Le Figaro Magazine

EN ANDALOUSIE, LE CHEVAL ROI

Début octobre, l’Ecole royale andalouse d’art équestre de Jerez se produira à Paris. Un spectacle qui donne envie de filer à bride abattue au sud de l’Espagne pour découvrir cette région où galop rime avec flamenco et vino fino.

- PAR LAURENCE HALOCHE (TEXTE) ET ARNAUD ROBIN POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)

UN INSTANT DE GRÂCE, POUR DES ANNÉES DE DRESSAGE

Impossible de passer à côté. Front haut, poitrail au vent, crinière folle… On ne voit qu’eux plaza del Calballo : deux fougueux étalons de bronze, le corps statufié dans l’élan d’une chevauchée figée pour l’éternité. Ailleurs, c’est un attelage qui trône plaza del Mamelón, le buste du rejoneador Alvaro Domecq Díez qui se dresse devant le palais familial, un trio hennissant qui piaffe dans les jardins de l’Alcázar… La statuaire équestre trace dans Jerez de la Frontera comme un jeu de piste révélant par bribes le lien ancien qui unit le cheval et ses habitants. Si les fers andalous ne battent plus le pavé des rues étroites du centre historique depuis longtemps, la ville est restée la gardienne de l’art équestre espagnol. Ici, on n’est pas vraiment à Saumur ni tout à fait aux SaintesMar­ies-de-la-Mer, hormis lorsque, pendant la Feria del caballo, entre la fin du mois d’avril et début mai, l’ambiance évoque celle d’une Camargue olé olé où galop et taureau riment avec flamenco et oloroso.

Pas besoin d’être un hippomania­que pour apprécier cette fête traditionn­elle qui concentre les fondements de la culture identitair­e andalouse. C’est dans cette région du sud de l’Espagne que l’on produit selon une tradition millénaire le fameux vin AOC jerez, xérès, sherry. C’est à Jerez, Cadix, Utrera et Lebrija que le flamenco s’est développé à la fin du XVIIIe siècle. C’est là encore que, plus qu’ailleurs, hommes et chevaux semblent nés pour danser. Ils ont en commun cette allure, cette aptitude aux airs élevés, cette fougue maîtrisée. De l’estrade au manège, chacun a sa scène. Dans les tabancos du quartier gitan de Santiago, bailaors et bailaoras rythment du talon un cante jondo à fendre l’âme. A l’Ecole royale andalouse d’art équestre, écuyers et équidés exécutent de la pointe du sabot un ballet qui impression­ne tout autant.

Fondé en 1973 par Alvaro Domecq Romero, ce haut lieu de l’équitation attire chaque année 150 000 visiteurs venus découvrir Comment dansent les chevaux andalous. Le spectacle de l’école a déjà conquis le public de seize pays sur quatre continents. Il sera présenté pour la première fois dans son intégralit­é à Paris, les 8 et 9 octobre prochain, à l’AccorHotel­s Arena *. Apprécier ce show où alternent figures de dressage classique, de haute école et de doma vaquera ne nécessite pas d’avoir sous le coude le traité d’équitation de La Guérinière. Immédiatem­ent, la magie opère. Il faut voir le parfait ordonnance­ment de ces destriers au crin natté défiler en musique dans le manège. Sous la frange des mosqueros à pompons, les regards noirs fixent la piste. Sous les tapis de selle d’apparat, les corps massifs plantés sur de fines jambes aux tendons d’acier s’animent. D’un tableau l’autre, ils caracolent, ils piaffent, ils paradent, ils voltent… Comme un baisemain, le pas espagnol leur donne des allures de comtesse qui imposent le respect. Elégance des robes grises pommelées soyeuses et irisées, noblesse des attitudes, pureté des lignes… La beauté de ces marbres animés aurait sûrement inspiré Musset s’il n’avait eu sous la plume sa belle Andalouse.

Les écuyers, eux non plus, ne manquent pas de panache, le buste cintré dans un costume hérité des tenues traditionn­elles du XVIIIe siècle. Tête droite chapeautée d’un feutre noir,

EN SCÈNE, HOMMES ET CHEVAUX SEMBLENT NÉS POUR DANSER

dos et épaules d’une verticalit­é impeccable, assise fondue dans le plomb… La fusion qu’ils affichent avec leur monture illustre la maîtrise parfaite d’une équitation d’une très haute technicité : « Ce spectacle est un formidable instrument de promotion pour notre école, précise le directeur Juan Carlos Román López. Partout dans le monde, il participe à la diffusion des valeurs culturelle­s et traditionn­elles du patrimoine équestre andalou. Les Français, qui sont des connaisseu­rs, apprécient énormément le travail que nous accompliss­ons ici. »

En moins de cinquante ans, la Real Escuela Andaluza del Arte Ecuestre a intégré le cercle fermé des académies équestres – Saumur, Vienne et Lisbonne – qui perpétuent l’esprit de l’équitation savante. La qualité de son enseigneme­nt en dressage classique est notamment incarnée par deux de ses professeur­s : Rafael Soto, écuyer en chef et responsabl­e de la formation des cavaliers de dressage, et Ignacio Rambla, médaillés d’argent par équipes aux Jeux olympiques d’Athènes, en 2004. Nul n’a oublié ici le piaffer de légende d’Invasor ou les prouesses d’Evento, ambassadeu­rs emblématiq­ues du cheval ibérique considéré en Andalousie comme un véritable patrimoine culturel.

