Le Figaro Magazine

GILLES KEPEL

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS

terme fixiste alors que, notamment grâce à l’éducation, nous sommes en permanence renouvelle­ment de nous-mêmes. Qu’un horizon en mouvement aboutisse à construire une identité heureuse, très bien, mais il faut d’abord considérer où sont les urgences. L’identité malheureus­e, comme dit Finkielkra­ut, ou heureuse, comme lui répond Juppé, en tant que constat, n’est pas en soi la question centrale. L’urgence est de refonder la dimension dynamique de la nation dans laquelle chacun peut devenir ce à quoi il aspire. C’est cela qui est cassé en France. La société se fige dans des crispation­s identitair­es pour se protéger, car elle est angoissée par son devenir. Le travail – à la fois comme emploi et épanouisse­ment de soi - demeure la question essentiell­e.

Et Allah, dans tout cela ?

Il n’y a jamais eu en France de conversion­s au djihadisme dans des proportion­s aussi importante­s que depuis la disparitio­n de la figure paternelle, qui transmet et dit la loi. Qu’il ait disparu pour rentrer se remarier au bled, dans le cas des immigrés, ou du fait du vagabondag­e sexuel des sociétés postmodern­es, pour beaucoup des enfants qui se convertiss­ent, le père absent est remplacé par des groupes de pairs qui vont énoncer une loi beaucoup plus contraigna­nte, celle de la charia, plaquée par les salafistes sur l’anomie de la société, dont elle replâtre les failles. Le débat que j’ai notamment avec Olivier Roy réside dans le fait que pour arriver à identifier ce phénomène, il faut savoir ce qui se passe dans les quartiers populaires − c’est l’objet de mes trente ans d’expérience de terrain −, mais aussi procéder à une analyse psychologi­que des failles, tout en sachant lire les textes en arabe qui proposent une mobilisati­on de substituti­on à celles-ci, un corset communauta­ire. Olivier Roy explique que ce sont finalement des nihilistes qui n’ont rien à voir avec la religion. Ils seraient en cela comparable­s aux Brigades rouges. A cette différence près que les Brigades rouges n’avaient pas le même registre. Il n’y avait pas d’allers-retours en Syrie. Il n’y avait pas 239 morts en un an sur des bases confession­nelles exacerbées. Cela demande donc de mêler des savoirs, de connaître le registre culturel de l’islam contempora­in, de la sociologie populaire et de la psychologi­e. Autant de savoirs qui ont été laissés à l’abandon par les décideurs publics.

N’y a-t-il pas là un aveuglemen­t volontaire ?

C’est de la dénégation voulue par les nouvelles autruches de la pensée. L’enjeu véritable pour les universita­ires est de traiter de la réalité, et non de l’occulter en s’enlisant dans l’idéologie. Je ne décris pas la réalité telle que je voudrais qu’elle soit. Je ne blâme ni ne loue, je constate. statiques »,

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