MIEUX QUE LES PONEYS : LES COUTEAUX SAUVAGES
C’est un restaurant parisien de la rue de Seine, à quelques mètres du boulevard Saint-Germain, chez Huguette. Le décor de carrelage blanc donne dans le genre faux rustique vaguement industriel. En entrée, les « couteaux sauvages » (ne pas confondre avec les couteaux domestiques) flottent comme des petites barques sur 5 centimètres d’huile surplombant elle-même une boue d’ail écrasé. Le riz « à l’espagnole » est réalisé avec du basmati, évidemment… En plat, le carpaccio de saumon fumé rose fluo pèse dans les 4 grammes. Déprimé par ces mets infâmes, on repère sur la carte que les fromages viennent de chez « Mme Barthélemy » . « Je vous les prépare moi-même » , dit le fantasque serveur qui n’a cessé de vouloir nous retirer les plats déposés trois minutes auparavant. Préparer des fromages ? L’idée est curieuse. Mais en effet : ils arrivent, nappés d’huile d’olive, y compris le comté et le camembert… Mme Barthélemy pourrait être fière. « On part sur un café ? » relance l’insolent. Notre hôte, un romancier québécois parlant mieux le français que les deux tiers de nos compatriotes, s’étonne : « On doit partir ? » demande-t-il. On lui explique qu’en France, chez les ploucs, il est considéré chic de faire compliqué quitte à ne rien vouloir dire. A la manière de ces cuisiniers improvisés, par exemple, qui ne cessent de répéter « Ça se met en place » – comme si les aliments avaient des petites jambes et des petits bras – ou de ces sommeliers hystériques pour qui tous les vins sont « minéraux » (ils ont dû manger ou boire de la pierre pour savoir). Le serveur fou revient :
« Je sens que vous me trouvez très sympathique » , dit-il en souriant. On lui demande s’il fait du « standup ». « Non, mais c’est une idée. Alors, on part sur quoi ? » Soupir.