QUI SONT LES BARBARES ?
D’où vient le mot « barbare » ? Du grec barbaros qui, à Athènes, désignait de façon collective tous les non-Grecs. Le terme était formé à partir d’une onomatopée, barbar, censée imiter les sons d’une langue incompréhensible. Distinguant « nous » et « les autres », sous-entendant que les non-Grecs parlaient un charabia, la dichotomie Grecs-Barbares traduisait une vision binaire du monde. Cette généalogie du vocable et du concept est longuement explorée en ouverture du premier dictionnaire consacré aux barbares. Sous la direction de Bruno Dumézil, maître de conférences en histoire médiévale à l’université Paris Ouest- La Défense et auteur de plusieurs ouvrages sur le haut Moyen Age occidental – notamment Les Racines chrétiennes de l’Europe (Fayard, 2005), remarquable étude sur les conversions au christianisme dans les royaumes barbares –, 150 historiens exposent, à travers plus de 500 entrées, l’essentiel de ce qu’il faut savoir, de l’Antiquité au Moyen Age, sur les Burgondes et les Vandales, la tombe de Childéric et les raids vikings, les druides et la bataille de Salamine. Accompagné d’abondantes références bibliographiques, d’une chronologie, de cartes et d’un index des noms, l’ouvrage est un modèle d’érudition.
Pourquoi, alors, tant de science laisse-t-elle un sentiment d’insatisfaction ? Les auteurs ont raison de citer le célèbre passage des Essais où Montaigne écrit que « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage » . Ces savants sont également fondés à montrer que, pour les Occidentaux, l’image du barbare s’est largement construite autour d’une surinterprétation des grandes invasions et de l’effondrement de l’Empire romain, et que la réalité historique est plus complexe que le cliché de hordes de guerriers chevelus sortant de leurs forêts pour fondre sur les légions romaines. Il reste que l’Empire romain s’est bel et bien effondré, et que cet effondrement, comme l’a rappelé Michel De Jaeghere dans Les Derniers Jours (somme rééditée chez Tempus), a profondément altéré la civilisation antique sur le plan matériel, politique et moral. A relativiser la notion de « barbare », on relativise aussi la notion de « civilisé ». Ce relativisme, il est vrai, doit tout à l’air du temps.
Les Barbares, sous la direction de Bruno Dumézil, PUF, 1 498 p., 32 €.