BORDEAUX PARANO
Un écrivain qui a publié en 2011 un ouvrage intitulé Contre Télérama ne peut pas être complètement mauvais. Surtout s’il choisit de placer en exergue de son dernier livre cette phrase fort sympathique du groupe Diabologum : « Plus les femmes sont sexy et plus je me sens con. »
Les Nouvelles Métropoles du désir d’Eric Chauvier a toutes les qualités : c’est un texte bref (77 pages) et peu onéreux (7€), une fable contemporaine qui démarre avec de l’action et s’achève sur une explication urbanistique du terrorisme. Grosso modo, voici le livre parfait pour votre week-end intello-glamour. Il raconte l’agression d’un bobo par trois adolescentes en survêtements dans un port maritime qui pourrait être Bordeaux. La victime et son sauveur se réfugient dans un bar-club nommé le Dark Rihanna. Ce nom n’est pas choisi par hasard : Rihanna est la chanteuse qui fait rêver les nanas du monde entier (dans le film Bande de filles, les ados rebelles dansaient sur Diamonds ; la couverture de Lui de mai 2014 est analysée en détail aux pages 54 et 55). Le narrateur, âgé de 43 ans, passe en revue toute la clientèle de ce bar électro. Les personnages sont résumables à leurs choix vestimentaires, comme dans Glamorama de Bret Easton Ellis. S’agit-il d’un parti pris superficiel ? Pas du tout : l’auteur est un anthropologue « raisonnablement angoissé » , il sait que dans notre mode de vie consumériste, le vêtement est un dis- cours. Un type peut se faire péter la gueule uniquement parce qu’il porte une chemise de bûcheron. Chaque fille du bar adopte un style différent. Les baskets à paillettes sont un appel au secours. Le travail de l’anthropologue n’est pas très éloigné de celui du romancier postmoderne. Claude Lévi-Strauss et Georges Perec, même combat. Il s’agit de comprendre un monde qui s’uniformise aux deux sens du terme : tout devient identique (les bars de la province française ressemblent à des bars de Greenwich Village) mais en outre les citoyens portent des uniformes. Les serveurs ne servent jamais notre ethnologue car il porte une veste Jules. L’indifférence de tous envers autrui est une forme d’agression. Le scientifique en immersion dans ce bar se sent constamment snobé. Il n’est pas assez blasé ni tendance. La musique empêche les conversations.
On comprend vite le message politique de ce mini-reportage gonzo : si les jeunes deviennent violents, c’est parce que tout est structuré dans leur environnement pour organiser leur frustration. La violence devient leur seul recours pour cesser d’être invisible. La solitude et l’arrogance sont meurtrières. La morgue y conduit.
Les Nouvelles Métropoles du désir,
d’Eric Chauvier, Allia, 77 pages, 7 €.