de 48 détonateurs d’explosifs disposés pour donner la masse critique au coeur d’uranium et déclencher la réaction en chaîne, augmentée par une source neutronique. L’AN 21 était largable à haute
altitude ou en LABS (Low Altitude Bombing System), soit à basse altitude à grande vitesse, le largage ayant lieu au cours d’une ressource suivant un angle avec un délai calculé à l’avance pour l’explosion. La durée de montage (assemblage et contrôle) d’une AN 21 ou AN 22 durait environ 3 heures, soit 1/3 de moins que pour l’AN 11, avec des matériels mieux sécurisés. Le premier assemblage d’une AN 21 fut effectué à Valduc en juin 1965, la première arme étant montée sous un “Mirage” IV en août 1965 à Creil où, de novembre 1964 à novembre 1965, des campagnes d’essais furent menées sur l’ensemble des opérations concernant l’arme. La production des 78 AN 21 s’étala du début 1965 à avril 1967, la première étant livrée le 1er septembre 1965 au DAMS de Creil. Les AN 21 avaient une puissance de 70 kilotonnes et furent utilisées jusqu’en 1968.
L’ANM IV 22 (arme nucléaire “Mirage” IV type 22). Le profil de largage à basse altitude fut défi ni en janvier 1965, puis l’étude d’adaptation fut réalisée de mai 1965 à mi-1967. En mars 1966, la décision de convertir toutes les armes de type 21 en type 22 fut prise, le DAMS de Creil assurant les expérimentations. La transformation de 60 AN 21 en AN 22 s’étala de septembre 1966 à mai 1969. L’AN 22, identique à l’AN 21, pouvait être larguée en LADD (Low Altitude Drop Delivery) (1) avec un parachute de récupération et un parachute ralentisseur. Le largage de l’AN 22 était possible en plusieurs modes : actif haute altitude : explosion nucléaire normale ; actif basse altitude : explo- sion nucléaire normale, en palier ou en ressource, en aveugle ou à vue, bombe freinée par un parachute ; auto destruction : destruction par explosion pyrotechnique de quelques détonateurs avec dispersion de l’uranium pour éviter toute chance de réaction en chaîne ; inerte : récupération de la bombe par parachute.
L’ANT (arme nucléaire tactique) type 52. Le CEA/ DAM (Direction des applications militaires) développa une CTC (charge nucléaire tactique commune) destinée au missile “Pluton” et à l’AN 52, présentée en 1965. La GAMD se vit confier en 1968 la conception et la fabrication des AN 52, de leurs conteneurs d’essais et d’entraînement. La forme et le volume compacts de la charge permirent l’installation du bloc d’équipements nucléaires sur la face avant de l’AN 52 à proximité des équipements de la GAMD, facilitant leurs connexions électriques. La fabrication des AN 52 se déroula de 1971 à mi-1974. L’AN 52, non pressurisée, était constituée de cinq tronçons, avec à sa partie supérieure deux rotules de centrage et deux anneaux d’accrochage standard Otan espacés de 1 800 mm pour la liaison mécanique de l’arme avec son pylône d’emport. Une porte donnait accès à la charge pour la mise en place du coeur, s’effectuant par un système de verrouillage à baïonnette. Les trois empennages étaient montés une fois l’arme accrochée sous l’avion et, pour les “Super Étendard”, les deux empennages inférieurs étaient en aluminium
friable fragilisés. Les spécialistes estiment que 24 AN 52 furent produites pour les “Mirage” IIIE et 36 pour les “Jaguar” A.