Comme un touriste à Paris visite la tour Eiffel, assiste à un french cancan, s’offre un verre de bordeaux, on vient à Jerez pour écouter du flamenco, déguster du sherry et voir le spectacle de l’Ecole royale andalouse d’art équestre. D’intéressan­tes visites guidées dévoilent le quotidien de l’université. A 10 heures, les portes s’ouvrent sur un jardin botanique où se dresse le palais du Recreo de las Cadenas, qui aurait été conçu par l’architecte français Charles Garnier. Arpenter les salles du rez-de-chaussée, descendre au sous-sol découvrir le musée de l’Art équestre – le musée de l’Attelage vaut aussi le détour –, puis se rendre à l’atelier de sellerie et de bourreller­ie s’avère une entrée en matière instructiv­e avant d’observer un cours ou une séance d’entraîneme­nt. Dans les carrières, le regard s’attarde sur un attelage à la manoeuvre, un étalon travaillé aux longues rênes, un professeur qui s’attache à perfection­ner l’exécution d’une levade. Que d’années de dressage, de persévéran­ce pour tous ces profession­nels animés par

LA LIGNÉE “CARTUJANO” EST NÉE GRÂCE À DES MOINES AU XVe SIÈCLE

la passion : « Oui, on travaille beaucoup, mais ce n’est pas un enseigneme­nt militaire non plus, précise le professeur Fernando Ariza. Ça reste andalou, c’est de l’art ! » Et d’ajouter : « Regardez nos élèves : n’ont-ils pas l’air heureux ? » Il y a pire, en effet. Ecuries tenues au cordeau, sellerie parmi les plus belles d’Europe, vaste manège, cavalerie triée sur le volet… Apprendre dans ces conditions est un privilège. En équitation, seuls quatre candidats sont admis chaque année pour une formation de quatre ans, à l’exemple de la jeune Bordelaise Nastasia Manan : « Intégrer l’école était un rêve de petite fille. J’ai commencé par une formation en sellerie avant de passer au dressage classique, qui est une discipline où il faut faire preuve de rigueur et d’humilité. Chaque école a sa façon de faire, mais, ce qui est unique ici, c’est la doma vaquera devenue un dressage d’exhibition et de compétitio­n. »

Le fondateur de l’Ecole royale andalouse d’art équestre, Alvaro Domecq Romero, également à l’origine du spectacle, a toujours eu à coeur de perpétuer cet art équestre issu du travail pratiqué par les vaqueros dans les élevages taurins. Pour ce descendant d’une famille de Jerez qui s’est illustrée dans le monde du toro et du vino fino, le pure race espagnol est « un danseur de flamenco qui change de pied, fait des pirouettes, s’arrête net, repart comme aucun autre cheval ne sait le faire ». Et de se souvenir des premières représenta­tions au début des années 1970, quand il se produisait avec six de ses amis : « C’est après avoir vu ce que nous réussissio­ns à accomplir que le roi Juan Carlos m’a décerné, un Caballo de Oro ( trophée récompensa­nt une personnali­té pour sa contributi­on au monde équestre, ndlr). Sept mois plus tard, je fondais l’école. Pendant dix ans, j’ai tout fait pour qu’elle soit reconnue tant en Espagne qu’à l’étranger. » Depuis qu’il a quitté la Real Escuela Andaluza del Arte Ecuestre, passée sous la tutelle du ministère de l’Informatio­n et du Tourisme, ce rejonaedor réputé, éleveur de chevaux et de taureaux de combat, continue de transmettr­e sa passion dans sa ganadería à Medina-Sidonia. « Nous avons été les premiers à ouvrir les portes de notre propriété au public, précise sa nièce Isabel Domecq. Depuis 2008, toute la famille participe plusieurs fois par semaine à un spectacle « qui permet de voir comment les taureaux vivent, comment les hommes et les chevaux travaillen­t ensemble. Une bonne approche pour connaître l’authentici­té de la culture andalouse. »

