KEN CLARKE,
UN MOUTON NOIR CHEZ LES TORIES
européenne ».
A l’origine de cet « abîme politique » comme il n’en avait jamais connu, un malentendu. Margaret Thatcher a, rappelle-t-il, apporté « la plus importante contribution britannique à l’Europe : le marché unique », loin des préoccupations d’un François Mitterrand ou d’un Helmut Kohl. Aujourd’hui, ceux qui se prétendent ses disciples s’empressent de vouloir en sortir. Le courant eurosceptique a émergé, selon Clarke, à la chute de Maggie. Un « mythe » s’est développé selon lequel elle aurait été renversée par un complot proeuropéen. La vieille droite impérialiste, qui n’avait jamais accepté le démantèlement de l’Empire britannique, s’est remobilisée derrière la bannière eurosceptique. Et cette frange minoritaire du parti tory en a pris le contrôle, pour le conduire vers un nationalisme quasi xénophobe, à la faveur de l’inconséquence de Cameron. Celui-ci était persuadé du bien-fondé de l’UE, quoi qu’il ait pu en dire en public, assure son ex-ministre de la Justice, remercié sans ménagement en 2014.
A l’en croire, Theresa May serait, elle aussi, intellectuellement, une proeuropéenne convaincue, malgré sa rhétorique ouvrant la voie à un Brexit « dur ». Même s’il ne mâche pas ses critiques, Ken Clarke voit en elle la seule à avoir la crédibilité et l’intellect nécessaires pour mener cette « tâche impossible ». La même trempe qu’une Angela Merkel : déterminée, sérieuse et pragmatique. Il continuera de l’aiguillonner « pour maintenir la pression et limiter les dégâts ». Pas question, pour ce politicien old school, sans portable ni ordinateur, de laisser d’autres monopoliser un débat « hystérique ».
Au fond, la situation de son pays lui inspire colère et déprime. Mais il semble en être paradoxalement ragaillardi, plus jovial et combatif que jamais. Il vient de publier ses mémoires dans un livre au titre doux-amer, Kind of Blue, en référence à sa propre nuance de bleu, la couleur du Parti conservateur, mais aussi au blues des lendemains qui déchantent. Le secret de sa longévité politique, confie ce féru de cricket, de jazz et d’ornithologie, c’est de n’avoir jamais « perdu le sommeil », quelles que soient les crises traversées par le pays. A 76 ans, ce vieux briscard du Parti conservateur britannique reste un europhile convaincu. Membre du Parlement depuis 1970, ministre sous les gouvernements Thatcher, Major et Cameron, il se bat désormais pour « limiter les dégâts » du Brexit.