L’“Arriel” à la conquête de l’Amérique
Turbomeca, devenue Safran Helicopter Engines en 2016, fête ce mois-ci ses 80 ans. Charles Claveau, qui fut ingénieur de marque “Arriel”, raconte cette journée.
La réussite de Turbomeca passe par la rencontre entre une turbine française et un hélicoptère américain en 1986.
Quand je rent re à Turbomeca en 1976, je suis intégré à l’équipe de développement du moteur “Arriel”, alors en pleine phase de certification. Celle- ci obtenue en juin 1977, je me spécialise alors dans la réception des moteurs de série destinés aux premiers AS350 “Écureuil” et SA365 “Dauphin” de ce qui est alors la division hélicoptères d’Aerospatiale. À cette époque, les moteurs prototypes sont fabriqués par une entité spécialisée, baptisée familièrement Nasa, qui dispose de son propre atelier et de ses propres préparateurs pour rédiger les gammes de fabrication des pièces. Au passage en série, les gammes sont refaites par les préparateurs de la direction production pour les adapter aux moyens industriels défi nitifs.
Du cauchemar au rêve éveillé
L’“Arriel” est conçu selon les principes de base développés depuis 1947 à Turbomeca, mais il les pousse à des limites encore jamais atteintes en termes de rapport puissance/masse : pour 650 ch, le moteur pèse à peine 110 kg. Malheureusement, les premiers moteurs de série ne se comportent pas du tout comme les moteurs prototypes ! Il faut reprendre toute la mise au point et la sor- tie des moteurs de série devient rapidement un cauchemar. Livrer chaque moteur à Marignane est un exploit qui nécessite d’innombrables heures de montage et de banc d’essais. En 1979, la direction générale de Turbomeca est persuadée que l’“Arriel” est raté et lance en catastrophe un moteur d’architecture nouvelle, le TM 333. Mais le développement d’un nouveau moteur prend du temps et en attendant, il faut continuer à livrer les “Arriel”. D’autant plus qu’à cette époque, persuadée que la conquête du marché américain passe par un moteur américain, Aerospatiale livre les AS350 “Écureuil” destinés à ce marché, baptisés “AStar”, avec des moteurs Lycoming LTS 101,
moteurs choisis également pour équiper les HH- 65 “Dolphin” des US Coast Guards. Entre le TM 333 et le LTS 101, l’avenir de l’“Arriel” semble définitivement compromis.
Alors que Turbomeca place tous ses espoirs dans le TM333, l’équipe chargée de l’“Arriel” s’acharne à faire marcher le moteur. Une sorte d’acharnement thérapeutique. Et petit à petit, sans rien lâcher, nous allons réussir. En 1983, l’“Arriel” marche alors que le LTS 101 rencontre des problèmes. Pragmatiques, les opérateurs américains d’“AStar” commencent à remplacer leurs LTS 101 par des “Arriel”. Mais ces derniers ont un autre concurrent, l’Allison 250 C-30 qui équipe le Sikorsky S-76, un très bel hélicoptère concurrent du
“Dauphin”. Et ce moteur a aussi des problèmes. En décembre 1984, je me trouve à Blackpool en Angleterre avec Michel Barral, chef-pilote de la CGTM (Compagnie générale des turbomoteurs), filiale d’essais en vol de Turbomeca, et Maurice Gosselin, responsable du support technique de l’“Arriel”. Nous y rencontrons pendant deux jours les responsables maintenance de la société Bond Helicopters, spécialisée dans la desserte des plateformes pétrolières en mer du Nord, qui opère avec des “Dauphin” et des S-76.
Un moteur français sur un hélicoptère américain !
Évidemment, les ennuis du C-30 sont évoqués et l’idée surgit : et si on remplaçait les C-30 par des “Arriel”. 20 ans plus tard, Stephen Bond se souvient encore de la première réponse de Sikorky à cette idée : “On ne va quand même pas mettre des moteurs français sur un hélicoptère américain !” Mais l’idée a du bon et elle est reprise par les autres opérateurs de S-76, en particulier HéliUnion. Le regretté Charles Schmitt, figure de l’hélicoptère en France et pilier d’Héli-Union, raconte dans son livre Le Destin m’a donné des ailes paru en 2017, comment il a poussé vers cette solution.
Finalement, le 10 octobre 1985, Turbomeca et Sikorsky signent le contrat qui lance la motorisation du S-76 avec un “Arriel” 1S. Dès le 9 septembre, le S-76 n° 760196 d’Héli-Union était arrivé à la CGTM sur l’aéroport de Pau-Uzein pour recevoir ses “Arriel”. Il vole avec ses nouveaux moteurs le 15 avril 1986 aux mains de Michel Barral accompagné de Jean-Yves Mouilleron comme ingénieur naviguant. Ce moment reste magique pour moi et pour tous ceux qui l’ont vécu : faire voler un hélicoptère Sikorsky avec un moteur Turbomeca, qui plus est un “Arriel”, était tout simplement impensable cinq ans plus tôt. Il symbolise la réussite d’une petite équipe qui, sans se poser de question, avait réussi à faire marcher un moteur quasiment condamné en 1980.
L’“Arriel” 1 va éliminer l’Allison 250 C-30 du S-76A, puis l’“Arriel” 2 fait de même avec le Pratt and Whitney PT6 du S-76B, laissant Turbomeca seul motoriste de ce bel appareil. L’“Arriel” remplacera le LTS 101 sur le BK-117 qui deviendra le H145 d’Airbus Helicopters, et sera également installé sur les HH- 65 des US Coast Guards. L’“Arriel”, avec plus de 13 500 moteurs produits, est aujourd’hui le plus grand succès de Safran Helicopter Engines.