Les missiles nucléaires aéroportés
Le missile ASMP (air- sol moyenne portée). En juillet 1977, la fiche programme requérait un missile tactique autonome, capable d’emporter une charge thermonucléaire à énergie nominale modulable, puis la fiche programme établie en 1980 prescrivait un missile pouvant être emporté par les “Mirage” IVP, les “Mirage” 2000N et les “Super Étendard”. Le missile devait être capable de suivre des trajectoires diversifiées selon le choix de tir : une trajectoire à très basse altitude/très grande vitesse (portée de 80 km) avec un suivi de terrain paramétré, intégrant la possibilité de points tournants, de modifications d’altitude et de modifications de vitesse, une trajectoire à haute altitude (portée de 400 à 450 km) à partir d’un point de tir à basse altitude, avec une croisière vers l’objectif à haute vitesse, puis un piqué à la verticale vers l’objectif et une trajectoire spécifique adaptée au tir sur mer. L’arme devait avoir une vitesse supersonique élevée et son encombrement devait être compatible avec son vecteur, conditionnant sa taille et son mode de propulsion, la solution retenue étant le statoréacteur. L’ASMP fut développé conjointement par la DME (Direction des missiles et de l’espace) et par le CEA/ DAM pour la tête thermonucléaire, l’Aérospatiale assurant la maîtrise d’oeuvre et le développement du missile. L’ASMP était un missile hypervéloce, très manoeuvrant, à guidage par centrale à inertie et à navigation préprogrammée, intégrant un système de navigation autonome lui permettant de se diriger vers l’objectif, ayant mémorisé les coordonnées à partir de son point de largage calculé par les centrales inertielles de l’avion, transmises à la centrale inertielle du missile lors du largage. La partie avant de l’ASMP comprenait les équipements de guidage, de navigation et de contrôle, les éléments du boîtier de contrôle gouvernemental et l’ogive thermonucléaire miniaturisée, et la partie
vecteur, d’avant en arrière abritait la case à équipements, l’ensemble propulsif comprenant un réservoir, le bloc de propergol solide pour la propulsion de l’accélérateur, les équipements du statoréacteur, les entrées d’air et les manches à air latérales, les carénages latéraux assurant 50 % de la portance du missile, les gouvernes et la dérive stabilisatrice. L’ASMP nécessita le développement des pylônes lance- missiles LM 770 (“Mirage” IVP et “Mirage” 2000N) et LM 771 (“Super Étendard”), éjectant le missile vers le bas par l’impulsion de deux leviers d’éjection (5 m/s), le mettant à distance de sécurité de l’avion.
missile ASMP-A (air- sol moyenne portée amélioré). Le programme ASMP-A fut lancé fin 1997 pour s’adapter à l’évolution des défenses adverses et pour bénéficier d’avancées technologiques.
Son développement fut attribué à la Direction du programme “Horus” de la Direction générale de l’armement, au CEA/ DAM et à Aérospatiale Matra missiles, la phase de réalisation étant lancée en août 2000. Le missile est composé de l’ensemble avant comprenant la tête thermonucléaire TNA (tête nucléaire aéroportée) à charge robuste de sûreté améliorée, les équipements de navigation et la partie
vecteur avec l’ensemble propulsion comprenant l’accélérateur à poudre et le statoréacteur. L’ASMP-A présente des améliorations notables : protection IEM (impulsion électromagnétique) améliorée, agencement des équipements autorisant une quantité augmentée de carburant, domaine de tir élargi et trajectoires programmables, diversité des modes de pénétration, portée, précision et puissance modulable accrues, meilleure souplesse d’emploi, sûreté nucléaire optimisée et améliorations aérodynamiques. Ces progrès reposent sur l’emploi de matériaux et d’équipements plus performants, avec une nouvelle centrale à inertie. Les experts estiment que MBDA (Matra British Aerospace Engineering Dynamics Alenia) a produit 80 missiles au terme des livraisons fi n 2011 et le président Hollande a révélé en 2015 que la France dispose de 54 missiles AMSP-A. Trois bases ont la capacité de stockage et de mise en oeuvre de l’ASMP-A : Istres, Saint-Dizier et Avord, ainsi que le porte-avions Charles de Gaulle. L’ASMP-A sera remplacé à l’horizon 2030-2040 par un missile aéroporté en cours de développement dans le cadre des programmes “Prométhée” et “Camosis”.
L’ordre d’utilisation du feu nucléaire
Depuis 1964, seul le président de la République peut donner l’ordre d’utilisation du feu nucléaire, à l’issue d’une procédure de transmissions complexe, ultra-secrète et ultra-protégée. La procédure en vigueur depuis que la France dispose d’une force nucléaire est inchangée : si cet ordre était donné, les codes de déverrouillage des armes nucléaires seraient transmis aux équipages qui les activeraient grâce aux équipements de commande et de contrôle spécifiques montés dans leur avion.