LE RÊVE DE MAO : TU SERAS UN CYCLISTE, MON FILS !

Vous vous sentez las, mal fichu, minable ? Un sentiment de honte vous accable du matin au soir ? Vous voyez le bout du rouleau mais pas celui du tunnel ? Votre existence est un sacerdoce lamentable ? Bref, vous n’en pouvez plus ? Devenez cycliste ! En devenant cycliste, vous ne serez plus jamais seul, misérable cafard isolé dans le maelstrom du monde moderne, anonyme perdu dans la foule, égaré au royaume du stress. Car le cycliste appartient à la race supérieure du XXIe siècle. Il fait partie du peuple élu, c’est un être divin, fils de Dieu et d’Anne Hidalgo. Rien qu’en pédalant, le cycliste fait du bien à la planète. Et, pour cette contribution, il a accès à des privilèges suprêmes. Il peut, par exemple, porter des vêtements fluorescents qui piquent les yeux. Il peut brûler les feux rouges, badiner le long des voies sur berge qu’il a réussi à faire fermer. Il peut également arriver le matin au bureau ruisselant de sueur et sentant l’oignon au grand désespoir de ses collègues. Il peut emprunter les sens interdits et, si un automobiliste lui casse une jambe en ouvrant sa portière, ce sera de la faute de celui-ci. Comme il avance moins vite que tout le monde, c’est également lui qui profite le mieux de la pollution dans les villes. Le cycliste est en haut de la chaîne, au sommet des castes : en dessous de lui, il y a les sympathiques forçats des transports en commun. Ils souffrent et suent et dépriment, mais ne polluent pas. En dessous encore arrivent les motards et scootéristes, déjà suspects. Enfin arrivent les sous-hommes, les ennemis du peuple, ces automobilistes qu’il faut éradiquer et déporter dans les campagnes. L’avenir passera par la pédale.