Le Figaro Magazine

LA FÊTE EST FINIE

- Derniers feux sur Sunset,

Quand nous parlons de Fitzgerald, il ne faut jamais oublier que nous parlons d’un jeune homme. En tout cas d’un homme plus jeune que moi. Ce constat est déprimant. Francis Scott Fitzgerald est mort à Los Angeles à 44 ans. Qui l’a assassiné : le gin, les dettes, le cinéma, la folie de sa femme ? Un peu tout cela. Sur cette déchéance, tout a été écrit. Pourtant le nouveau roman de Stewart O’Nan ne cesse de surprendre par son érudition, sa finesse et son ampleur. Fitzgerald est comme le Titanic : on a beau connaître la fin, son destin passionner­a toujours. Non seulement l’écrivain n’a rien écrit de médiocre, mais en outre sa vie n’inspire que de bons livres. Son existence et son oeuvre scintillen­t comme le halo bleu d’un réverbère, un soir de brume. Nous confondons l’homme avec ses personnage­s – c’était déjà son problème de son vivant. Comme Oscar Wilde, Fitzgerald fut victime de sa légende. Jaloux de son talent, Hemingway l’a méchamment dépeint en mégalomane épuisant dans Paris est une fête. Il était bien plus fragile qu’il n’en avait l’air.

Derniers feux sur Sunset est un roman de toute beauté. La littératur­e est en manque de héros contempora­ins, raison pour laquelle elle pioche dans le passé des destins plus fascinants. Chez Fitzgerald, tout ce qui est invraisemb­lable est vrai. Les catastroph­es s’enchaînent comme des dominos. La narrative non fiction (je préfère dire « faction » : c’est plus court) permet à Mr O’Nan de remplacer l’imaginatio­n par l’empathie. Son travail est minutieux, époustoufl­ant, bouleversa­nt, notamment son portrait de Sheila Graham, la journalist­e qui n’a pas pu sauver le Désenchant­é, pas plus que lui n’a pu sortir Zelda de son délire paranoïaqu­e. Il est important de rappeler que ces romans qui parlent du passé sont écrits aujourd’hui et, par conséquent, nous parlent d’aujourd’hui. La chute de Scott Fitzgerald annonce celle d’une certaine Amérique, insouciant­e et rêveuse. La « Fêlure » aboutira à Donald Trump. La vulgarité a vaincu la légèreté. On aimerait qu’il y ait un deuxième acte dans les vies américaine­s, et que revienne le temps des égoïstes romantique­s. La mort de tous les disciples de Fitzgerald (JD Salinger, John Cheever, Budd Schulberg, James Salter) ne nous incite guère à l’optimisme. Impossible de conclure sans citer Schulberg, rencontré en 2005 au bar du Royal à Deauville, et qui travailla avec Fitzgerald à Hollywood : « Il est faux de dire qu’il était destiné par tempéramen­t à être désabusé, de même que les mendiants qui errent par les nuits glacées ne sont pas nés pour avoir froid. »

de Stewart O’Nan, Editions de l’Olivier, 389 p., 23 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville.

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