FEMMES SAVANTES, HOMMES MÉDIOCRES
La controverse sur le point de savoir si Molière fut le défenseur ou l’adversaire de l’émancipation des femmes a quelque chose d’un faux débat. Certes, son théâtre traduit une ambiguïté sur ce sujet. Mais ne le réduisons pas aux Précieuses ridicules. Molière était un homme de son temps, un bourgeois, « un produit de son époque » (Catherine Hiegel), et de surcroît il eut à souffrir des femmes. Il ne les ménagea donc pas. Ni les hommes. Son souci était de plaire, de faire rire et de dénoncer les vices et les ridicules des êtres humains et de leur société, tous sexes confondus. Et son théâtre offre aussi des figures comme Agnès ou Toinette, en passant par l’Henriette ou la Martine des Femmes savantes qui honorent la femme et plaident pour sa liberté. On ne reprochera donc pas à Catherine Hiegel d’avoir adouci les portraits de Philaminte, d’Armande et de Bélise, jusqu’à les rendre beaucoup moins ridicules que la tradition ne l’établit. Plus humaines, plus banalement humaines pourrait-on dire, plus sympathiques. Le regard que porte sur elles Catherine Hiegel est teinté d’indulgence. Particulièrement s’agissant de Philaminte, savante certes, mais sans ostentation, et Agnès Jaoui joue très bien cette modération. Elle est davantage bourgeoise snob et femme de tête que précieuse ridicule. De même Evelyne Buyle, merveilleuse en Bélise, moins pédante que demi-folle. Et paradoxalement la satire se retourne contre les hommes : jamais Chrysale ne nous est apparu aussi inconsistant, aussi lâche, et jamais Trissotin aussi grotesque et imposteur. Femmes savantes oui, mais hommes médiocres. Justice est faite : Molière est plus équitable qu’on ne le croit, et le féminisme de Catherine Hiegel est satisfait.
Tout cela donne un spectacle intéressant renouvelant la convention théâtrale aux dépens de la caricature satirique qui a fait la fortune de la pièce. Qui a raison : la tradition ou Hiegel ? Car enfin Philaminte n’est peut-être pas aussi intelligente et apaisée qu’on nous le donne à voir. C’est quand même elle qui met à la porte sa servante Martine parce qu’elle ne parle pas comme Vaugelas, ou qui s’étrangle de bonheur devant les âneries de Trissotin. Reste un texte admirable, une vision originale de l’oeuvre, des acteurs de qualité, une mise en scène irréprochable, un beau décor classique de Goury meublé d’un capharnaüm délirant, télescope géant, animaux empaillés, squelettes et autres curiosités scientifiques, comme chez Deyrolle. Que demander de plus ?
de Molière, mise en scène de Catherine Hiegel, avec A. Jaoui, E. Buyle, J.-P. Bacri... Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paris Xe.
La satire se retourne contre les hommes