LA PASSION SELON DOLAN
Le nouveau film du fils prodige du cinéma est sorti mercredi sur les écrans, auréolé du Grand Prix du dernier Festival de Cannes.
Je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence. » Ce dimanche 22 mai, à Cannes, la phrase d’Anatole France résonne dans le Palais des Festivals. La voix tremblante et l’oeil humide, Xavier Dolan achève, par ces mots, son discours de lauréat. Deux ans après avoir remporté le prix du jury pour Mommy, il vient de décrocher, à 27 ans, le grand prix pour Juste la fin du monde, son sixième long-métrage. Quatre mois plus tard, alors que ce film adapté d’une pièce de Jean-Luc Lagarce et porté par la crème du cinéma français (Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Vincent Cassel, Léa Seydoux et Nathalie Baye) sort enfin sur nos écrans, l’enthousiasme est toujours vif.
Mais à Paris, quand on retrouve Xavier Dolan dans un salon de l’hôtel Les Bains, le héros est fatigué. Le look travaillé mais le teint blafard, il glisse, en forme d’excuse : « Depuis que je suis rentré de Cannes, je n’ai pas arrêté. » L’oeil s’allume pourtant lorsque la conversation s’engage sur ce longmétrage dont il est si fier : « J’ai le sentiment que c’est mon meilleur film parce qu’il s’agit du plus entier, de celui dans lequel tous les éléments – le scénario, la photo, la musique, le jeu des acteurs – s’harmonisent simultanément. Il y a là une vraie unité. »
Pourtant, l’entreprise était audacieuse : le langage répétitif, « un peu heurté » de Lagarce et la distribution réunissant des stars-égéries avait de quoi rendre sceptique. Mais, comme à son habitude, Dolan savait trop où il voulait aller pour se laisser intimider. « C’est la souffrance des personnages qui m’intéressait, leur maladresse et leur nervosité. Or, la langue si particulière de l’auteur est une ode à notre vulnérabilité, à nos excès, à nos névroses et à la façon dont on tente désespérément de communiquer. Le côté théâtral m’importe peu. J’essaye instinctivement d’aller là où l’émotion me guide et si j’y crois, j’y vais » , dit-il. Quant au casting, il ne s’est pas posé d’autre question que de savoir avec quels acteurs il voulait tourner. De toute façon, depuis son premier long-métrage, J’ai tué ma mère – adaptation d’une de ses nouvelles réalisée à 19 ans –, depuis Laurence Anyways, un drame étonnant sur le changement de sexe, et surtout depuis le saisissant Mommy, son premier film « populaire », financiers et comédiens se bousculent pour être embarqués dans ses projets.
De l’avis de tous ceux qui ont eu cette chance, Xavier Dolan est un cinéaste à part. Poussé dès 4 ans sur les plateaux par ses parents – un père acteur et chanteur d’origine égyptienne, une mère responsable des admissions au collège de Maisonneuve, à Montréal –, le gamin né avant terme a montré une urgence dans tout ce qu’il entreprenait. Curieux et doué, il a appris les rouages du métier jusqu’à être capable, aujourd’hui, d’enfiler toutes les casquettes. En plus du scénario, de la mise en scène et de la production, il conçoit les costumes de ses films, supervise la direction artistique, la sélection de la musique, la réalisation des bandes-annonces… et signe même les sous-titres français et anglais ! De quoi épuiser, en effet, les hyperactifs les plus sévères. Alors que la jeune star, abattue par le jet-lag, s’enfonce doucement dans son fauteuil club, vient l’envie de le réveiller avec quelques questions incongrues. « Et si vous pouviez faire revenir certains comédiens, lesquels aimeriez-vous diriger ? – J’aurais adoré mettre en scène Robin Williams, Peter Sellers, River Phoenix ou Heath Ledger que j’aimais plus que tout pour son côté extrêmement complexe mais vrai. – Et si, le grand voyageur que vous êtes était forcé à se poser pour vivre le quotidien du quidam ? – Je resterais à Montréal. C’est une ville parfois insupportable car toujours en travaux mais c’est mon repère, là où vivent mes deux familles, mes amis, et où, pour cette raison, je viens d’acheter une maison. – Et si, là, tout de suite, on vous offrait quinze jours de vacances ? – Comme ça fait huit ans que je n’en ai pas pris, je filerais en Sardaigne pour écrire et goûter au farniente » .
Mais de son propre aveu, Xavier Dolan n’est pas doué pour l’oisiveté. Avec cette même urgence, il s’est lancé, au retour de Cannes, dans la réalisation de son premier film américain. The Death and Life of John F. Donovan réunit Kit Harington, Jessica Chastain, Kathy Bates, Susan Sarandon et Natalie Portman. Un projet bien trop excitant pour prendre le temps de se reposer. Et puis, il l’a dit, Dolan n’est pas un enfant sage, c’est un fou passionné.