S’y rendre depuis Jerez offre une occasion idéale de s’arrêter à la chartreuse Santa María de la Defensión où vit actuelleme­nt une congrégati­on des Petites Soeurs de Bethléem. Les amateurs d’architectu­re gréco-romaine et gothique appréciero­nt cet édifice de toute beauté considéré comme l’un des monuments historico-artistique­s parmi les plus importants de la province. Ceux dont l’esprit marabouté associe illico bout de ficelle et selle de cheval seront heureux d’apprendre que c’est dans les pâturages voisins que des moines cartusiens ont initié, au milieu du XVe siècle, l’élevage du cartujano, une race unique au sang très pur miraculeus­ement préservée jusqu’à aujourd’hui. Elle fut maintes fois menacée, notamment pendant l’invasion napoléonie­nne où il fallut

cacher les étalons pour éviter qu’ils ne soient croisés avec des chevaux de trait. La lignée aurait pu disparaîtr­e si les habitants de Jerez, puis l’Etat, plus récemment, ne s’étaient attachés à la sauver. Il faut visiter, à quelques kilomètres du monastère, la manade de la Cartuja Hierro del Bocado qui abrite la plus grande réserve de cartujanos au monde. Quand on les voit lors du spectacle présenté tous les samedis matin, ou mieux encore en liberté, il apparaît comme une évidence que cet animal-là est bien plus qu’un canasson. Pas besoin d’avoir le pied à l’étrier pour comprendre que le cheval andalou est un héritage vivant, une fierté, le symbole d’une droiture de corps et d’esprit… Mais, aussi, un trésor national envié depuis des lustres. L’écuyer Salomon de La Broue ne s’était pas trompé qui, dès le XVIIe siècle, considérai­t le cheval espagnol comme « le plus beau, le plus noble, le plus courageux et le plus digne d’être monté par un grand roi » . Sous ses sabots ont défilé les territoire­s conquis par Ferdinand d’Aragon et Isabelle la Catholique. Lors de son troisième voyage au Nouveau Monde, Christophe Colomb embarqua à Cadix un lot de juments poulinière­s pour répondre aux besoins des nouvelles colonies. Vers le milieu du XVIIe siècle, ce port espagnol jouait un rôle prépondéra­nt dans la conquête des Amériques. De cette époque prospère, il reste encore des vestiges qui valent que l’on passe quelques jours dans la plus ancienne cité d’Occident.

C’est dans le centre historique, passé les tourelles et fortifi- cations des massives portes de pierre ocre, que se concentren­t les monuments les plus intéressan­ts. Premier repérage du sommet de la torre Tavira où, grâce à une chambre noire, Cadix la belle s’observe dans un miroir. Les claustroph­obes lui préféreron­t le panorama qu’offre, en pleine lumière, la tourbelvéd­ère de la cathédrale. Le point de vue y est magnifique. Un regard patient pourrait dénombrer jusqu’à une centaine de tours, mais il ne faut pas longtemps pour que l’attrait des ruelles protégées du soleil ne s’impose. Les voitures sont rares. S’y promener a le charme des déambulati­ons interrompu­es par la visite d’un musée, d’un palais, d’une église… Ici, l’oratoire de la Sainte Grotte qui abrite trois toiles de Goya. Là, la superbe casa de Las Cadenas de style baroque qui concurrenc­e la casa del Almirante et son portail en marbre de la fin du XVIIe siècle. Quel contraste entre les demeures d’anciens commerçant­s génois dont les volets restent fermés sur leur passé prestigieu­x et les immeubles modernes qui longent la côte et ses plages kilométriq­ues ! C’est au petit matin qu’il faut arpenter l’unique étendue de sable située à proximité de la vieille ville, le long de l’avenida Duque de Nájera. Contrairem­ent à Sanlúcar de Barrameda, à une trentaine de kilomètres au nord, où des courses hippiques sont organisées sur la plage depuis 1845, on a peu de chance d’y voir des chevaux galoper. On peut toujours les imaginer : front haut, poitrail au vent, crinière folle… De fougueux étalons emportés par l’élan d’une chevauchée de toute éternité.

* Le samedi 8 octobre à 20 h 30 et le dimanche à 15 h. Prix des places : de 35 à 150 €. Points de vente : 08.92.39.04.90 ; www.accorhotel­sarena.com ; Fnac, Carrefour, Auchan, Leclerc…

 ??  ?? Construite à l’initiative du chevalier don Alvaro Obertos de Valeto au XVe siècle, la chartreuse Santa María de la Defensión abrite de somptueux tableaux de Juan de Roelas.
Construite à l’initiative du chevalier don Alvaro Obertos de Valeto au XVe siècle, la chartreuse Santa María de la Defensión abrite de somptueux tableaux de Juan de Roelas.
 ??  ?? C’est avec une docilité et un calme impression­nants que ce bel andalou a accepté de poser sous les ors de l’un des salons du palais du Recreo de las Cadenas.
C’est avec une docilité et un calme impression­nants que ce bel andalou a accepté de poser sous les ors de l’un des salons du palais du Recreo de las Cadenas.
 ??  ?? Berceau du flamenco, Jerez compte de nombreux lieux où voir des artistes de talent. Tous les jours, des groupes se produisent sur la scène du Tabanco El Pasaje.
Berceau du flamenco, Jerez compte de nombreux lieux où voir des artistes de talent. Tous les jours, des groupes se produisent sur la scène du Tabanco El Pasaje.
 ??  ?? petit coin de France dans les jardins de l’Ecole royale andalouse d’art équestre : le palais du Recreo de las Cadenas est attribué à l’architecte Charles Garnier.
petit coin de France dans les jardins de l’Ecole royale andalouse d’art équestre : le palais du Recreo de las Cadenas est attribué à l’architecte Charles Garnier.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France